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Commentaire du "Vallon" de Lamartine

Publié le 16/03/2011

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lamartine

« Le Vallon », est un poème romantique publié dans « Les médiations poétiques », (un petit recueil de 24 poèmes) en 1820. Il a été écrit par Alphonse de Lamartine, poète, écrivain, historien et homme politique français qui a appartenu au mouvement romantique au début de sa vie (sa poésie lyrique incarne une idéalisation de la nature). Ce poème s’inscrit donc dans la mouvance de la littérature romantique qui prône de laisser largement place à l'expression des sentiments et qui préconise la liberté et le naturel en art.

Dans ce texte il s’agit de voir comment le romantisme est l’expression des sentiments humains les plus naturels et pourtant les moins compris.

Nous verrons donc comment ce poème tourne autour de la nature et du panthéisme, pour ensuite étudier la psychologie de « la bulle » et enfin il s’agira de voir en quoi le romantisme relève d’un certain « orgasme » égocentrique.

 

 

Dans cet extrait du « Vallon », Lamartine décrit un endroit dans la nature qui lui semble être le lieu de la félicité suprême. Or, pour lui, qu'est-ce que la félicité ? Pour certains, elle se rattache à Dieu. Par exemple les moines dans les monastères recherchent une paix en consacrant leur vie à la religion. Pour les gnostiques elle est le fruit de la connaissance suprême. Mais pour les romantiques celle-ci se trouve dans la nature. Le premier sentiment, d'ailleurs, que l'on ressent en lisant ce poème est une sensation de bien-être, de paix. Celle-ci est due au champ lexical de la nature très présent tout au long du texte qui nous apaise :

«Ruisseaux», «verdure», «vallon», «source», «l'ombre», «eau», «nature», «les cieux» etc.

Et c'est dans cette recherche d'un dieu présent dans la nature, que les romantiques sont panthéistes. C'est-à-dire qu'ils appartiennent à une philosophie où, en voyant la nature, on se dit : « Voilà, tout ça c'est Dieu. » Le panthéisme est le contraire même de la théologie chrétienne[1], par exemple, qui dit : « Tout ça est en Dieu. » Donc pour les poètes romantiques, la nature est liée au divin... ou tout du moins à une certaine forme du divin qu’ils appellent « félicité ».

 

Et c'est pour cela qu'ils vont chercher dans la nature des lieux idylliques. Donc, ici, Lamartine décrit un endroit qui lui semble être le paradis ou du moins un lieu qui lui apporte la paix et la tranquillité :

      « Me couvrent tout entier de silence et de paix » (vers 4)

Mais le plus intéressant, c’est de se poser la question : «  Pourquoi les romantiques recherchent-ils ce lieu, ce paradis dans lequel ils semblent s'oublier eux-mêmes ?  Ne serait-ce pas pour pouvoir s’anéantir ? C’est-à-dire n’être plus rien, se laisser aller dans l’oubli dans lequel ils se sentent bien. » 

      « L’oubli seul désormais est ma félicité » (vers 24)

Les romantiques aiment se sentir flotter, errer dans un lieu sans danger, apaisant, qui n’est pas agressant. C’est pourquoi ce sont de grands mélancoliques. L’inconnu du futur est effrayant puisqu’on ne le connaît pas, donc on va sans cesse se remémorer le temps de sa jeunesse où l’on se sentait en sécurité.

 

 

 

Le romantisme est donc en fin de compte un état ontologique[2] que l’on se créer pour se sentir le plus possible comme dans le ventre de sa mère, là où le danger n’existe pas. Et on retrouve dans le fond du poème la sensation exacte que le bébé doit ressentir dans le ventre de sa mère. C’est-à-dire dans un endroit à flanc de coteaux où pendent des bois épais. (cf. vers 2).

Ici, il est visible que le narrateur se réfugie dans une « bulle » :

« Qui courbant sur mon front leur ombre entremêlée » (vers3)

Pour lui l'idylle n'est pas en plein désert, là où le soleil brille sans ombre. Son paradis n'est pas en pleine lumière, contrairement à d'autres philosophies pour lesquelles seule la pleine lumière de midi est synonyme d’accomplissement :

« l'obscure vallée » (vers 1)

« l'ombre qui les couronne » (vers 13)

La nature décrite y est moussue, ombragée, il y a de l'eau qui coule et ainsi fait entrer le personnage dans un état de béatitude :

      « Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée 

   Me couvre tout entier de silence et de paix. » (vers 3 et 4)

 

Or, c'est exactement la sensation qu’a le bébé dans le ventre de sa mère : le silence, la paix la douceur :

« Là deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure » (vers 5)

Le doux murmure du ruisseau doit s'apparenter, certainement, au bruit que le bébé entend dans le ventre de sa mère lors des échanges dans le cordon ombilical, ainsi que tous les bruits ouatés venant de l'extérieur. Nous étions tellement bien dans le ventre de notre mère !... et toute la vie, ainsi que l’œuvre d'un romantique, va consister à tenter d’y revenir. Le romantisme décrit absolument bien la part de nous-mêmes qui recherche les sensations qui nous rappellent « la meilleure chose qui ne nous soit jamais arrivée de notre vie !» : être perfusé dans une apesanteur et une inconscience « nirvanesque » éternelle ![3] :

« Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,

   Et non loin de leurs sources, ils se perdent sans nom » (vers 7)

 

Il y a ici une notion « d’être entre deux mondes », il n'y a rien de vraiment là, tout est ici et ailleurs en même temps… ce qui est très romantique ! Bien que Teilhard de Chardin n’ait pas du tout été un romantique mais un scientifique, on retrouve cet état d'esprit lorsqu'il dit :

« Dieu, ce cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part[4]

Rien n'est vraiment délimité chez les romantiques tout est comme « flottant », aucune agressivité extérieure ne doit déranger la douce harmonie de la bulle dans laquelle ils désirent vivre et errer… Alors, ils vont rechercher des états d’être ou d’âme.

« La source de mes jours comme eux s'est écoulée,

  Elle a passé sans bruit et sans nom et son   retour ». (vers 9 et 10)

Ces vers dans lesquels les jours qui passent sont comparés à une source qui coule, décrivent la monotonie d’une vie qui  nonchalamment se perd… sans sens, elle erre sans but au hasard, comme un spleen qui s’oublie et se fond dans la nature salvatrice.

Le temps et l'espace n'existent plus chez les romantiques, ils sont dans un no man's land « nirvanesque ».

 

 

Le romantisme est un nirvana !... mais c'est un nirvana dans lequel nous sommes notre propre centre. Le romantique est au centre de tout ce qu'il décrit, il est très narcissique. Alors que le nirvana bouddhique est une perte de son identité où l’on n’existe plus en tant que tel, le nirvana romantique est, au contraire, en plein dans l'exaspération de sa propre identité perdue.[5]

      « J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ».

Il refuse tout ce que donne à vivre la vie dans ce qu'elle a d’agressif et de violent. Chez les romantiques, la vie est toujours « trop ».

« Le mélancolique est celui qui est persuadé avoir tout perdu, sauf sa mélancolie à quoi il tient farouchement. C'est la maladie de celui qui, dépité de n'être pas tout, choisit, par un revers enfantin de l'orgueil, de n'être rien, ne gardant du monde que ce qui lui ressemble: le morne et le pluvieux. »[6]

                       

Le romantique n’est absolument pas tourné vers les possibilités du futur parce que ces possibilités-là sont vues comme quelque chose d'agressant. L'inconnu futur est angoissant, alors, l'éternel adolescent  va se retourner vers le connu du passé. Il va chercher, partout, à se mettre -dans sa relation aux autres- dans sa propre solitude rebelle et nihiliste.

Le romantique est un homme qui refuse la responsabilité des contraintes de vivre, il est volontairement perdu dans ses représentations d'un paradis clos sur lui-même comme un état à retrouver (il est le contraire des poètes engagés qui prennent la responsabilité de leurs engagements dans la vie, dans la politique, dans le social, la philosophie...)[7]

Il va projeter sur la mort une image qu’il a d'un retour dans le ventre de la mère. Donc il va fantasmer la mort non pas comme un départ dans un futur inconnu (même si cet inconnu est un néant), mais comme un grand retour dans le placenta originaire. Pour lui, la mort est toujours un retour en arrière… donc un retour vers l'oubli.

      « Je viens chercher vivant le calme du Léthé » (vers 22)

L'espace et le temps n'existent pas pour un foetus. Pendant toute notre jeunesse nous sommes immortels. Donc la mort chez les romantiques est projetée comme un grand retour à l'oubli primordial :

« Beaux lieux, soyez pour moi ses bords où l'on oublie, l'oubli seul désormais est ma félicité. »

 

 

 

La seule certitude que nous n'aurons jamais, c'est celle de notre propre mort.  L’adolescent, par nature, se sent, se voit, s'imagine immortel.  La rébellion du romantique contre la société  n'est peut-être que l'expression d'une  rébellion plus enfouie parce qu'irrémédiable : la rébellion contre notre propre mortalité.

Face à elle, certaines âmes plus sensibles que d'autres à l'inexorable,  se lancent à coeur et à corps perdu dans la création artistique, en espérant que leurs œuvres survivront à eux-mêmes  par procuration. D’autres, pour les mêmes raisons, feront des enfants...      

Alors, nous sommes tous, quelque part, des romantiques…


[1] Les œuvres de Lamartine seront mises à l’index par l’Eglise catholique (cf. Wikipédia)

[2] Relatif à l’être. Ontologie : étude de l’être en tant qu’être, indépendamment de ses déterminations particulières.

[3] « La première sensation qu'un bébé éprouve lorsqu'il naît, c’est celle de son propre poids. »  Françoise Dolto   « Solitudes »

[4] Extrait de : « Le milieu divin »

[5] « L’homme est un ange déchu qui se souvient des cieux » Lamartine

[6] Christian Bobin   « L’inespérée »

[7] Lamartine a écrit ce poème en 1820, c'est-à-dire avant son engagement politique de 1830. « Dès 1830, la pensée politique et sociale de Lamartine va devenir un aspect essentiel de son œuvre » (cf. Wikipédia)

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