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Détente ou paix ?

Publié le 22/02/2012

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7-10 décembre 1987 - Les peuples sont versatiles. Celui des Etats-Unis ne fait pas exception à la règle. Oubliée la peur des " rouges " : voici des millions d'Américains saisis par la " gorbymania ". Finie la croisade contre l' " empire du mal " : quitte à se faire traiter d' " idiot " par le président du " caucus " conservateur, Reagan n'hésite pas à déclarer qu'avec Gorbatchev il va s'occuper non seulement de " détente ", mais de paix véritable. On se croirait revenu, pour un peu, à l'époque où Uncle Joe, alias Staline, était l'idole des Yankees. Ecoutons Roosevelt, dans ses confidences à l'ambassadeur Bullitt : " J'ai comme l'impression que tout ce que Staline désire, c'est assurer la sécurité de son pays. Je pense que si je lui donne tout ce qui me sera possible sans rien lui réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d'annexer quoi que ce soit et travaillera à fonder un monde de démocratie et de paix " (1). Noblesse oblige ! Et allez donc... Reagan n'en est pas là. Mais enfin il tombe sous le sens qu'il préférerait demeurer dans l'histoire comme l'homme de la réconciliation avec Moscou plutôt que comme celui de l' " Irangate " ou de la dégringolade du dollar. Autrement dit, il est demandeur. Il faudrait à son illustre visiteur une singulière magnanimité pour ne pas tenter d'en profiter. Outre que la magnanimité n'a jamais figuré au catalogue des principes du léninisme, c'est là un luxe que le numéro un soviétique peut difficilement se permettre. Il a des ennuis par-dessus la tête. Depuis le limogeage du chef du parti pour la capitale, il est clair qu'il ne fait pas exactement ce qu'il veut chez lui : le soutien d'une bonne partie de l'intelligentsia ne suffit pas à effacer la résistance d'une nomenklatura qui craint de perdre ses privilèges, ni la réserve de travailleurs à qui on a trop promis depuis soixante-dix ans que demain on raserait gratis. La situation n'est pas plus brillante dans le " camp ". La Roumanie s'enfonce dans le cauchemar. La Pologne, consultée par référendum, a dit zut à Jaruzelski. Le " modèle " hongrois n'en sera bientôt plus un : comme dans un vulgaire pays d'Amérique latine, un endettement démentiel conduit la patrie de Liszt et de Bartok à une baisse verticale du pouvoir d'achat. L'incroyable dynamisme économique du reste de l'Asie orientale souligne encore un peu plus le dénuement de l'Indochine. Le propre frère du président de la République afghane vient de passer à l'étranger. Le spectre de la famine écrase de nouveau une Ethiopie ravagée par la guerre civile. En Angola et au Mozambique, le soutien de l'Afrique du Sud à la rébellion élimine tout espoir pour le pouvoir communiste d'en finir avec elle. Cuba coûte cher, et le Nicaragua est littéralement assiégé. Dans un tel climat, la politique étrangère offre à Gorbatchev le seul terrain où il puisse engranger rapidement des résultats assez spectaculaires pour faire taire les jaloux. Certes, il a consenti d'entrée de jeu de fortes concessions. Qui eût cru, au plus fort de la crise des euromissiles, qu'un jour viendrait où un numéro un soviétique accepterait la destruction de la totalité de ses SS-20 ? Mieux, qu'il ouvrirait tout grand ses frontières aux contrôleurs américains, alors que Khrouchtchev avait juré ses grands dieux à Eisenhower que jamais l'URSS ne laisserait des étrangers " pénétrer dans sa chambre à coucher " ? Le seul terrain fertile Cela dit, ces concessions prouvent surtout que " Gorby " est sensiblement plus habile que ses prédécesseurs, lesquels avaient tendance à confondre diplomatie et obstination. S'il est parvenu à convaincre ses militaires d'accepter de bon coeur la destruction d'armes aussi coûteuses, c'est qu'il disposait de bons arguments. Il est facile d'en imaginer quelques-uns : la prochaine obsolescence des armes en question, qui réduit l'effet de leur démantèlement la disparition, en contrepartie, de fusées adverses capables d'atteindre en une demi-heure n'importe quel point de l'Europe soviétique jusqu'à Moscou la diminution, face aux gros bataillons et aux armes chimiques du pacte de Varsovie, de la protection de l'Europe occidentale l'affaiblissement de l'automaticité de la réplique américaine à une agression, nucléaire ou pas l'encouragement donné au neutralisme, notamment en Allemagne enfin, et ce n'est pas le moindre de ces arguments, la quasi-certitude qu'il sera impossible de réintroduire des Pershing-2 ou des missiles de croisière en Europe de l'Ouest le jour où l'URSS s'estimerait justifiée par un regain de tension à déployer à nouveau ses propres joujoux atomiques. On comprend que, au vu d'une telle liste, nombre de responsables, en Occident, s'arrachent les cheveux. Mais la mauvaise humeur n'a jamais servi de rien. De toute façon, les opinions de nos pays ne comprendraient pas que l'on fît la fine bouche sur ce qui constitue tout de même le premier accord de désarmement véritable depuis la guerre. Jusqu'à présent, en effet, il ne s'était agi que de limiter, qualitativement d'ailleurs plus que quantitativement, l'ampleur de la course aux armements : l'objet du traité qui sera signé le mardi 8 décembre 1987 à Washington est tout autre, puisque ce texte prévoit pour la première fois la destruction d'armes existantes. Tout donne à penser de surcroît que l'on ne va pas s'en tenir là. Gorbatchev paraît disposé à ne plus exiger, pour signer un autre accord, portant celui-là sur la réduction de moitié des arsenaux stratégiques des deux camps, la renonciation préalable des Etats-Unis à la " guerre des étoiles " : sans doute s'est-il convaincu que celle-ci avait peu de chance de survivre à Reagan... Or la diminution de 50 % du nombre total des fusées intercontinentales détenues par les Etats-Unis aboutirait, si l'on en croit un ancien conseiller présidentiel, le général Scowcroft (2), à réduire considérablement l'efficacité de l'élément le plus sûr de la dissuasion américaine les sous-marins nucléaires lanceurs d'en gins. Des portes de sortie ? Gorbatchev va plus loin encore : au fil de ses discours, interviews, articles de journaux, il s'est montré ouvert à l'idée de discussions sur la réduction des armes classiques et chimiques. Il a évoqué un élargissement du rôle des Nations unies, auprès desquelles il s'est acquitté d'un joli arriéré de cotisations. Il donne de plus en plus l'impression de chercher des portes de sortie aux impasses héritées de ses devanciers : au Cambodge, au Nicaragua et, plus difficilement, en Afghanistan et en Angola, des solutions commencent à se dessiner qui, il y a quelques mois encore, eussent paru impensables. Si l'on ajoute que le Kremlin s'est bien gardé d'encourager Kadhafi à répliquer à Hissène Habré, que Gromyko, devenu chef de l'Etat soviétique, vient de faire en personne la leçon à l'Iran, et que les pays de l'Est renouent tout doucement avec Israël, on comprend ce qui a poussé Reagan à créditer son interlocuteur, quitte à aller un peu vite en besogne, du mérite d'avoir renoncé à l'expansionnisme. ANDRE FONTAINE Le Monde du 8 décembre 1987

« Tout donne à penser de surcroît que l'on ne va pas s'en tenir là. Gorbatchev paraît disposé à ne plus exiger, pour signer un autre accord, portant celui-là sur la réduction de moitié des arsenauxstratégiques des deux camps, la renonciation préalable des Etats-Unis à la " guerre des étoiles " : sans doute s'est-il convaincuque celle-ci avait peu de chance de survivre à Reagan...

Or la diminution de 50 % du nombre total des fusées intercontinentalesdétenues par les Etats-Unis aboutirait, si l'on en croit un ancien conseiller présidentiel, le général Scowcroft (2), à réduire considérablement l'efficacité de l'élément le plus sûr de la dissuasion américaine les sous-marins nucléaires lanceurs d'en gins. Des portes de sortie ? Gorbatchev va plus loin encore : au fil de ses discours, interviews, articles de journaux, il s'est montré ouvert à l'idée dediscussions sur la réduction des armes classiques et chimiques.

Il a évoqué un élargissement du rôle des Nations unies, auprèsdesquelles il s'est acquitté d'un joli arriéré de cotisations. Il donne de plus en plus l'impression de chercher des portes de sortie aux impasses héritées de ses devanciers : au Cambodge,au Nicaragua et, plus difficilement, en Afghanistan et en Angola, des solutions commencent à se dessiner qui, il y a quelques moisencore, eussent paru impensables. Si l'on ajoute que le Kremlin s'est bien gardé d'encourager Kadhafi à répliquer à Hissène Habré, que Gromyko, devenu chef del'Etat soviétique, vient de faire en personne la leçon à l'Iran, et que les pays de l'Est renouent tout doucement avec Israël, oncomprend ce qui a poussé Reagan à créditer son interlocuteur, quitte à aller un peu vite en besogne, du mérite d'avoir renoncé àl'expansionnisme. ANDRE FONTAINE Le Monde du 8 décembre 1987. »

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