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D'après Rousseau : « « Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme. » Livre I de L'Emile ou de L'éducation. Vous réagirez à cette assertion à l'aune de la lecture que vous avez faite de La Profession de foi du Vicaire savoyard de J.J.Rousseau.

Publié le 06/12/2010

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rousseau

Plan :

I- L’homme : de l’état de nature à l’état social

II- La théodicée de Jean Jacques Rousseau

III- La morale ou la thérapie du mal

 

  Dans son célèbre traité sur les Passions de l’âme(1649), Descartes émet cette assertion significative en relation étroite avec les penchants humains : « C’est d’elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie «.Parlant des passions, le philosophe pointe la grandeur et la misère de l’homme, ainsi que la double postulation (Ch.Baudelaire) de la destinée humaine, qui  nécessite une réflexion et une investigation de nature à éclairer le problème et la genèse de ce par quoi le devenir humain dégénère. A cet égard, le point de vue de Jean Jacques Rousseau se distingue de la pensée traditionnelle en choisissant comme point de départ cette constatation : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. « C’est le problème du mal qui est ainsi formulé dans le livre I d’Emile ou de l’éducation. S’il y a du mal dans le monde (« je vois le mal sur la terre «dit Rousseau), Dieu n’en est pas responsable. Mieux, lui-même et son œuvre sont sans aucun rapport avec le mal. Nous verrons dans ce qui suit en quoi consiste le mode d’articulation entre Dieu, l’homme et le mal. Afin d’élucider ce point problématique, nous interrogerons La Profession de  Foi du Vicaire Savoyard où Rousseau déploie d’une façon systématique sa vision morale. L’accent sera initialement mis sur le basculement de l’homme de l’ordre de nature à l’ordre social ; ensuite seront éclairées les grandes lignes de la théodicée rousseauiste qui diffère des théodicées traditionnelles ; finalement sera mise en valeur la morale comme assise au moyen de laquelle le mal pourrait être neutralisé.

 

       Il importe de signaler que pour Jean Jacques Rousseau, tout se situe dans le passage de l’état de nature à l’état social où la culture et la prépondérance de l’altérité impliquent  et entraînent une descente dans le mal.

          En effet, la rupture essentielle réside dans la dimension historique que l’homme acquiert en passant d’un état à un autre : l’homme tombe dans l’historicité ; c’est cette chute dans l’histoire,  nécessaire de facto, qui est porteuse de la dégénérescence fatale : l’essence même du temps est corruption. C’est aussi cette chute qui est à l’origine de la venue du mal au monde. Rousseau appréhende ce changement d’ordre comme une culpabilité et un obscurcissement. On en comprend que dans le cours du temps, l’homme se défigure et se déprave. Une fois engagé dans la durée, il est sujet à la dégradation et soumis à la loi de la dénaturation. C’est dire qu’il s’agit d’un désordre induit par le temps et revêtant l’aspect métaphysique et moral et entraînant un mal essentiellement imputable à l’homme : « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal, cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres et l’un et l’autre te viennent de toi «. C’est par ce constat plus direct et incisif que le Vicaire Savoyard fait état du mal que l’homme se doit d’assumer.

 

      En outre, le mal renvoie pour Rousseau à la contradiction de la nature et de la culture, c’est-à-dire à ce conflit inévitable dont parle Kant dans Conjectures sur le commencement de l’histoire humaine « de la culture avec la nature du genre humain comme espèce physique au sein de laquelle tout individu devrait atteindre pleinement sa destination.«  Ainsi, le problème du mal a une allure téléologique ,  en ce qu’il engage la question essentielle de la relation de la nature humaine et de sa destination morale. Tout le problème de Rousseau revient à développer les dispositions de l’humanité en tant qu’espèce morale, de sorte que la culture ne s’oppose pas à l’humanité en tant qu’espèce naturelle. Dans ce sens, force est de préciser  que le texte sur lequel nous nous penchons s’inscrit dans l’Emile, comme sa quatrième partie. Il ne vise pas tant à exposer une philosophie personnelle qu’à faire l’éducation d’un jeune homme qui doit entrer dans la société. L’éducation s’entend ici comme formation spirituelle de l’humanité, ce qui dénote la volonté de prévenir ou de redresser les transgressions patentes de l’ordre naturel.

 

   D’ailleurs, pour le Vicaire, c’est l’activité qui distingue l’humanité, et cette activité enveloppe l’intelligence,  ce qui favorise une formation et rend perméables les esprits. Toutefois, l’auteur précise radicalement dans La Profession de foi que le mal ne gît pas seulement dans la relation sociale, mais dans l’altérité, dans la pure figure de l’autre. En définitive, et selon les termes de Frédéric Deluermoz  dans La morale de Rousseau, c’est dans l’être hors-de-soi que réside l’essence du mal et du malheur. Le méchant est celui qui est hors-de-lui-même alors que le juste est celui qui existe dans la pleine adhésion à soi-même. Ainsi, le Vicaire face au jeune calviniste semble remette en cause tous les  dogmes et montre une détermination à se défaire de tous les préjugés sociaux et moraux : « J’appris ce qu’on voulait qu’on apprisse, je dis ce qu’on voulait que je disse. «Aussi faut-il en déduire qu’une refonte d’ensemble est nécessaire pour pouvoir cerner les contours du mal, délimiter ses expansions et en monter ses auteurs.

 

    Ainsi, le mal est installé et équivaut immanquablement à une déchéance. Mais comment le saisir  et le maîtriser dans un monde qui se présente comme un ordre qui procède de l’attribut essentiel de Dieu, la bonté ?

       Le Vicaire Savoyard montre au jeune calviniste qu’ « une volonté meut l’univers et anime la nature «, que l’existence d’un Etre suprême, garantie par « l’ordre sensible de l’univers «, est confirmée par son sentiment intérieur, mais qu’il lui est impossible de concevoir « l’essence infinie de Dieu « et qu’il lui faut s’humilier et lui dire « Etre des êtres, je sui parce que  tu es. Le plus digne usage de ma raison est de m’anéantir devant toi «. Il lui montre également que devant le grand nombre de religions révélées,  il ne faut s’en tenir qu’à ce cri intérieur et à cet appel intime qui permet de bien lire  ce livre  « ouvert à tous les yeux, celui de la nature «. Le Vicaire s’assure ainsi et assure de l’existence d’une « suprême intelligence  « après avoir présenté l’ordre de son existence, de celle du monde et l’activité de son jugement. Le point de départ  de cette investigation métaphysique est la présentation d’une preuve cosmologique de l’existence de Dieu, soit d’un raisonnement inductif qui prouve qu’un principe actif et pensant agit sur la matière qui est passive.

      Ensuite, l’ecclésiastique en vient à la considération de  l’œuvre divine du point de vue de l’ordre qui y règne. C’est un ordre qui se présente comme harmonie des êtres,  qui révèle les attributs essentiels de Dieu : « Que de sophismes ne faut-il pas entasser pour méconnaître l’harmonie des êtres et l’admirable concours de chaque pièce pour la conservation des autres « . Selon Rousseau, c’est une perfection qui traduit et reflète les deux propriétés fondamentales du Démiurge : la bonté et la justice. Par sa bonté, Dieu  produit le monde, par sa justice, il le conserve.  C’est bien de cette théodicée qu’il est question chez Rousseau qui célèbre un ordre qui relève substantiellement du bien et qui s’écarte du mal.

         La notion cardinale de la bonté divine dépend étroitement de l’ordre qui préside à l’harmonie de l’être .Cette bonté repose à la foi sur la puissance et l’amour de soi. C’est parce qu’il est suprême puissance et qu’il s’aime que Dieu est bon : « La bonté est l’effet nécessaire d’une puissance sans bornes et de l’amour de soi essentiel à tout être qui se sent «. Par ailleurs, précisons que cette relation interne de la puissance et de l’amour, outre qu’ils constituent une pleine présence à soi, revêt un aspect expansif , un mouvement  qui fait comprendre qu’il y a un univers , un autre que Dieu. Ce mouvement hors de soi et cette harmonie s’étendent sur les êtres et viennent constituer la nature. Cependant, le Vicaire est loin de défendre l’idée de la création : « Qu’un être  que je ne conçois pas donne l’existence à d’autres êtres, cela m’est obscur et incompréhensible «. Ce qui est inintelligible, c’est l’idée d’altérité qui introduit la notion de création. La bonté de l’Etre implique une continuité de Dieu et de la nature, processus qui s’opère selon un ordre parfait et indéfectible.

 

Il s’est donc avéré que ce n’est pas la Providence qui influence les actions de l’homme et engendre donc le mal. C’est bien l’homme qui est cause de ses propensions maléfiques et de ses vices dont il peut se débarrasser en retournant à l’état de nature.

                 D’une part, le mal pour Rousseau provient uniquement de l’homme. Les spéculations métaphysiques du Vicaire ne visent pas à découvrir quelques sources ontologiques du mal dans la notion de création. Bien au contraire, elles tendent à établir le caractère strictement moral de cette déviation .Le mal s’attache essentiellement à la liberté, puisqu’il réside dans le fait que l’homme abuse de sa liberté. Dans ce sens, la morale s’entend chez Rousseau comme mise en œuvre de moyens pour surmonter le mal. C’est une thérapie pour remédier au désordre que l’homme induit au sein de l’ordre. Si le mal est l’ouvrage de l’homme, il incombe à ce dernier de faire bon usage de sa liberté, en se conduisant selon la nature, c’est-à-dire selon la volonté divine. Il s’agit d’obéir à sa conscience « juge infaillible du bien et du mal «. Dieu nous a donné « la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir «. Et c’est de nous seuls que dépend notre bonheur. A cet égard, il importe de signaler  que dans La Profession de Foi, le vicaire présente avec  enthousiasme au jeune Emile une apologie de la conscience morale. Le passage le plus célèbre est la prosopopée de ce recours ultime et perspicace.  Rousseau voit en elle ce à quoi l’homme doit sa dignité, l’élevant au rang même de Dieu  « Conscience ! Conscience ! Instinct  divin ,  immortelle et  céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné ,mais intelligent ; juge infaillible du bien et du mal qui rend l’homme semblable à Dieu.. «

         En outre, il s’agit de retenir l’ambition du Vicaire d’être curé et de célébrer la bonté au sein de ses paroissiens. Son but est d’assumer  pleinement la responsabilité de l’éducation morale de ceux qui lui sont confiés. Le Vicaire aimerait avoir la charge du « ministère de la bonté «.Il aimerait, pour ce faire, tenir « une cure dans nos montagnes «. Ce qui point dans cette préférence est tout autre chose qu’une affinité subjective. L’interlocuteur du Vicaire « vit des mœurs nouvelles et faillit en être victime « dans une ville d’Italie. D’où l’élection de la Savoie comme site de prédilection du vicaire  qui semble pointer la ville comme lieu de perdition et de dépravation. De ce point de vue, dans un monde dissolu, on ne saurait être mieux abrité de la perversité que dans les montagnes. Il faut donc voir dans La Savoie de Rousseau  l’expression d’un archétype moral. On peut penser ici à la Bible, mais aussi à Machiavel qui, dans Les Discours sur La première décade de Tite-Live, fait de la montagne  le lieu privilégié de la virtù. On en comprend que c’est au sein de la nature et de son ordre présenté comme pureté et harmonie que Rousseau invite à se délester des scories du mal historiques et des impuretés de la société moderne.

       D’autre part, l’impératif de Rousseau à travers son Vicaire est de surmonter le mal en s’inspirant de ce qui est institué par la nature et non par les hommes. Mieux, force est d’écouter ces règles morales « écrites ….au fond du cœur en caractères ineffaçables « pour accéder au bonheur. Les trois derniers paragraphes de La Profession de Foi constituent une conclusion où l’honnête ecclésiastique frappe un coup contre les religions révélées et un autre contre les philosophes. Cette conclusion rassemble l’essentiel de l’enseignement à dispenser ,  en plus d’une forte exhortation incitant le jeune à aller au-delà des doutes semés dans son esprit et d’adopter in fine le parti du cœur où résonne la vérité sublime et divine :  «mon fils, tenez votre âme en état de désirer toujours qu’il y ait un Dieu , et vous n’en douterez pas .«  Rousseau oppose ainsi aux religions positives sa religion indépendante de toute tradition. Il est convaincu que si l’on était resté fidèle à la voix du cœur, on n’aurait pas eu d’autres religions que cette seule religion. Dans sa Lettre à Vernes (1758), la profession de foi de Rousseau est on ne peut plus explicite : « L’Evangile est le plus sublime de tous livres, mais c’est un livre. Dieu n’a pas écrit sur les feuillets d’un livre, mais dans le cœur des hommes «. C’est dire que le cœur humain et son intimité représentent la référence ultime pour toute personne férue de vérité.

 

   De  ce qui précède, nous avons retenu essentiellement que Rousseau , après avoir fait état de l’existence du mal, de la rupture du règne humain avec l’ordre de nature, analyse les conditions d’un retour à l’ordre, donc d’un retour vers Dieu, l’Etre parfait, bon et suprême ; mais aussi d’une union de l’homme à l’ordre, condition de la félicité. Une réhabilitation est possible par le biais d’une morale à comprendre comme efforts destinés à transcender les conséquences d’une chute et à réconcilier l’homme, qui demeure perfectible, avec la nature et la société. C’est d’ailleurs celle-ci qui est toujours le lieu du surgissement  du mal et des problèmes pour Jean Jacques Rousseau  qui nous dévoile  dans ses Rêveries du Promeneur Solitaire le complot dont il est victime : « Pouvais-je dans mon bon sens supposer qu’un jour, moi le même homme que j’étais, le même homme que je suis encore, je passerais, je serais tenu pour un monstre, un empoisonneur, un assassin, que je deviendrais l’horreur de la race humaine ? « On ne peut qu’en tirer que la société est éternellement la source de tous les maux et que l’Autre reste à jamais pour Rousseau, pour Sartre et pour nous un enfer dont il faut savoir sortir. 

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