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Dissertation sur La Religieuse de Diderot

Publié le 15/03/2011

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diderot

    →  Dans une lettre à son ami Meister rédigée en 1780, Diderot écrit à propos de La Religieuse : « On n’a jamais écrit une plus effrayante satire des couvents. »

Cette déclaration vous paraît-elle caractériser ce roman au programme ?

 

 

            Les romans du XVIII° siècle montrent leur époque, ce qui passe par de nombreux détails. Leur souhait est de paraître vrai.

Pour les gens du XVIII° siècle, lire La Religieuse, c’est lire un témoignage sur les institutions réelles de l’époque, notamment sur celles religieuses.

            Diderot semble affirmer cette opinion, car dans une lettre à son ami Meister, il écrit à propos de son roman : « On n’a jamais écrit une plus effrayante satire des couvents. »

            Dans cette déclaration, Diderot insiste sur le fait que son œuvre, La Religieuse, a pour objectif d’être une critique moqueuse (« satire ») sur les institutions religieuses (« couvents »), dans l’intention de provoquer (« effrayante ») et de prévenir.

            La Religieuse est-il simplement une critique moqueuse des institutions religieuses ?

            Nous verrons dans une première partie que La Religieuse est une véritable « satire des couvents ». Puis nous montrerons que le sujet oublie le fait que le roman est un réquisitoire crédible sur la condition de la femme à l’époque. Enfin, nous nous intéresserons au fait que cette « satire des couvents » cache un aspect pathétique du roman.

 

 

 

 

            Dans l’intention de provoquer une première réflexion sur les « couvents », Diderot s’est inspiré de l’affaire de Marguerite Delamarre. En 1757, cette femme porte plainte conte l’église et demande la rétraction de ses vœux de religieuse. Elle dénonce le fait qu’une femme sur deux est enfermée dans au couvent contre son gré, car la famille n’a pas assez d’argent pour faire une dot à toutes les filles, ou lorsqu’une fille est le fruit d’un adultère (comme Suzanne Simonin dans La Religieuse). En mettant ses filles au couvent elles sont effacées de la société. Parfois, elles s’échappent soit elles réclament l’annulation de leurs vœux de religieuse. Marguerite Delamarre intente un procès en 1757, puis un second en 1758, qui remontera jusqu’au Vatican. Son procès a connu un échec. Elle a donc été obligée de passer sa vie au couvent. Diderot a été touché par cette affaire car c’est un exemple du danger des couvents.

            La « satire des couvents » qu’entreprend Diderot commence par une dénonciation enflammée de ceux-ci. «  Tuez plutôt votre fille que de l’emprisonner », ce qui révèle que les couvents sont vus  comme des prisons où les jeunes filles n’ont pas de libertés. Cette dénonciation se prolonge dans l’absurdité : «  gouffres où les races futures vont se perdre ». Le couvent est assimilé à un « gouffre », c'est-à-dire que dès que l’on se retrouve à l’intérieur on ne fait que régresser dans la société, dans laquelle on est totalement effacé,  ainsi que dans son humanité. En disant que les jeunes filles « vont se perdre », Diderot pense aux besoins naturels de leur corps. En restant enfermées, elles ne pourront pas répondre à leurs besoins qui habituellement prennent le dessus. Les couvents contraignent donc la nature du corps. Pour Diderot, la sexualité est une énergie dynamique. On ne peut pas nier les pulsions du corps, ce qui est pénible pour les religieuses qui sont enfermées et qui ne peuvent assouvir leurs pulsions. Dans La Religieuse, on voit très bien qu’elles ne peuvent pas se maîtriser et qu’elles sont sujettes à des pratiques sexuelles entre elles. Suzanne est notamment une victime de ses pratiques. Une dénonciation de ces pratiques qui peuvent choquer les lecteurs qui auraient une autre image des couvents. Diderot prône la vie et l’énergie en utilisant l’expression : «  économie animale ». Le corps humain est un corps animal car nous sommes envahis de désirs et de pulsions. Le couvent devient donc une aliénation de la nature, ce qui produit un dérèglement de l’économie animale. Ceci fait apparaître de nombreux symptômes. Diderot évoque ses symptômes avec un vocabulaire très fort : « imbécile », qui signifie qu’elles sont privées d’intelligence, « furieuse », « langueur », qui exprime la mélancolie, « vapeurs », « folie »… En étant enfermées dans des couvents, les jeunes filles deviennent victimes de leur corps. Ce qui donne une image assez péjorative des couvents.

            Pour continuer dans cette « satire » sur les couvents, Diderot dénonce les ordres monastiques. En effet, les jeunes religieuses sont également victime de leur supérieure. Dans La Religieuse, on a l’exemple de la sœur Christine au couvent de Longchamp. Quand elle arrive entant que supérieure, elle réintroduit la haine, les châtiments corporels et la terreur dans le couvent. C’est à partir de ce moment que nous avons très nettement la vision des horreurs qui peuvent se produire à l’intérieur d’un couvent. Toutes les horreurs décrites sont en parties vécues par Suzanne. Elle traverse énormément de souffrance dans ce couvent de Longchamp.

 Diderot nous donne du corps de Suzanne un tableau clinique, saturé par les symptômes de l’hystérie. Le corps de la religieuse est perçu comme un corps parlant qui porte tous les signes de la folie dû à la vie claustrale. Selon Anne Coudreuse, dans Le Goût des larmes au XVIII° siècle, L’hystérie de Suzanne serait une révolte de la matrice dans le système conventuel qui nie les droits et même l’existence.  En effet, la condamnation sans appel des institutions religieuses laisse libre cours à des actes odieux sous couvert de piété. 

Suzanne subit de nombreuses humiliations, notamment lors de la célèbre scène du cachot où elle est enfermée pendant trois jours. C’est une véritable expérience de perte d’identité, une réelle déshumanisation pour elle. C’est une totale régression. Elle n’a plus de vêtements. On couvre le son de ses cris. On lui retire son humanité.

Suzanne subit une autre humiliation lorsque les sœurs font la mise en scène de sa mort. On la déclare morte de son vivant. La supérieure ordonne aux sœurs de marcher sur Suzanne car « ce n’est qu’un cadavre ».

            Diderot arrive à fait une véritable « satire des couvents » grâce à de nombreux détails qui paraissent vrais et qui sont très péjoratifs à l’égard des couvents. Quand on lit  La Religieuse, on se rend compte du réel danger des couvents, dans lesquels règnent la terreur, la souffrance et l’ambiguïté des corps.

 

 

 

 

            La « satire des couvents » que nous fait Diderot dans La Religieuse, ne qualifie pas tout ce roman dans son intégralité. En effet, l’auteur met également en œuvre un réquisitoire sur la condition des femmes au XVIII° siècle, en écrivant : Sur les femmes. C’est un texte qui est en opposition à celui de Thomas : Essai sur le caractère, les mœurs et l’esprit des femmes, qui démontre que les femmes ne peuvent qu’imaginer. Diderot lui reproche de les enfermer dans une seule destinée, une destinée naturelle, ainsi que de les considérer comme un sexe inférieur. Thomas juge les femmes sans aucune compassion. Diderot, lui, explique que les femmes sont des victimes et qu’elles ne sont pas une catégorie inférieure. Pour lui, il faut les plaindre car elles possèdent un utérus, qui est un des signes de la détermination hystérique. Il ne faut pas les enfermer, encore moins dans des couvents, car c’est trop dangereux. On le voit dans La Religieuse. Il faut occuper les femmes, essayer de canaliser l’énergie dangereuse qu’elles renvoient.

            Dans cette « satire des couvents », la femme est considérée simplement comme un corps. Les femmes au couvent ne sont que des corps qui parlent pour affirmer leurs droits naturels. Si elles veulent revendiquer les droits de leur corps, elles doivent refuser la souffrance inutile. Le corps des femmes apparaît donc comme domestiqué, socialisé et morcelé. Les femmes du XVIII° siècle n’étaient pas libres. Elles étaient aliénées dû à leur infériorité par rapport aux hommes.

D’après Anne Coudreuse, dans Le Goût des larmes au XVIII° siècle, les femmes sont souvent envahies par leurs émotions, ce qui fait qu’elles ne se contrôlent pas, donc implicitement elles ne maîtrisent plus leur corps. C’est de là que les physiciens avaient pour certitude que le corps des femmes était aliéné. C’est ce qui se passe dans les couvents au XVIII° siècle.

            A travers cette « effrayante satire des couvents », on voit que la femme se caractérise par l’excès. Elle est alors soumise à des passions excessives, qui la mettent dans un état d’aliénation et de dérèglement. Diderot disait : «  La femme dominée par l’hystérisme éprouve je ne sais quoi d’infernal et de céleste ».

La femme est essentiellement définie comme un corps pathologique et pathétique (maladie liée aux pulsions). Elles se définissent par une « léthargie absolue des aptitudes de l’âme », d’après Anne Coudreuse. Ce qui est proche d’une pathologie moderne nommée l’hystérie. Les « couvents » font que les femmes deviennent des corps remplis de symptômes qu’elles ne peuvent maîtriser. Dans La Religieuse, on le voit lorsque les sœurs ont des « vapeurs », des « visions », qu’elles deviennent nymphomanes ou bien lorsqu’elles sont atteintes par la folie.

            Au XVIII° siècle, le fait d’aller au couvent n’était pas forcément un choix pour les jeunes filles. Ce qui montre que les couvents ne sont pas des lieux où l’on peut s’y sentir bien et protéger, ceux sont plus des lieux que l’on pourrait qualifier d’effrayant (« la plus effrayante satire des couvents »).

En entrant au couvent, les jeunes filles étaient réduites à n’être que des individus passifs. Dans La Religieuse, il y a un célèbre passage où Suzanne devient un être passif. C’est lors de la prise d’habit et de la cérémonie des vœux. Suzanne passe de l’état de sujet à la position d’objet passif. On ne lui reconnait pas d’identité. Elle prononce cette célèbre phrase : « Depuis cet instant, j’ai été ce qu’on appelle physiquement aliénée ».

            Dans les couvents, la condition de la femme est totalement négligée. Les femmes ne sont réduites à n’être que des individus sans identité reconnue. Elles deviennent victimes de leur corps ainsi que de leur infériorité sociale. « Les couvents » deviennent alors de véritables lieux dangereux et effrayants.

 

 

 

            Cette « satire des couvents » cache un aspect pathétique du roman. Cet aspect se dissimule sous différentes thématiques, comme la mystification, la vraisemblance et l’identification.

            En effet, lors de l’écriture des lettres de Suzanne, Diderot d’identifie complètement à son héroïne. La rédaction de ses lettres le bouleverse entant qu’auteur. Il écrit : « plongé dans la douleur et le visage inondé de larmes », pour qualifier ce qu’il ressent à l’instant où il commence cette mystification conte le Marquis de Croismare. Cette phrase donne le ton du roman, qui devient un roman pathétique, notamment avec la « satire des couvents ». On pleure à chaque page, ce qui est « intéressant » car cela nous engage affectivement. Nos sentiments vont être bouleversés. Diderot est pris au piège de sa mystification. Il est pris au piège de la stratégie pathétique qu’il a mis en place. Il le dit lui-même : « la plus effrayante satire des couvents ». Quand il dit « effrayante », cela nous évoque son côté fou et passionné lorsqu’il écrit ses lettres. Le côté passionné donne l’illusion de vrai au texte, un effet de vérité.

            Cet effet de vérité nous le retrouvons lorsque Diderot propose une image, une description crédible du fonctionnement « des couvents ». Il évoque le noviciat, les accessoires qui composent la tenue de religieuse : le cilice, le bréviaire, le chapelet, le crucifix. L’auteur est très précis sur la vie « des couvents », notamment quand il utilise le terme « macérer » (c’est quand on se fouette personnellement). Tous ses détails nous interrogent sur le fait que La Religieuse soit « une satire des couvents », car en donnant autant de précisions sur les couvents, on peut se demander si ce n’est pas plutôt un réquisitoire sur ceux-ci.

            En affirmant que son roman est « une satire des couvents », Diderot nous plonge dans un univers pathétique. Dans La Religieuse, il y a un effet pathétique, c'est-à-dire une identification sensible du lecteur. Le lecteur va compatir, va souffrir avec le personnage. C’est un plaisir qui devient douloureux. C’est un véritable supplice pour le lecteur. « Ce n’est plus le lecteur qui s’empare de l’œuvre, c’est l’œuvre qui s’empare du lecteur ».

            A travers cette « satire des couvents », nous avons découvert que le roman est également un réquisitoire crédible sur la condition de la femme au XVIII° siècle. Les femmes du XVIII° siècle constituent un sujet de prédilection pour l’expression du pathétique. Diderot dit : « Femmes, que je vous plains ! ». Il les plains car elles sont victimes de leur utérus. Leur utérus déclenche dans leur corps une série de maladies, comme des visions, de la nymphomanie, de la folie… En voyant que les femmes sont victimes de leur corps beaucoup plus que de la société, nous nous intéressons à elles. Ce qui une fois de plus révèle un aspect pathétique. Dans La Religieuse, c’est à Suzanne que nous nous intéressons car elle est une véritable victime du « couvent ». Suzanne devient alors un sujet pathétique que nous allons observer pour savoir si elle se sortira du danger des « couvents » dans lequel elle se trouve confrontée.

 

 

 

            La Religieuse est « une satire des couvents » qui nous propose également un réquisitoire crédible sur la condition des femmes au XVIII° siècle. C’est un témoignage sur les institutions réelles de l’époque, notamment sur celles religieuses, grâce aux nombreux détails que Diderot évoque. « La satire des couvents » qui pour l’auteur est « la plus effrayante » nous prouve le fait que ce roman soit pathétique. C’est également dû au fait que Diderot a voulu instaurer une stratégie pathétique dans le texte pour que sa mystification réussisse.

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