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DIDEROT. LE SUPPLEMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE

Publié le 27/02/2008

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diderot

1- Le dialogue dans le Supplément au voyage de Bougainville :

Les écrivains de la fin du XVIIème siècle et du début du XVIIIème siècle cherchent à inventer des formes nouvelles pour mettre en scène la philosophie. Conte philosophique et dialogue philosophique relèvent de la même démarche : proposer une démarche philosophique réelle tout en séduisant le lecteur. Le dialogue philosophique souvent pratiqué par Diderot permet ainsi de proposer une démarche de réflexion, une pensée en action. L’essentiel repose dans la mise en scène de la / des paroles, des deux voix qui se répondent. Cette forme permet d’éviter la lourdeur du traité tout en profitant de l’attrait de la rapidité de l’argumentation, du jeu, de la distance ironique et de la double énonciation. Certes le XVIIIème siècle n’a pas inventé le dialogue d’idées. Il remonte à l’antiquité : Platon (on peut d’ailleurs remarquer qu’une des premières œuvres de Diderot est une traduction de L’Apologie de Socrate), Cicéron. Il est également repris au cours du XVIème siècle et du XVIIème siècle, mais sous la forme d’une juxtaposition de discours héritée de la pratique de la disputatio. Il s’agit le plus souvent de répliques longues, d’une juxtaposition de discours plutôt que d’un vrai débat d’idées.

            Le dialogue philosophique connaît un véritable tournant au cours du XVIIIème siècle. Plusieurs éléments en sont à l’origine : l’émergence d’un idéal de conversation qui dessine un équilibre entre le sérieux du propos et la liberté, le naturel, l’enjouement du dialogue, ainsi que la naissance d’un véritable modèle de polyphonie avec les Provinciales de Pascal, dans lesquelles le scripteur s’intègre à deux systèmes de pensée et de paroles différents (Pascal fait parler le jésuite comme un jésuite et le provincial comme un provincial). Chez Voltaire et chez Diderot , les sauvages (L’Ingénu, Orou) ne s’expriment pas comme de vrais sauvages, le lecteur peut s’identifier à plusieurs personnages.Le dialogue entre Orou et l’aumônier dans le SVB relève moins d’une critique de la religion que d’une critique de la morale qui lui est associée, la morale sexuelle en particulier.

 

2-   La place de l’apologue de Polly Baker est significative à cet égard : la morale qui la fait condamner est en opposition totale avec la loi de la nature qui lui accorde santé, fertilité et même amour de ces enfants auxquels elle prodigue autant de soins qu’elle peut.

L’habileté de Diderot est de rappeler que ces enfants sont des créatures divines, douées d’âmes immortelles, qui peuvent et doivent prétendre à l’amour qu’a enseigné Jésus Christ, cet argument mis dans la bouche de Melle Baker et pathétique dans sa bouche est très habile, propre à toucher les consciences vraiment chrétiennes .

La plaidoirie de Polly Baker sert aussi et surtout à montrer que les lois peuvent évoluer. En effet, le jury l’acquitte , reconnaissant que la loi qui la condamnait était non seulement sévère (pour elle et pour ses enfants) mais encore injuste puisque le magistrat lui-même propose de réparer ses torts. On peut penser que Diderot nous donne en exemple un société plus neuve moins sclérosée que les sociétés européennes, mais c’est sur la réflexion sur les lois que s’achève la discussion entre deux Français, A et B, un « philosophe » et un homme ordinaire (= lecteur): les lois et leur possible abrogation ou évolution.

La plaidoirie est donc au cœur de l’œuvre, au cœur de la discussion sur la morale sexuelle qui oppose Orou et l’aumônier et dans laquelle l’histoire de Polly Baker est intégrée comme exemple et au cœur de la réflexion plus générale sur les lois que tiennent A et B. Diderot ne veut pas seulement dans ce livre remettre en question la morale sexuelle comme le faisaient les romans libertins fort en vogue au XVIII° siècle mais amener ses lecteurs à une réflexion plus générale sur les lois, leur bien-fondé et leur possible évolution .

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