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Commentaire de texte : extrait du Livre de ma mère, d'A. Cohen (chap. 6)

Publié le 15/09/2006

Extrait du document

Dans Le Livre de ma mère, publié en 1954, Albert Cohen rend hommage à sa mère disparue. Certains chapitres sont plus spécialement consacrés à ses souvenirs d’enfance à Marseille au début du siècle ; c’est le cas de ce passage dans lequel l’auteur raconte ses promenades dominicales avec sa mère. A travers le récit d’une scène précise, il évoque un souvenir représentatif de toute une partie de son enfance, en même temps qu’il dresse le portrait de deux exilés et jette un regard rétrospectif à la fois mélancolique et ironique sur leurs difficultés à s’insérer dans leur nouvel univers. Nous analyserons donc le récit du souvenir d’enfance, puis nous verrons que l’auteur considère ce souvenir avec un regard distancié et ironique, et nous terminerons en montrant comment ce récit constitue aussi un vibrant hommage à la figure maternelle.    La dimension autobiographique du texte est perceptible dès les premières lignes. Plusieurs verbes employés au présent d’énonciation expriment en effet le regard rétrospectif de l’auteur : « Je me souviens « (l. 1), « je revois « (l. 4, l. 16), « je considère « (l. 11). Le thème du passage est lui aussi indiqué dès la première phrase : « nos promenades du dimanche « (l. 1). Cohen présente ensuite un ensemble de souvenirs à l’imparfait : temps de l’habitude, de la répétition, il ancre l’enfant dans un passé répétitif et donc mémorisé nettement. Il précise d’ailleurs qu’il s’agit de promenades habituelles, accomplies sur une longue période : « en été « (l. 1). Les circonstances sont clairement évoquées : l’enfant et sa mère vont faire le tour de « la Corniche «, qui dénote la ville de Marseille (l. 2) ; le moyen de transport est précisé (« le tramway «, l. 3), ainsi que la durée de la promenade (« une heure « l. 2).  L’essentiel réside surtout dans le duo que le jeune Albert Cohen forme avec sa mère. Les deux personnages sont en effet associés tout au long du texte : par l’emploi répété du pronom indéfini « on « (l. 2, l. 21, l. 24, l. 27, l. 29) ou par celui de certaines formules : « elle et moi « (l. 1-2, l. 4-5), avec un effet de mise en valeur par la place de l’expression entre deux virgules ou en début de phrase ; ou encore : « ma mère et moi « (l. 10, l.30) avec le même effet de mise en valeur. Ainsi se trouvent exprimés l’amour maternel et filial, mais aussi la situation des personnages : tous deux sont des immigrés, qui ont du mal à s’insérer dans cette grande ville qu’ils découvrent. Leur situation sociale est d’ailleurs signalée au début du texte par l’emploi de négations : « On n’était pas riches et le tour (…) ne coûtait que trois sous « (l. 2-3). Etant peu fortunés, Cohen et sa mère sont forcés d’emporter des « provisions emballées « (l. 31) dans un café en essayant de se « concilier « (l. 28) le garçon.  C’est le récit de ce souvenir qui occupe l’essentiel du texte. Un dimanche spécifique est en effet resté dans la mémoire de l’auteur : « Je revois un de ces dimanches « (l. 5-6), repris par : « En ce dimanche « (l. 10). Cette journée particulière, que l’auteur s’efforce de revivre, est approximativement datée : « à l’époque du Président Fallière « (l. 6, introduit par le modalisateur : « ce devait être… «), qui est aussi l’époque où l’auteur allait au « lycée « (l. 8). Sans doute faut-il entendre ici « petit lycée «, expression qui désignait alors le collège, puisque l’auteur indique par ailleurs qu’il était « tout jeune garçon « (l. 2). Dans les paragraphes deux et trois, la vision de l’auteur se fait plus précise, et l’évocation du souvenir plus détaillée : l’auteur revoit en particulier la façon dont sa mère et lui-même étaient vêtus. Les lignes 16 à 20 énumèrent les vêtements que sa mère portait à cette occasion, en précisant leur longueur (de « longs gants «, l. 16, une « longue jupe «, l. 18), la matière et la couleur (la « dentelle noire «, l. 16-17, les « boutons de nacre «, l. 20), la façon dont ils sont cousus (le corsage est « à ruches avec des plissés, des bouillons et des fronces «, l. 17, la jupe est « à taille de guêpe et à volants «, l. 18-19), comme si cette silhouette de femme vêtue à la mode de 1900 s’était fixée une fois pour toutes dans sa mémoire. L’auteur se souvient aussi (§3) de l’arrêt où ils descendaient du tramway, du nom du restaurant où ils se rendaient pour déjeuner…  Ce regard rétrospectif, on va le voir, est très distancié, et oscille constamment entre tendresse et humour, ironie et nostalgie.    La lucidité de l’âge mûr amène l’auteur à porter des jugements moqueurs sur l’enfant qu’il était. Sa naïveté est mise en évidence à travers l’épisode de la rencontre avec le Président Fallières, dont il trace en trois mots un portrait dévalorisant : « gros rouge ordinaire « (l. 6-7), expression employée habituellement à propos du vin, le jeu de mots signalant sans doute l’aspect rougeaud (et aviné ?) du personnage. Or celui-ci, désigné à la ligne 8 par une périphrase, « le chef de la France «, impressionnait et troublait beaucoup le jeune Albert Cohen, ce qu’expriment les oxymores : « frissonner de respect « (l. 7) et « chair de poule d’admiration « (l. 9). On peut dire que l’auteur fait preuve ici d’autodérision. Son ironie, perceptible dès les premières lignes, prend également pour cible la promenade dominicale elle-même, désignée par la gradation « nos villégiatures, nos mondanités, nos chasses à courre « (l. 4). L’antiphrase sert ici à souligner que ce simple tour en tramway à trois sous était le seul loisir, la seule fantaisie que la famille Cohen pouvait s’offrir. Avec le recul, ces sorties du dimanche lui semblent bien dérisoires.  L’auteur porte un regard amusé sur le « couple « qu’il formait avec sa mère. Les deux personnages sont décrits successivement : « Moi… «, l. 13, « Elle… «, l. 15. L’auteur se livre d’abord à un bref autoportrait en employant un vocabulaire dépréciatif qui vise à le tourner en ridicule : « inopportun « (l. 13), « avec un visage de fille « (l. 14). L’ironie passe également par l’hyperbole : « angélique et ravi à me faire lapider « (l. 14-15). Le texte s’attarde davantage sur la description de la toilette de la mère, jugée excessivement « luxueuse « (l. 16) et manquant de naturel, puisqu’elle est « déguisée en bourgeoise « (l. 15). Tous deux sont comme des personnages de contes (lui est habillé en « petit prince «, l. 14, elle en « reine de Saba «, l. 15), qui apparaissent en complet décalage avec la réalité, puisque personne ne se préoccupe d’eux (« Ils s’habillaient très bien pour personne «, l. 13, « inutilement bien habillés «, l. 11-12). Cette impression de décalage est encore renforcée par l’oxymore « ridiculement bien habillés « (l. 10-11) et par la comparaison ironique qui clôt le paragraphe deux : « On s’habillait comme des chanteurs d’après-midi mondaine « (l. 21-22), qui suggère que l’enfant et sa mère sont comme des duettistes sans public.  Les deux personnages semblent perdus dans un univers qui n’est pas fait pour eux, où ils semblent ne pas avoir leur place. Au restaurant, ils ne savent pas comment se comporter. L’emploi des adverbes est à ce titre significatif : ils prennent place « solennellement « (l. 25) et demandent « timidement « (l. 27) une bouteille de bière. Leur comportement modeste contredit leur apparence fastueuse. Le restaurant où ils s’arrêtent est plutôt misérable (une « petite baraque «, l. 26) et porte un nom ridicule dont l’orthographe est phonétique et fantaisiste (« Au Kass’Kroutt’s «, l. 27). Ce nom est d’ailleurs à prendre au pied de la lettre, puisqu’ils déjeunent de provisions apportées, ce qui accentue leur « gêne « (l. 31). C’est le regard des autres qu’ils redoutent, qui peut-être, comme celui du narrateur adulte, pourrait hésiter entre moquerie et apitoiement : « je considère avec pitié ces deux naïfs d’antan « (l. 11). On peut parler d’ironie douce-amère à propos de cette évocation, et les jugements portés après coup sur les personnages : « émotifs et peu dégourdis « (l. 25), « un peu empotés « (l. 30) ne sont pas dépourvus de tendresse.  Si le narrateur sourit de leur attitude, il éprouve aussi de la tristesse, et s’efforce de brosser un portrait élogieux de sa mère.    La mère est omniprésente dans le passage comme dans le livre d’A. Cohen, dont le titre : Le Livre de ma mère, est en même temps une dédicace. Comme on l’a vu, les deux personnages de la mère et du fils sont inséparables ; la mère est présentée comme composant un duo avec son fils, tous deux sont réunis dans un possessif pluriel (« nos «, répété l. 4). Ils apparaissent unis par des traits communs : ils sont « deux faibles et bien vêtus « (l. 5) ; ils partagent un même goût pour le bonheur simple de ces promenades dominicales. Surtout, le lien qui les unit est très fort, comme l’exprime l’hyperbole : « aimant à en remontrer à Dieu « (l. 5). D’autre part, le texte suggère que c’est pour faire honneur à son fils qu’elle s’est habillée de façon luxueuse. Derrière le ridicule se cache en fait un portrait attendrissant et valorisant. L’ironie ne doit en effet pas faire oublier l’amour et l’admiration pour la figure maternelle, pour cette mère qui savait embellir la vie de son enfant en transformant le banal tour du dimanche en une fête toujours recommencée.  Tout dans le comportement de la mère traduit son amour pour son fils et le texte, comme le livre, apparaît comme une ode à l’amour maternel. Cet amour maternel est perceptible à travers les gestes de la mère : « Elle me tendait une serviette… « (l. 34), dont la tendresse est soulignée par l’adverbe « amoureusement « (l. 35). La mère d’A. Cohen se réjouit à l’avance de ce moment d’intimité avec son enfant (l. 35-37). Dévouée, aimante, elle fait de son mieux pour apporter distraction et joie à son fils. Le repas prend à cet égard une valeur exemplaire et devient un moment de fête fastueuse. L’énumération des aliments (l. 33-34) traduit l’empressement de la mère à satisfaire son fils, à rendre ce jour exceptionnel. Certains de ces aliments ont des connotations orientales : « boutargue, rissole aux raisins de Corinthe « (l. 33-34). Le jeu des hyperboles : « splendeurs orientales « (l. 32), « merveilles « (l. 34) souligne l’émerveillement et la joie de l’enfant. Cette mère aimante est aussi une maîtresse de maison parfaite, qui repasse les serviettes en les amidonnant, prépare tout à l’avance (« la veille « l. 35). Une femme simple, qui se satisfait de ces moments avec son fils et fredonne de plaisir anticipé (l. 36).  Le texte cependant n’est pas dénué d’un sentiment de tristesse : « personne n’était avec eux, personne ne se préoccupait d’eux « (l. 12-13). Cette complicité sans pareil a aussi son revers : la solitude de l’auteur soudain privé de cette présence maternelle et protectrice. Parce que sa mère occupait une position centrale dans sa vie comme dans son imaginaire, le manque lorsqu’elle disparaît se fait plus cruellement sentir, et le deuil est plus difficile à supporter encore. La dernière phrase du texte introduit une rupture de ton et traduit le désarroi de l’auteur. La brièveté de la phrase : « Elle est morte « (l. 37-38) sonne comme une sentence finale, un constat tragique. Désormais tout est anéanti, ce passé merveilleux est aboli, la mère n’existe plus que dans le souvenir. L’auteur se répète cette phrase comme pour mieux se convaincre de cette mort, comme s’il avait du mal à y croire. Et ce simple constat exprime plus sûrement que des plaintes la douleur de la perte.    Vivant l’expérience du deuil, l’auteur, dans ce texte où l’ironie se mêle à la nostalgie, se réfugie un temps dans le souvenir d’un moment heureux de son enfance : les dimanches qu’il passait avec sa mère sur la promenade de la Corniche à Marseille. Moyen de faire revivre un court instant cette mère à qui il était si attaché, et de lui rendre hommage. Texte ironique et nostalgique, mais surtout texte de deuil où s’exprime la douleur de l’auteur, qui ne se remet pas de cette perte. Désormais la solitude de l’auteur sera aussi totale qu’était étroite la relation qui l’unissait à sa mère durant l’enfance.

« complet décalage avec la réalité, puisque personne ne se préoccupe d'eux (« Ils s'habillaient très bien pour personne », l.

13, «inutilement bien habillés », l.

11-12).

Cette impression de décalage est encore renforcée par l'oxymore « ridiculement bien habillés» (l.

10-11) et par la comparaison ironique qui clôt le paragraphe deux : « On s'habillait comme des chanteurs d'après-midimondaine » (l.

21-22), qui suggère que l'enfant et sa mère sont comme des duettistes sans public.Les deux personnages semblent perdus dans un univers qui n'est pas fait pour eux, où ils semblent ne pas avoir leur place.

Aurestaurant, ils ne savent pas comment se comporter.

L'emploi des adverbes est à ce titre significatif : ils prennent place «solennellement » (l.

25) et demandent « timidement » (l.

27) une bouteille de bière.

Leur comportement modeste contredit leurapparence fastueuse.

Le restaurant où ils s'arrêtent est plutôt misérable (une « petite baraque », l.

26) et porte un nom ridiculedont l'orthographe est phonétique et fantaisiste (« Au Kass'Kroutt's », l.

27).

Ce nom est d'ailleurs à prendre au pied de la lettre,puisqu'ils déjeunent de provisions apportées, ce qui accentue leur « gêne » (l.

31).

C'est le regard des autres qu'ils redoutent, quipeut-être, comme celui du narrateur adulte, pourrait hésiter entre moquerie et apitoiement : « je considère avec pitié ces deuxnaïfs d'antan » (l.

11).

On peut parler d'ironie douce-amère à propos de cette évocation, et les jugements portés après coup surles personnages : « émotifs et peu dégourdis » (l.

25), « un peu empotés » (l.

30) ne sont pas dépourvus de tendresse.Si le narrateur sourit de leur attitude, il éprouve aussi de la tristesse, et s'efforce de brosser un portrait élogieux de sa mère. La mère est omniprésente dans le passage comme dans le livre d'A.

Cohen, dont le titre : Le Livre de ma mère, est en mêmetemps une dédicace.

Comme on l'a vu, les deux personnages de la mère et du fils sont inséparables ; la mère est présentéecomme composant un duo avec son fils, tous deux sont réunis dans un possessif pluriel (« nos », répété l.

4).

Ils apparaissent unispar des traits communs : ils sont « deux faibles et bien vêtus » (l.

5) ; ils partagent un même goût pour le bonheur simple de cespromenades dominicales.

Surtout, le lien qui les unit est très fort, comme l'exprime l'hyperbole : « aimant à en remontrer à Dieu »(l.

5).

D'autre part, le texte suggère que c'est pour faire honneur à son fils qu'elle s'est habillée de façon luxueuse.

Derrière leridicule se cache en fait un portrait attendrissant et valorisant.

L'ironie ne doit en effet pas faire oublier l'amour et l'admiration pourla figure maternelle, pour cette mère qui savait embellir la vie de son enfant en transformant le banal tour du dimanche en une fêtetoujours recommencée.Tout dans le comportement de la mère traduit son amour pour son fils et le texte, comme le livre, apparaît comme une ode àl'amour maternel.

Cet amour maternel est perceptible à travers les gestes de la mère : « Elle me tendait une serviette… » (l.

34),dont la tendresse est soulignée par l'adverbe « amoureusement » (l.

35).

La mère d'A.

Cohen se réjouit à l'avance de ce momentd'intimité avec son enfant (l.

35-37).

Dévouée, aimante, elle fait de son mieux pour apporter distraction et joie à son fils.

Le repasprend à cet égard une valeur exemplaire et devient un moment de fête fastueuse.

L'énumération des aliments (l.

33-34) traduitl'empressement de la mère à satisfaire son fils, à rendre ce jour exceptionnel.

Certains de ces aliments ont des connotationsorientales : « boutargue, rissole aux raisins de Corinthe » (l.

33-34).

Le jeu des hyperboles : « splendeurs orientales » (l.

32), «merveilles » (l.

34) souligne l'émerveillement et la joie de l'enfant.

Cette mère aimante est aussi une maîtresse de maison parfaite,qui repasse les serviettes en les amidonnant, prépare tout à l'avance (« la veille » l.

35).

Une femme simple, qui se satisfait de cesmoments avec son fils et fredonne de plaisir anticipé (l.

36).Le texte cependant n'est pas dénué d'un sentiment de tristesse : « personne n'était avec eux, personne ne se préoccupait d'eux »(l.

12-13).

Cette complicité sans pareil a aussi son revers : la solitude de l'auteur soudain privé de cette présence maternelle etprotectrice.

Parce que sa mère occupait une position centrale dans sa vie comme dans son imaginaire, le manque lorsqu'elledisparaît se fait plus cruellement sentir, et le deuil est plus difficile à supporter encore.

La dernière phrase du texte introduit unerupture de ton et traduit le désarroi de l'auteur.

La brièveté de la phrase : « Elle est morte » (l.

37-38) sonne comme une sentencefinale, un constat tragique.

Désormais tout est anéanti, ce passé merveilleux est aboli, la mère n'existe plus que dans le souvenir.L'auteur se répète cette phrase comme pour mieux se convaincre de cette mort, comme s'il avait du mal à y croire.

Et ce simpleconstat exprime plus sûrement que des plaintes la douleur de la perte. Vivant l'expérience du deuil, l'auteur, dans ce texte où l'ironie se mêle à la nostalgie, se réfugie un temps dans le souvenir d'unmoment heureux de son enfance : les dimanches qu'il passait avec sa mère sur la promenade de la Corniche à Marseille.

Moyende faire revivre un court instant cette mère à qui il était si attaché, et de lui rendre hommage.

Texte ironique et nostalgique, maissurtout texte de deuil où s'exprime la douleur de l'auteur, qui ne se remet pas de cette perte.

Désormais la solitude de l'auteur seraaussi totale qu'était étroite la relation qui l'unissait à sa mère durant l'enfance.. »

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