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Lisez "Jacques le fataliste" de Diderot. Cette oeuvre est-elle un roman ou un conte philosophique ?

Publié le 22/09/2010

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diderot

 

Denis Diderot est né en 1713, au milieu d'une époque où les idées nouvelles des hommes foisonnaient.Peut être que du fait de sa vie tumultueuse, la liberté de penser et les opinions de celui-ci se renforcèrent. C'est en 1778 qu'est publié pour la première fois "Jacques le fataliste" dans une revue. Fractionnée en plusieurs parties, l'oeuvre devait s'étendre sur une période de publication de deux ans. Malgré le fait que l'éditeur eu censuré les parties dites "immorales", les critiques accueillirent mal ce roman. Vous -avez dit roman ? Quelle ne fut pas la surprise de ses contemporains de se retrouver devant un récit si décousu et non conventionnel. Un récit où l'auteur n'hésite pas à s'imposer, coupant la parole à ses propres personnages pour raconter une anecdote. Un livre que Diderot qualifiait de rhapsodie. Mais n'est-ce vraiment qu'une continuité d'histoires dissemblables ? Car c'est en bien des points que cette histoire peut prendre un véritable visage philosophique, voire même un genre nouveau.

 

"Comment s'étaient-il rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ?". Ainsi commence "Jacques le fataliste". Dès le début, le lecteur est surpris par cette déstructuration. En effet, les modalités d'un incipit sont exposées par l'auteur lui même sous des questions qu'il décide lui même d'éluder. Car après tout, c'est le lecteur qui est bien curieux ! C'est donc sans informations que le lecteur débute l'histoire. Une histoire qui sera bien vite interrompue.

  A peine le lecteur se plonge dans les aventures de Jacques et commence à imaginer ce qui va se passer, que l'auteur interrompt ses personnages pour couper court aux divagations du lecteur : " N'allez-vous pas, me direz-vous, tirer les bistouris à nos yeux, couper des chairs, faire couler du sang, et nous montrer une opération chirurgicale ?" Diderot se joue du lecteur tantôt en le frustrant en dévoilant ses pensées ("Je vous entends, lecteur : vous me dites : Et les amours de Jacques ?..."), tantôt en retardant l'histoire à loisir : "Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans le récit des amours de Jacques." Mais quel auteur fortement présent pour un roman ! Un roman qui nie les conventions.

 Le pacte du roman transgressé.

  Dès le début de la lecture, quelque chose frappe pour un roman. En effet, les dialogues sont présentés comme au théâtre. L'essentiel de l'histoire passe par le dialogue entre Jacques et son maître, il y a très peu de temps de narration. Quant au schéma narratif, celui-ci se présente sous une forme très discrète, et on peut le reconstituer finalement, seulement en ayant lu le livre de bout en bout. Car les informations sur les personnages et leur situation sont distribuées au compte goutte, voir même très approximativement comme leur situation géographique :"Si je ne vous ai pas dit plus tôt que Jacques et son maître avaient  passé par Conches, et qu'ils avaient logé chez le lieutenant général de ce lieu, c'est que cela ne m'est pas revenu plus tôt". Mais enfin, ce qui marque le plus, c'est que le récit principal est coupé par des histoires annexes.

 

  Le titre du livre annonce la couleur, Jacques est un fataliste. Une fatalité qu'il tient de son capitaine, comme quoi toutes les actions des hommes à venir sont écrites sur "le grand rouleau". L'histoire du poète de Pondichéry illustre bien la vision du destin selon Jacques. Un mauvais poète qui, écoutant un conseille comme quoi il devrait se rendre à Pondichéry, devient riche en vendant des bijoux. Mais la fâcheuse tendance de Jacques à justifier chaque action en disant "Ca devait être écrit là haut", peut sous entendre qu'il y croit pas forcément mais qu'il essaye de se convaincre lui même. Le destin est-il vraiment écrit à l'avance ? Car Diderot pensait que ce sont nos choix qui déterminent notre avenir. Un avenir beaucoup plus rude à cette époque pour le "sexe faible".

  Le sort des femmes touche Diderot, par le fait qu'elles soient mal considérées par la société. Une des histoires annexes principales du livre est celle de Mme de la Pommeraye. Epouse malheureuse d'un premier mariage, elle tombe amoureuse du Marquis des Arcis, qui devient son amant et la trompe par la suite. Elle décide alors de se venger "d'une manière à effrayer tous ceux qui seraient tentés à l'avenir de séduire et de tromper une honnête femme." L'hôtesse du Grand-Cerf, quant à elle, a recu une éducation soignée, mais ce retrouve finalement par quelques mésalliances dans cette auberge. Quand Jacques prend plaisir à entendre l'histoire de la d'Aisnon mère et fille qui sont obligées de se prostituer, l'hôtesse réplique froidement "Ne riez pas, c'est la plus cruelle chose. Si vous saviez le supplice quand on n'aime pas." Si Diderot prend parti pour les femmes, il est beaucoup plus virulent envers les ecclésiastiques.

   Dans Jacques le fataliste, Diderot met en lumière l'hypocrisie des hommes d'église. Ainsi le frère de Jacques, Jean, mari les filles avec qui il a eu des rapports sexuels "...pour la dernière des filles du village, qu'il avait mariée et qui venait d'accoucher d'un gros garçon qui ressemblait à frère Jean comme deux gouttes d'eau.", ou bien le Père Ange qui profite de son statut pour gagner de l'argent puis pour finalement partir "les mains bien garnies". Mais l'histoire la plus marquante et celle du père Hudson. Sous cette élégante et sage personne se cache quelqu'un qui a "les passions les plus fougueuses, mais le goût le plus effréné des plaisirs et des femmes, mais le génie de l'intrigue porté au dernier point, mais les moeurs les plus dissolues, mais le despotisme le plus absolu dans sa maison." C'est un homme qui retourne toutes les mauvaises situations dans lesquelles ils se trouve à son avantage, et c'est comme cela que le jeune Richard se fait piéger. Ainsi Diderot injecte sa manière de penser au fil de l'histoire, faisant de son livre bien plus qu'un roman.

 

  Diderot qualifierait-il son livre de roman, pour mieux le parodier ensuite ? Car en effet, il ne fait rien pour maintenir l'illusion romanesque, mais fait en sorte de l'exposer au grand jour pour mieux montrer aux lecteurs que tout dépend de son bon vouloir : "C'est ainsi que cela arriverait dans un roman, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de cette manière ou autrement; mais ceci n'est point un roman, je vous l'ai déjà dit, je crois, et je vous le répète encore." Un auteur/narrateur qui détruit lui même ce qu'on croit "Une autre que moi lecteur, ne manquerait pas de garnir ces fourches de leur gibier et de ménager à Jacques une triste reconnaissance.". Puis à la fin du livre, il propose plusieurs fin car  "On ne peut s'intéresser qu'à ce qu'on croit vrai." Se jouer du lecteur en intervenant dans sa propre histoire, casser l'illusion romanesque, ne pas clore l'histoire des amours de Jacques proprement, rendent ce livre plus qu'intéressant.

  Diderot à lui même a qualifié son livre de rhapsodie, ensemble de récits dissemblables. Tout se succède et rien ne se ressemble. Du style littéraire aux phrases courtes et exclamatives du théâtre, du registre tantôt philosophique tantôt soutenu, tantôt des plus familier comme le mot "foutre". Son roman se lit, son roman se parle, et se révèle aussi hétéroclite que ses personnages, du bourreau aux nobles. Un roman où tout est bouleversé. Même la relation de Jacques et son maître est ambigüe, qui obéit réellement à qui ? Jusqu'à que le maître admette de lui même que "Il est écrit là haut que je ne me déferai jamais de cet original là,et tant que je vivrai il sera mon maître et que je serai son serviteur...". Un véritable patchwork littéraire dont Diderot a su user avec subtilité, et dont toutes les digressions et différents récits, viennent enrichir le dit roman, pour au final, en faire bien plus que cela.

  En injectant toutes ces anecdotes à la trame principale de l'histoire, Diderot fait de son livre bien plus qu'un roman. Il donne une vision de l'homme et de la société, et que souvent la première impression peut être trompeuse. Comme lorsque Jacques achète un cheval à un homme des plus sympathique, et qui se révèle être un bourreau; ou bien la fille de la D'Aisnon à qui jouer le rôle de dévote rend son quotidien plus léger et en vient à tomber amoureuse du Marquis des Arcis et où, finalement, les deux auront un mariage heureux ("Et je gagerai bien que ces trois ans s'écoulèrent comme un jour, et que le Marquis des Arcis fut un des meilleurs maris et eut une des meilleures femmes qu'il y eût au monde."). Un livre où Diderot parle de sexe sans taboue avec l'histoire de la perte du pucelage de Jacques. A contrario, les hommes d'église sont dénoncés, ils ne sont pas aussi pieux qu'on pourrait le croire malgré leur titre. Un livre où finalement, personne n'est ni bon, ni méchant.

 

Avec Jacques le fataliste, Diderot nous offre un livre où l'être et le paraître sont bien différent. D'un ouvrage qualifié de roman, en sort une rhapsodie, où Diderot se moque ouvertement de l'illusion romanesque. Un livre où d'anecdotes en digressions, il nous livre son point de vue sur son époque, quitte à renier les conventions. Car après tout, cette oeuvre fut et restera un tourbillon déstructurant, qui mène le lecteur à la réflexion, que, après tout, rien n'est défini à l'avance.

 

N.B : Ceci n'est qu'a prendre comme une aide, car étant une dissertation faite lorsque j'étais en 1ere L.

          Note : 17/20

          Appréciation du professeur : Excellent travail. Toutefois, revoir la présentation, même si le plant est pertinent (annonce dans l'introduction et ensuite aucune indication titre (pas sûre du mot car mal écrit)). Proposez ensuite des arguments en faveur du roman pour mieux le réfuter ensuite.

 

En espérant avoir aidé.

 

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