Devoir de Philosophie

Devoir

Publié le 03/09/2012

Extrait du document

En quoi le personnage de roman reflète t-il la société ? Il y a une histoire de la France littéraire. La littérature, en particulier ce genre qui a englouti la presque totalité de la production littéraire et qui s’appelle le « roman » s’inscrit dans une histoire, dans un espace et dans une société dont elle reflète les questions, les réponses, mais aussi les désordres, les contradictions, les luttes et les misères. Le personnage de roman, dans la mesure où il est parfois le double de l’auteur ou une marionnette qu’il utilise à des fins littéraires, reflète quelque chose d’une société donnée. Ce reflet, est-il une totalité ou n’est-il qu’une partie du contexte historique d’une époque ? L’auteur en est-il prisonnier ou peut-il aussi jouer, s’en extraire, voire s’en libérer ? Nous verrons dans un premier temps le roman en tant qu’il est ce miroir que le romancier promène sur le chemin, nous verrons ensuite qu’il ne peut être qu’un miroir, car en quoi se distinguerait-il alors du simple documentaire, et enfin nous verrons également qu’il peut tout simplement refléter une âme. Les hommes sont dans l’Histoire, presque prisonniers de la société à laquelle ils appartiennent, qu’ils y occupent des fonctions privilégiées, qu’ils la contestent ou qu’ils s’y adaptent. Le romancier n’échappe pas à la règle. Mais cette société, il n’y est pas toujours à l’aise. Il n’y adhère pas totalement. Ecrirait-il si cela était le cas ? Ce dont il témoigne souvent, c’est d’une distance plus ou moins grande par rapport à cette société, et en particulier par rapport à ses choix. Ainsi V. Hugo écrit-il sa vaste fresque humanitaire les Misérables comme une immense plaidoirie pour le peuple. Reflètent-elles véritablement l’état de ce qu’on appelle le peuple ? Oui, certes, mais avec le romantisme propre à l’auteur de la Légende des siècles, avec la couleur particulière qui lui est propre et avec cette intention aussi qui est la sienne. Et bien sur dans ce style un peu grandiloquent et emphatique propre au chef de file du romantisme français. De même Zola décrit-il le peuple tel qu’il est vraiment à travers l’alcoolisme de Gervaise dans l’Assommoir? Il s’est pourtant largement documenté sur la question. Nana reflète t-elle la société pervertie et débauchée telle que la décrit Zola. Le jugement d’Anatole France est révélateur : « Zola prête à tous ses personnages l’affolement de l’ordure. Jamais homme n’a fait un pareil effort pour avilir l’humanité ». Les historiens sont unanimes à souligner la frénésie de plaisirs qui a saisi la société française dans les dernières années du second Empire. La banalisation de la débauche apparut à Zola d’autant plus scandaleuse qu’elle était bâtie sur la nudité des femmes de l’aristocratie, qui suivaient en cela l’impératrice : elle avait mis les épaules nues à la mode parce que les siennes étaient fort belles. En est-il de même de Stendhal ? Ses héros sont des héros romantiques, empreints de sombre grandeur comme Julien Sorel, ou d’une inconscience énergique et désarmante comme Fabrice del Dongo de la Chartreuse de Parme. Il reflète d’une certaine manière une partie de la société d’alors, à travers une noblesse un peu rêvée et une vie politique qui, quant à elle, traduit à travers la petite société inventée, une profonde connaissance des ruses des hommes face au pouvoir. Le roman et le romancier peuvent-il s’émanciper de cette société omniprésente qui peut étouffer les destins ou au contraire les permettre ? Sans doute… Mais il faut attendre un peu. Il faut attendre l’émancipation du personnage traditionnel tel qu’il a pu porter ainsi pendant quelques temps le fardeau de cette fonction qui attache le roman à la description d’une société, à ses moeurs en particulier. Le réalisme de Flaubert et de Maupassant libère au fond le roman de cette fonction de miroir, dont Zola reste encore prisonnier. Mme Bovary décrit la province normande et une petite bourgeoisie écoeurante. Homais est le grand vainqueur de ce livre. Mais le bovarysme est de tout temps et dépasse ce siècle étouffant. Aujourd’hui encore, les mauvaises lectures, les illusions un peu sottes, l’aveuglement existent. Ils sont de toute époque, éternels peut-on dire. Les personnages de Maupassant, qui décrivent des vies gâchées, des moeurs rurales odieuses, des égoïsmes monumentaux, sont-ils le reflet d’une société ou du pessimisme foncier d’un homme malheureux ? Il est en tous les cas éclatant que la société est dans ce moment de l’histoire littéraire un fait obsédant, dont le roman porte la trace. Les littératures non européennes portent plus visiblement la trace du monde concret dans lequel les hommes vivent et que Maupassant rendait comme aucun autre sans doute. Elles sont parfois plus difficiles d’accès. Le roman japonais a ses codes esthétiques, certes, qui diffèrent des nôtres, mais il décrit aussi une société dont les codes différent profondément. Il va s’en dégager. Les romanciers du siècle suivant poursuivent l’effort, poursuivent le rêve. Mais ils trouvent d’autres esthétiques, d’autres recettes aussi parfois. Certes La peste de Camus semble se passer dans une ville, Oran, mais, cette peste est plus symbolique que réelle. C’est la métaphore du mal, du mal qui obsède les hommes et qui marque toute leur histoire. Le mal, bien plus que la société est la hantise de l’écrivain. Et le roman est tout autant le reflet des préoccupations philosophiques et métaphysiques des hommes que le reflet des sociétés. Balzac l’incarne sans doute mieux que tout autre avec sa Comédie humaine qui tend à tout montrer du monde humain, social, politique, métaphysique, moral. Le mal est-il social, est-il inhérent aux hommes, est-il porté par la société comme le voulait Rousseau ? Peut-on y échapper ? L’homme a-t-il un peu de liberté, est-il contraint par le milieu ? Le roman s’attache plus que tout autre genre à la question de la liberté humaine, et à la question de la justice. Le romancier est un homme inconsolable disait Herman Hesse. Il ne se console pas de la misère humaine. Il ne s’y résout pas. Il hurle, pleure et se débat ; Driss Charïbi dans l’univers maghrébin, l’auteur de l’Immeuble Yacoubian, ne reflètent pas une société musulmane soumise à l’Islam. Ils se dressent contre elle. Ils sont de la lignée des L.F. Céline, le Céline du Voyage au bout de la nuit. La lignée des imprécateurs. Ils sont en marge de la société. Ils protestent contre elle, s’insurgent et réclament d’autres droits que ceux que la société donne. Le droit d’être et de vivre en homme libre. Et c’est en cela que le roman ne peut ni ne doit se contenter d’être un simple miroir. Il ne le peut, car aucun homme n’est un miroir objectif. Du simple fait de son expérience, d’être né « puissant ou misérable », sa sensibilité se colore, et parfois il ne peut se libérer de son passé. Ou même de son temps. Camus écrit depuis son passé de «pied-noir », Malraux depuis son expérience de résistant. Saint Exupéry de son expérience de pilote. Ce n’est pas tant la société qui obsède Malraux que la communion entre les hommes, que la fraternité, et que la « condition humaine ». Ou Kessel, entêté d’aventure. Cette condition qui est la même quelle que soit la société où les hommes vivent, aiment et meurent. Condition incarnée. Condition incarnée certes, mais à laquelle les hommes aspirent à échapper, comme à leur conditionnement familial, tribal ou social. Julien Sorel meurt de ne pas échapper à son milieu, Fabrice del Dongo n’est sympathique que parce que précisément il transcende par sa jeunesse piaffante et impatiente toute la société à laquelle il appartient. Les aventuriers de Kessel n’appartiennent à aucune société organisée, hormis la leur. Igrisheff est un homme sans code, au fond sans honneur, en dépit d’une sorte de grandeur. Le monde de Kessel ne reflète pas une société, il décrit des hommes plus grands que leur temps, qui ne sont pas de leur temps. Il décrit un ailleurs qui n’est pas seulement un ailleurs temporel mais un ailleurs de l’âme. Car ce que les romanciers décrivent, c’est aussi l’homme. L’homme tel qu’il est, tel qu’il se rêve, tel qu’il s’invente, tel qu’il se projette. L’homme dans toutes ses dimensions : le même et l’autre, l’idéal et le réel, dans ses mensonges et ses illusions, dans sa cupidité mais aussi dans sa profonde générosité. Et dans le meilleur du roman, toutes ces dimensions se mêlent avec bonheur. Il en est ainsi sans doute des romans de Salman Rushdie, comme Les enfants de Minuit, où le réel indien et le fantastique semblent se lier indissolublement. Kipling avait le même don de conteur, mais moins de subversion. Le personnage de roman n’a pas fini sa longue histoire. Il se prête à toutes les métamorphoses et il endosse tous les désirs et les attentes des hommes. Il a pu s’appauvrir à un moment de son histoire, lorsque l’esthétique du nouveau roman a cru en finir avec le réel. Mais il n’a pas encore dit son dernier mot. Le roman a une fonction : celle de connaissance. Une connaissance toute particulière, qui n’est pas la connaissance scientifique, sèche, appauvrie, appauvrissante et dénuée de coeur lorsqu’elle ne s’accompagne de rien d’autre que de sa suffisance : la connaissance du coeur humain, qui est d’une richesse surabondante, dans ses errances comme dans ses droitures, dans le meilleur de ses rêves, dans le meilleur de son rêve, comme dans ses pires cauchemars.

Liens utiles