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DISCOURS DU 13 MAI 1791 DE ROBESPIERRE A LA CONSTITUANTE

Publié le 14/12/2011

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discours

 

 

 

 

Passage étudié : depuis « Dès le moment où dans un de vos décrets « jusqu’à « ni la nation, ni les colonies, ni l’humanité entière «.

 

 

Introduction : en 1791, année de ce discours, la Révolution a brisé la monarchie absolue, créé une Nation, aboli les privilèges, rédigé la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen « et nationalisé les biens du Clergé.

Cependant, demeure la pratique de l’esclavage des Noirs dans les colonies. En effet, en 1790, l’Assemblée Constituante a adopté un décret qui maintient l’esclavagisme sur les recommandations des colons blancs, des noirs affranchis et des mulâtres.

Toutefois, dans son discours enflammé du 13 mai 1791, un député intrépide et pugnace du nom de Maximilien Robespierre défend ardemment son abolition à la constituante. Quelles formes revêt son apostrophe ? Nous verrons qu’il s’agit d’un discours éloquent et direct qui véhicule également une mise en garde menaçante à l’encontre de la députation et par extension, de tous les hommes.

 

I  Un discours éloquent :

 

a)      à qui :

 

-          Robespierre s’adresse directement aux députés qu’il invective. Le « je « (l4-8-10-20-22) qui témoigne de son engagement personnel renvoie au « vous «, « vos «, « vôtre « (l1/3-11-12) qui se réfèrent aux membres de l’assemblée, représentants de la nation française. Robespierre souhaite qu’ils se sentent concernés par son propos, qu’ils prennent parti. L’allitération en v frappe l’oreille et oblige à l’attention.

 

b)      pour qui :

 

-          le discours est fait en faveur des esclaves noirs qu’il qualifie d’ «hommes de couleur « (l9) et non de nègres comme c’était l’usage à l’époque.

-          il est prononcé aussi « au nom de l’assemblée « (l4) dont il fait partie et dont il veut assurer la défense.

 

c)      contre qui :

 

-          les contradicteurs de Robespierre vaguement qualifiés au début : « adversaires des hommes de couleur « et « quelque ennemi secret « (l8/9) sont explicitement nommés ensuite « colons « (l21) « et « députés des colonies « (l25/26). Contrairement à JJ Rousseau dans le chapitre 4 « de l’esclavage « de son « Contrat Social «, il pointe directement du doigt les maîtres planteurs.

 

d)     l’art rhétorique :

 

-          l’emploi du présent dans « je le répète « (l20) et « je déclare « (l22) ainsi que la répétition de « et « dans la première phrase marquent l’oralité.

-          l’anaphore « périssent les colonies « (l19/20) est une tournure à valeur impérative qui rend le ton injonctif et péremptoire. Robespierre se déclare fermement contre les colonies dont la perte paraît mineure.

-          Le futur antérieur de la première phrase qui renvoyait à une situation irréelle est devenu dans la dernière un futur simple qui marque l’irréversibilité de sa décision. La pure hypothèse du début « si je pouvais soupçonner « (l9) est caduque.

-          la dernière phrase est le point d’orgue de la rhétorique du discours car elle formule le point de vue de l’auteur renforcé par la répétition de la conjonction de coordination « ni « à valeur d’insistance.

 

 

T : Robespierre discoure avec beaucoup d’éloquence et de force oratoire. Cet art consommé de la rhétorique permet de mettre puissamment en garde la députation contre les menaces multiples que ferait peser un vote non-abolitionniste.

 

 

 

II Une mise en garde :

 

a)      le renversement de la constitution :

 

-          la phrase liminaire fixe l’enjeu dramatique du débat moral et politique. L’expression « dès le moment « appelle une sanction immédiate : d’emblée, les députés sont mis face à leurs graves responsabilités.

-          le verbe « prononcer « (répété 2 fois) est polysémique : il signifie dire mais aussi rendre un jugement. Rien que de prononcer le mot « esclaves « représente une sentence honteuse.

-          l’assemblée est clairement en danger, elle risque le « déshonneur « (l3) donc d’être déshonorée et d’être « déshonorante « (l6).

-          la taille de l’attaque est amplifiée par l’expression « non content de « reprise par « encore « (l4/5) : ce qu’on exige d’elle est anormalement grave.

-          le fait de constitutionnaliser l’esclavagisme par des « décrets « (l1-11), terme repris par « décrété « (l16) et « décréter « (l20), au même titre que le droit des hommes dans la « Déclaration « de 1789 ferait s’écrouler la constitution. En effet, reconnaître légalement l’esclavagisme invalide le principe initial  du droit humain et rend incohérente sa déclaration.

 

b)  la perte de la liberté :

 

-          Robespierre souligne aussi l’opposition entre les « principes de la liberté « (l15) et le fait de légiférer en faveur de l’esclavagisme. Ainsi, autoriser cette exploitation de l’homme par l’homme revient à ne plus défendre ni la liberté ni le droit de certains hommes autrement dit à ne plus être un véritable député censé représenter l’humanité. Pire, un député non-abolitionniste renverserait la liberté de ses « propres mains « (l18). La responsabilité devient celle d’un crime librement consenti et délibérément commis.

-          - « vous alléguez « (l14) sous-entend que les députés mettent « sans cesse « en avant leur rôle essentiel dans la défense de la liberté alors qu’il ne s’agit que d’un prétexte pour défendre leur position.

-          l’hyperbole « suprême « pour qualifier la nécessité que les députés demeurent libres (l17) renvoie à un intérêt qui doit l’emporter sur tout. Non seulement les députés qui voteraient un maintien de la pratique esclavagiste ne défendraient plus la liberté voire y porteraient atteinte mais eux-mêmes y perdraient la leur car leur décision ne leur serait dictée que par les planteurs dont l’enjeu économique est supposé l’emporter sur la morale politique. En privant d’autres êtres de liberté, ils s’enchaînent à leur tour et se soumettent docilement à leurs homologues des colonies qui souhaitent les « forcer à (l)’accorder « (l6), idée de contrainte qui s’oppose intrinsèquement à celle de la concession.

 

c)  le sacrifice de l’homme :

 

-          Robespierre élargit son propos qu’il destinait à l’Assemblée ligne 4 à la « nation entière « (l24-25).

-          la perte amplifiée par l’expression « tous ses principes « (l7) l’est encore plus en fin de passage avec la triple répétition de « ni «. L’auteur utilise deux progressions ternaires qui se font écho pour affirmer fortement que les députés doivent sacrifier leur « bonheur…gloire…liberté « (l19-20) pour ne pas sacrifier « la nation «, « les colonies « et « l’humanité entière « (l26).

-          Robespierre oppose volontairement un principe d’universalité pour que l’emphase de son discours et sa portée mondiale convainquent les députés de voter contre les propositions des représentants coloniaux.

 

 

Conclusion :

 

L’abbé Claude Fauchet, directeur du journal patriotique « La Bouche de Fer «, a écrit à propos de l’intervention de Maximilien Robespierre : « Quelle liberté !… Robespierre, dans cette séance, a développé l’âme des Français. Combien il était grand, au milieu de ces préjugistes et de ces vendeurs d’hommes qui ont parlé avant et après

lui ! «

Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), l’esclavage était aboli pour la première fois dans le monde. Cette mesure pionnière a été prise dans un contexte idéologique instable: une France révolutionnaire, une colonie insurrectionnelle et un mouvement populaire très influent sous l’autorité de Maximilien Robespierre. Pourtant, son rôle exact a engendré des polémiques : pour les uns, porteur de l’abolition le 13/05/1791; il s’est montré résolument hostile à l’émancipation des noirs le 17/11/1793 lorsqu’il s’est vivement opposé aux abolitionnistes qui souhaitaient « affranchir et armer tous les nègres pour perdre nos colonies «.

Quoiqu’il en soit, la force de sa dénonciation dans cet extrait fait écho au fameux réquisitoire contre « l’esclavage des nègres « de Montesquieu dans « de l’Esprit des Lois « (1748).

 

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