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Dix ans de gâchis en Afghanistan

Publié le 22/02/2012

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15 février 1989 - Comme le prévoyait l'accord signé à Genève le 14 avril 1988 entre l'Afghanistan et le Pakistan, et garanti par les Etats-Unis et l'URSS, les troupes soviétiques, dont les effectifs ont atteint environ 115 000 hommes, ont évacué l'Afghanistan à la date du 15 février 1989. Bien sûr, chacun sait ici que, à bien chercher, on trouvera aisément quelques " retardataires ", à Kaboul d'abord, dans la zone de l'aéroport et de l'ambassade soviétique, à Shindand ensuite, la grande base de l'armée rouge implantée au sud de Hérat, la troisième ville du pays. Les autorités soviétiques et afghanes rétorquent que les " quelques " soldats toujours présents dans la capitale ne font pas partie du corps expéditionnaire-ce qui, après tout, est possible. On ne cherchera pas davantage à obtenir de précisions concernant le nombre de " conseillers " civils et militaires que Moscou laisse en Afghanistan et qui varie entre " plusieurs dizaines " et " plusieurs centaines ". L'avenir de l'Afghanistan est encore trop incertain pour que l'on puisse dès à présent s'essayer à un quelconque bilan de dix ans de guerre. Dans ce pays qui comptait quatorze millions d'habitants il y a une décennie, la guerre a tué, selon les organisations humanitaires, plus d'un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants. Entre cinq et six millions d'Afghans sont aujourd'hui réfugiés dans des camps, au Pakistan et en Iran. Cela signifie qu'une génération entière est née à l'étranger et que l'Afghanistan ressentira longtemps les effets de la quasi-non-scolarisation de sa jeunesse. Il faudra aussi des années pour reformer les milliers de cadres et de techniciens qui seront indispensables à la reconstruction du pays et qui ont été décimés par le conflit, sans parler de l'hémorragie dans les milieux intellectuels. Pendant dix ans au minimum, estiment les spécialistes, le pays ne pourra survivre qu'avec une aide internationale massive. Soviétiques et Américains peuvent être ( au moins à court terme) satisfaits : les deux parties obtiennent aujourd'hui ce qu'elles recherchaient dans l'accord de Genève, le retrait des troupes soviétiques. Pour Moscou, même s'il ne représente que le vingtième de ses forces terrestres, ce contingent coûtait cher à bien des points de vue : plus de 2 milliards de dollars par an tout d'abord, et, surtout, il était la preuve devenue insupportable qu'une bande de va-nu-pieds pouvait mettre en échec la plus forte armée du monde. Enfin, l'ère gorbatchévienne s'accommodait mal de la poursuite de ce qui s'apparentait à une aventure coloniale. Soviétiques et Américains ne faisaient pas grand cas du sort des Afghans et de l'Afghanistan. Un simple intermède ? Pour les Afghans, ce fut un marché de dupe : un accord qui les concernait au premier chef était conclu sans eux, et les Pakistanais, après avoir longtemps refusé de parapher un texte qui ne prévoyait rien pour l' " après-retrait " soviétique, se sont inclinés devant la volonté des deux superpuissances. Dix mois après Genève, dix ans après l'intervention soviétique du 24 décembre 1979, où en sont les Afghans ? La présence soviétique n'aura-t-elle été qu'un simple intermède ? Après la révolution pro-communiste du 27 avril 1978 au cours de laquelle le président Daoud a été assassiné, le parti au pouvoir, le PDPA ( Parti démocratique et populaire) annonçait déjà par ses divisions internes l'étape suivante, c'est-à-dire l'intervention des troupes soviétiques. La chute de Daoud mettait fin à la dynastie des Durrani, fondée en 1747 : pro-soviétique lui-même, Daoud était cependant le beau-frère et cousin du souverain, Zaher Shah, aujourd'hui en exil à Rome et qu'il renversa le 17 juillet 1973. Le remplacement de Daoud par Taraki, celui de Taraki par Hafizullah Amin, celui d'Amin par Babrak Karmal, puis la mise à l'écart et finalement l'exil surveillé à Moscou de Babrak Karmal, remplacé par Mohammed Najibullah en mai 1986, tout cela repose sur cette même rivalité au sein du PDPA, qui perdure aujourd'hui. La situation au sein du parti pro-communiste n'a guère changé : on parle toujours à Kaboul des luttes d'influence entre parchamis, khalqis et karmalistes, et les rumeurs de coup d'Etat sont toujours aussi vivaces. Le pouvoir n'a cessé de perdre du terrain et les moudjahidins d'en gagner. La politique de " réconciliation nationale " engagée par le gouvernement en 1987 sous la pression des Soviétiques a elle aussi échoué. Mohammed Najibullah a réaffirmé ces derniers jours que " des commandants " étaient prêts à se rallier, mais on attend toujours de connaître leurs noms. La résistance, grâce à son courage et à l'aide militaire américaine, est bien plus forte qu'il y a dix ans. Mais elle n'a sans doute jamais été aussi divisée. Divisions entre sunnites et chiites, entre " pakistanais " et " iraniens ", entre monarchistes et, si l'on peut dire, républicains, entre fondamentalistes et traditionalistes, entre extrémistes et modérés, entre chefs politiques ayant pignon sur rue à Peshawar et commandants de l'intérieur... Le régime de Kaboul, au moins dans sa structure actuelle, chacun le pressent, va s'effondrer. Qui sera en mesure de ramasser ce qui reste de la souveraineté afghane ? Au sein de la résistance, on discerne d'abord les appétits de pouvoir des uns et des autres, et aucun homme de consensus ne paraît émerger. Demeure le roi, personnage bien falot lorsqu'il dut abandonner le pouvoir, auquel le petit peuple, à Kaboul et ailleurs, reste très attaché, mais dont une partie de la résistance ne veut à aucun prix. Le retrait des troupes soviétiques ne règle donc rien, au contraire. Dix ans perdus, dix ans de gâchis. LAURENT ZECCHINI Le Monde du 16 février 1989

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