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Comment les réflexions littéraire et philosophique parviennent-elles à se conjuguer dans Jacques le Fataliste ?

Publié le 05/12/2010

Extrait du document

 I) Philosophie du roman

     1) Structure du roman

     2) Un « anti-roman «

     3) Un roman polyphonique

 

    II) Duos et duels : la double relation maître/valet

     1) Les duos et les duels

     2) Une réflexion sur la relation maître/esclave

 

   III) Fatalisme et liberté

 

      La lecture de Jacques le fataliste peut paraître difficile tant sa structure est complexe. On peut tout de même dégager une structure chronologique : le voyage dure huit jours. Mais l’auteur opère un brouillage des pistes en insérant différents récits dans la narration : des récits cadres (le voyage de Jacques et de son maître et le récit des amours de Jacques), des récits annexes (les amours de Madame de la Pommeraye par exemple), et les commentaires du narrateur.

Tous ces récits annexes éloignent le lecteur du récit initial, et il devient difficile de suivre la chronologie. D’autant plus que l’on remarque une absence de repères spatio-temporels précis, ainsi qu’une absence d’intrigue précise, qui déconcerte le lecteur. Le seul fil directeur est le récit des amours de Jacques, récit sans cesse interrompu…

On constate donc un refus des conventions romanesques :

            - refus des repères spatio-temporels

            - refus de la linéarité

            - refus de l’intrigue romanesque traditionnelle

            - refus de l’invraisemblable

            - refus du héros

 

Dès l’incipit, l’auteur refuse de répondre aux questions du « narrataire « (R. Barthes). C’est un refus du pacte de lecture traditionnel. Le narrateur affirme qu’il n’aime pas les romans, que Jacques le fataliste n’est qu’une « rhapsodie de faits «, et brise sans cesse l’illusion romanesque, associant alors le roman au mensonge. Jacques le fataliste est donc un anti-roman, mais aussi un roman sur l’esthétique du roman. L’auteur déconstruit le genre romanesque, par les digressions sur l’esthétique du roman et la relation qu’il instaure entre le lecteur et le narrateur. En jouant ainsi avec les codes traditionnels, il crée un véritable roman polyphonique.

 

En effet, l’on trouve trois niveaux de discours dans Jacques le fataliste : celui de Jacques et de son maître, celui du narrateur et du lecteur, et celui des autres personnages. L’auteur opère un brouillage des repères énonciatifs, en passant sans cesse d’un niveau à l’autre. Mais de nouveau, il s’agit d’un choix délibéré, car les enjeux de la polyphonie sont nombreux. Tout d’abord, la polyphonie créée une dynamique au récit et évite la monotonie. De plus, en multipliant les discours, Diderot met en évidence la diversité des points de vue et en appelle à l’esprit critique du lecteur. Il fait entendre plusieurs voix sur un même thème et engage un débat d’un genre nouveau (entre des personnages qui ne sont pas en présence l’un de l’autre par exemple). Et enfin, l’auteur fait entendre des jugements différents sur un même personnage), ce qui entraîne une confrontation des points de vue.

Ce débat d’idées est le propre du roman philosophique et réflexif. Le roman devient le lieu d’expérimentations de la philosophie de Diderot, où il peut énoncer sa pensée sans la figer.

 

Ce débat d’idées est également visible dans la relation qu’entretient Jacques avec son maître, relation placée à la fois sous le signe du duo et du duel.

D’une part, le maître et le valet forment un duo inséparable, puisque héritée d’une longue tradition littéraire (Don Juan et Sganarelle par exemple), et puisque le titre de l’œuvre (Jacques le fataliste et son maître) les représente tous deux. Les deux hommes paraissent éloignés sur beaucoup de points mais on peut tout de même se demander parfois s’ils ne représentent pas les deux facettes d’un même être.

D’autre part, l’on peut noter une dualité constante entre Jacques et son maître, qui semblent être deux personnalités antithétiques : de par leurs origines sociales, leur langage (soutenu pour le maître, familier pour Jacques), mais aussi par leurs caractères, leurs comportements et leurs idées qui s’opposent parfois. Ainsi, le maître se fait le défenseur du libre arbitre tandis que Jacques soutient le fatalisme, et les deux compères ne portent pas toujours le même jugement sur les personnages (exemple de Madame de la Pommeraye).

 

Ces duos et ces duels entraînent donc un débat d’idées, et l’on se rend compte que Jacques et son maître sont complémentaires.

Diderot renouvelle donc la relation maître/valet et invite le lecteur à réfléchir sur la relation de dépendance et de servitude (« Chacun a son chien «).

De plus, nous pouvons voir la relation de Jacques et du maître comme le miroir de la relation entre auteur et lecteur. Car l’œuvre entière est une confrontation entre les personnages, une écriture du débat, un jeu de dialogue constant, mais aussi une confrontation entre l’auteur et le lecteur.

Cependant, cette écriture du débat a ses limites, car pour entrer en débat il faut être deux et laisser libre cours à sa pensée, or Jacques s’en remet toujours à la doctrine fataliste, au « grand rouleau où tout est écrit «.

 

      La lecture de Jacques le fataliste semble parfois quelque peu opaque. Il semble difficile de savoir si Diderot soutient plutôt le fatalisme ou plutôt la liberté. Car la doctrine de Jacques n’est pas clairement définie dans l’œuvre. Bien sûr si l’on s’en reporte au titre on trouvera le personnage caractérisé comme «fataliste«, mais qu’est-ce que le fatalisme?

En revenant à l’étymologie du mot, on s’aperçoit que sa racine latine fatum désigne le destin. Jacques, « le fataliste «, serait donc un homme asservi par son destin, écrit d’avance (« tout est écrit là-haut «). Il ne serait donc doué d’aucune liberté, et serait condamné à l’immobilisme.

Cependant, la frontière entre fatalisme et déterminisme est mince chez Jacques. En effet, il agit beaucoup dans le roman, contrairement à son maître qui se comporte parfois avec la passivité d’un véritable fataliste. Et bien que les deux notions, fatalisme et déterminisme, soient souvent confondues, elles sont tout de même différentes. Tandis que le fatalisme élimine toute possibilité de contrôle qu’auraient les hommes sur leur destin, le déterminisme conditionne certaines causes à certains effets, laissant à l’homme une marge d’action sur sa réalité.

C’est à partir de là que l’auteur lance le débat autour du libre arbitre en s’appuyant sur ce personnage extrêmement paradoxal. Puisque Jacques est un valet absurdement libre. Il a beaucoup d’autonomie en relation à son maître, il prend ses propres décisions. Alors qu’il devrait suivre, il prend les rênes.

On peut comprendre l’extravagante relation de vasselage du texte pour une métaphore de celle qui existe entre l’homme et sa destinée. Ainsi, malgré sa nature autonome, qui tend vers l’initiative, Jacques obéit tout de même à son maître.

Les paradoxes et la difficulté interprétative de l’œuvre de Diderot laissent néanmoins le livre ouvert, et engage au débat, ce qui fait de Jacques le Fataliste un véritable roman philosophique.

 

Conclusion :

 

Dans Qu’est ce que les Lumières, Kant écrivait : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ; telle est la devise des Lumières «. Le philosophe ne définissait donc pas les lumières comme un ensemble de connaissances ou comme des idées arrêtées, mais plutôt comme une manière de penser qui suppose une libération de l’esprit.

C’est ce que fait Diderot dans Jacques le fataliste, en ouvrant le champ des possibles.

Au plan philosophique, l’œuvre émet des hypothèses, sans imposer de synthèse. Elle est plus dialogique que dialectique.

Au plan formel, la structure se fait l’écho du projet moral et philosophique de Diderot. Réflexions esthétiques et réflexions philosophiques parviennent donc à se conjuguer, à s’entremêler, et font de ce roman philosophique l’un des plus importants du XVIII° siècle.

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