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Commentaire d'un extrait du chapitre II de la rhétorique d'Aristote

Publié le 16/01/2011

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aristote

«On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres : mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.«. Ce fin jeu sur les mots d’Henri Poincaré montre comment la question de l’objet de la science reste prégnant dans les mentalités, et cela, certainement depuis que l’Homme réfléchit sur ce qui l’entoure. Ce n’est pas  s’avancer que de dire qu’Aristote avec des œuvres telles que la Rhétorique a cherché à classifier les modes de savoirs, ici dans le but de persuader plus efficacement. La Rhétorique est un ouvrage du philosophe grec Aristote, composé probablement entre 329 et 323 av. J.-C. et traitant de l'art oratoire (ou rhêtoriké tekhnê).L’extrait qui est mis en étude ici se trouve à la toute fin du second chapitre de cette œuvre. Les deux premiers chapitres ont en quelque sorte tirés trois fils directeurs ; le premier  pourrait se définir de la sorte : il s’agissait de démontrer l’analogie entre rhétorique et dialectique. Dès l’ouverture du chapitre I, il parle d’antistrophos qui pourrait se traduire par « pendant «. La rhétorique est le pendant de la dialectique, ce qui le démarquait singulièrement de son concurrent, dans l’Athènes philosophique, qu’était Platon. Il a donc dans la suite du chapitre, donné une suite de caractérisations qui ont permis, non pas d’identifier, mais bien de mettre en évidence une sorte d’analogie entre les deux ; elles ont entre elles un véritable rapport de symétrie .De par les objets qu’elles ont en commun, « les matières communes «, les techniques et les sciences sont en rapport.« Les matières les plus communes « entre la rhétorique et la dialectique peuvent porter tant sur les sujets, les propositions déjà attribuées à des domaines propres; on peut l’entendre aussi dans le sens où leurs objets ne sont pas encore déterminés, auquel cas ils seraient communs à ces dernières. Elles sont donc coextensives, elles ont le même champ de connaissance.

 

Il en est de même du point de vue de la méthode que du point de vue des objets. Toutes deux procèdent du même mode de raisonnement. En effet, elles usent du syllogisme déductif et de l’exemple inductif.

 

De la même manière, il a posé que la rhétorique, en tant que technique (qui permet à l’Homme de discerner ce qui est persuasif pour quelqu’un) et à l’image de la dialectique, s’adresse à telle sorte de gens et non au particulier.

 

L’enjeu de cet extrait est donc de permettre l’orateur d’avoir à sa disposition une sorte de classement topologique des modes de connaissances afin d’être plus persuasif dans son discours : qu’est-ce qui permet de déterminer ce qui est de l’ordre du rhétorique et dialectique ou de l’ordre de la science ? Il va donc articuler son argumentation en trois temps : après avoir caractérisé les topoï (lieux) I, il va développer l’importance des prémisses II pour en arriver à mettre en évidence les conséquences des choix de ces prémisses III.

 

      C’est donc après avoir approfondi les rôles respectifs de l’exemple et de l’enthymème, qu’il va en donner les sources : les lieux communs et les prémisses spécifiques. C’est sous la forme d’affirmation qu’il va introduire son propos. Tant dialectiques que rhétoriques les syllogismes « sont ceux à propos desquels nous énonçons les lieux « (ligne 1 – 3). Il faut entendre « à propos « au sens de « à partir «, nous pouvons déduire ceci tout simplement de la suite de son raisonnement. À la lumière de son propos, nous pourrions admettre l’hypothèse que la notion de lieu(ou élément : « C’est la même chose que j’appelle élément et lieu. « rhétorique., II, 26, 1403a16 )flirte avec la métaphore. Mais notons que l’exégèse actuelle préfère maintenant chercher l’explication juste dans un sens plus prochain du mot lieu : le lieu mnémonique. En effet, il s’agit ici de situer – presque comme dans un lieu imaginaire- le matériel du discours. C’est pourquoi il  peut dire (ligne 3 – 5) qu’ils « sont ce qui s’applique en commun aux questions de justice, de physique, de politique… «.il est significatif de voir comment Aristote mélange ce qui peut appartenir à la rhétorique (justice et politique) et ce qui appartient à la science (physique) afin de souligner le fait que les lieux sont en commun aux questions « d’espèces « (ligne 6). La notion « d’espèce « sera explicitée  juste après… Ainsi, pour illustrer le caractère commun des topoï, il met en œuvre la figure rhétorique de l’exemple du « lieu du plus et du moins «. Le plus et le moins, comme le juste et injuste ou le possible l’impossible (autres exemples de lieux communs- à ne pas confondre avec les idées reçues - dans l’œuvre d’Aristote) sont de l’ordre d’un réservoir tellement général qu’il en est définitionnel (les cinq catégories mais pas seulement) dans lequel l’«animal politique et raisonnable « peut piocher à sa guise. Il en fait d’ailleurs mention dans les Topiques en ces termes : « les idées les plus générales, celles que l'on pouvait utiliser dans tous les discours, dans tous les écrits « ; ce qui corrobore nos propos.

 

      Et c’est donc tout naturellement qu’il agence la prochaine phrase qui découle de la précédente : «car un syllogisme ou un enthymème tirés de ce lieu ne seront pas plus applicables à une question de justice qu’à une question de physique ou à n’importe quel autre sujet « (ligne 7 – 10). Le syllogisme est un raisonnement déductif et l’enthymème est un syllogisme appliqué à l’art oratoire. Si cette phrase paraît si naturelle au lecteur, c’est qu’elle est précisément la conclusion d’un syllogisme dont les prémisses sont : si les lieux s’appliquent à tous les domaines et que les syllogismes comme les enthymèmes s’appliquent à toutes les questions alors les syllogismes et les enthymèmes s’appliquent à toutes les questions. En effet, si un syllogisme ou un enthymème ne pouvait s’appliquer à un domaine  (ou, plus précisément, à une espèce) à partir d’un lieu, il deviendrait absurde de continuer  de parler de lieu commun.

 

      Aristote ajoute comme une sorte de paradoxe, et non de contradiction : « pourtant ces questions diffèrent en espèces « ligne 10 – 11.C’est donc cette phrase qui va lui permettre de glisser de la source lieux communs à celle des prémisses spécifiques. Ces questions diffèrent en espèces, et cette distinction ontologique ne retire rien au fait que de toutes ces espèces l’on peut tirer des syllogismes issus des lieux. Il ajoute : « D’autre part, sont des propositions spécifiques, toutes celles que l’on tire de prémisses qui relèvent de chaque espèce ou de chaque genre. «. Il s’agit ici de définir (au moyen d’une définition relationnelle) les « propositions spécifiques «, afin de pouvoir l’intégrer dans la catégorisation qu’il déploie ici. Il est intéressant de remarquer qu’en français, comme en grec le mot « spécifique « et le mot «espèce« dérivent l’un de l’autre alors qu’en français le mot vient du latin species. Doit-on y voir  l’ombre d’Aristote ?

 

      « Prémisses qui relèvent de chaque espèce de chaque genre« ; dans l’édition de référence, il est fait mention que les catégories d’espèces et de  genres sont mouvantes .Ceci n’enlève rien au fait qu’il décrit un nouvel embranchement dans son schéma : les prémisses des syllogismes, des enthymèmes ne se trouvent plus seulement dans les lieux communs mais au sein de chaque espèce. Pour illustrer cette assertion il va opposer la physique et l’éthique en affirmant que des raisonnements  déductifs trouvant leurs prémices dans l un n’apporteront rien à  l’autre. Afin de mieux saisir ce qu’il entend par là, on peut penser que les prémisses physiques telles que : si l’on sait qu’un corps plongé dans un liquide déplace un certain volume d’eau et que ce volume d’eau est égal au poids du  liquide déplacé, qui est lui-même égal à la poussée d’ d’Archimède on aura la définition de la poussée d’Archimède. Suivant Aristote, il est légitime de se demander qu’est-ce que ce syllogisme peut apporter à une question d’ordre éthique ? On constate donc qu’Aristote procède ici à une véritable compartimentation des modes de connaissance en précisant : « Et il en va de même dans tous les  domaines «.En toute logique, il va maintenant tirer les conséquences de ce travail de classement.

 

      Méthodiquement, il va maintenant remonter à son point de départ : les lieux communs. Et ce en signifiant que : « quant aux propositions tirées des les lieux communs, elles ne rendront spécialiste dans aucun genre de réalité, car elles ne portent sur aucun objet en particulier« (ligne 20 – 24). Qui peut le plus, peut le moins… Ce lieu commun est naturellement vrai, mais ce n’est pas cela qui est en cause ici. La vraie question est, est-ce que cette assertion nous rend plus performant en physique ou en politique ? Aristote tranche par la négative. Le bon sens le suit sur ce chemin, en effet cette prémisse issue d’un lieu ne peut elle seule, même en mettant en œuvre tous les syllogismes et enthymèmes du monde développer une théorie scientifique. Notons par ailleurs que l’homme de Stagire n’exclut pas qu’elle puisse être mises  à contribution dans la genèse d’une théorie scientifique, mais elles ne peuvent, en aucun cas, suffire à  cette genèse.

 

      C’est précisément ce qui distingue les lieux communs des prémisses spécifiques : les prémisses spécifiques, lorsque l’on raisonne sur ces dernières, on peut établir des théories scientifiques. Bien plus, elles peuvent même (si elles sont bien choisies) être constitutives d’une science. Elles ont, en elles-mêmes les germes essentiels (au sens originel du mot) d’une science. C’est pourquoi il peut dire (ligne 23 – 25) : « pour ce qui est des propositions spécifiques, meilleur sera le choix des prémisses, plus l’on constituera sans qu’il y paraisse une science (…). Il y a aussi dans cette phrase l’idée que, toujours dans le cas d’une espèce, la constitution d’une science dépend de l’exactitude des prémisses. La suite de la phrase rappelle que nous sommes littéralement en train de fabriquer une ontologie de la connaissance : ligne 24 - 25(…) Une science autre que la dialectique où la rhétorique, car si l’on tombe sur des principes, (…). Rappelons que, comme Aristote l’a montré plus haut, la dialectique comme la rhétorique peuvent s’appuyer tant sur des lieux communs que sur des prémisses qui leur sont spécifiques. Et c’est précisément en cela que la science se distingue fondamentalement d’elles ; en effet, le propre de la science est de ne chercher ses prémices qu’en elle-même. Si les prémisses sont assez exactes pour pouvoir ériger en science des raisonnements déductifs et inductifs issus de celle-ci, alors il s’agit de principes : ligne 25 – 29 (…) « Si l’on tombe sur des principes, plus dialectique ou de rhétorique qui tienne, il s’agira désormais de science dont on détient les principes «. Précisons que lorsqu’il parle de détenir les principes, il entend détenir les points de départ ; aujourd’hui, on dirait détenir tous les principes de la science, au sens de rouages. Ici, ce n’est nullement le cas. Seules les bases de la science sont posées avec ces principes…

 

       En définitive, il est important de recadrer la réflexion qui nous a occupé lors de cette étude dans l’entreprise plus globale de la Rhétorique. En effet, si Aristote se propose à faire ontologie de la connaissance, c’est à dessein : proposer aux dialecticiens et aux rhêteurs un matériel de pré- réflexion dans l’optique de rendre le discours plus efficient. Plus précisément, dans cet extrait,

 

      Il va donc dans la suite de l’œuvre intégrer cette classification ce qu’il réalise en les deux chapitres suivants : le premier sera ordonné à présenter des relations et leurs aspects aptes à procurer le principe d’enthymèmes véritables, l’autre sera réservé à leurs aspects dont procèdent les enthymèmes apparents.

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