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Etude de l'Incipit du Baron Perché

Publié le 22/09/2010

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Dans son livre  Le Baron perché , paru en 1957, Italo Calvino raconte la vie  très fantaisiste d’un noble du XVIII siècle, Côme Laverse du Rondeau, qui vit toute sa vie dans les arbres. L’incipit du livre, que nous allons commenter, raconte la scène de rupture entre Côme et sa famille. On comprend très vite que le narrateur est jeune frère du héros qui raconte ses souvenirs. Nous allons voir comment son récit mêle, avec précision, description et action. L’ouverture du livre est par ailleurs l’occasion de la présentation d’une famille étonnante et paradoxale où la tradition et la fantaisie sont mêlées. Enfin, nous constaterons, que cet incipit propose bien, comme c’est souvent le cas, un pacte de lecture, en annonçant l’œuvre qui suit.

 

  Le livre s’ouvre sur ce qui est présenté très explicitement comme un souvenir du narrateur, jeune frère du héros ; ainsi l’expression «  je m’en souviens comme si c’était hier «, révèle que la scène racontée constitue un retour en arrière, une analepse, par rapport au moment de la narration ( la suite du livre permettra de comprendre que ce moment se situe soixante ans après). Ce souvenir paraît très net et il mêle l’action et la description. 

 Cette dernière s’appuie sur des indications très précises de lieux et de temps. Ainsi en débutant son roman par «  C’est le 17 juin 1767 [...] il était midi « «, Calvino entend montrer la précision de son narrateur mais aussi donner l’illusion d’une histoire réelle bien datée dans le temps. Par ailleurs, la description situe la scène dans l’espace « la salle à manger de notre villa d’Ombreuse « et surtout fournit des détails qui témoignent de la vivacité du souvenir « les fenêtres encadraient les branche touffue [...] le vent soufflait «. On note d’ailleurs que l’arbre sur lequel se perchera le héros est introduit dès les premières lignes. La description est également bâtie sur une galerie de portraits des membres de la famille et de leur entourage que nous étudierons plus loin.

  Mais cet incipit ne se borne pas à une description telle qu’on en trouve dans de nombreux romans qui veulent d’abord planter le décor ; le livre s’ouvre sur une action et même « in medias res «, comme en témoigne le début de la réplique de Côme « J’ai déjà dit ... «  qui montre que la dispute familiale est déjà commencée au moment où s’ouvre le livre. 

  Cette action se borne à un acte de désobéissance qui nous révèle que le livre s’ouvre sur une rupture ; l’instant n’est pas banal ni anodin mais mis en valeur par le narrateur. D’une part, il précise «  On n’avait jamais vu désobéissance aussi grave «, mais d’autre part il solennise  cet instant de rupture. En effet dans ce passage sans dialogue la déclaration est valorisée par l’utilisation du style direct. C’est donc bien le héros du livre, déjà le premier nommé dans le récit,  qui prend le premier la parole et pour une déclaration  de refus net et réitéré qui témoigne de la vigueur de son caractère «  J’ai dit que je n’en voulais pas et je répète que je n’en veux pas «. Cette déclaration solennelle et forte  permet de donner du sens à l’annonce proleptique de la première ligne, « pour la dernière fois «.

 

  Le geste de Côme est donc l’élément essentiel de cet incipit ; mais ce passage permet aussi la première description d’une famille étonnante. Etonnante car elle mêle la rigueur de la tradition à des aspect surprenants et fantaisistes. Le narrateur présente cette famille en énumérant ses membres comme on les découvrirait en parcourant la galerie de portraits du château. Il semble vouloir respecter les usages en utilisant un ordre hiérarchique qui met en premier le père «   le baron Arminius «  puis le représentant de l’église « l’abbé Fauchelafleur «,  suivi des femmes de la maison , la mère et la sœur, de l’oncle  et enfin des enfants. L’ordre de la description est protocolaire comme d’ailleurs  les places à table qui ne doivent rien au hasard, le père  siégeant «  à la place d’honneur « De plus on apprend qu’il faut avoir un certain âge pour être admis, comme par « promotion «, à cette table d’adulte : « nous avions été admis à la table de nos parents «. Enfin  le père apparaît très attachés aux usages anciens : le repas a lieu à midi selon une « vieille tradition « qui refuse la mode de la cour de France «  qui n’était pas en usage chez nous «. De plus ce père est affublé « d’une perruque Louis XIV […] démodée « : on croit aisément le narrateur puisque ce roi de France est mort cinquante ans plus tôt.

  Le père rassemble sur lui le paradoxe de cette famille attachée aux traditions mais par là même fantaisiste. Certes, c’est « déjeuner au milieu de l’après midi « comme à la cour de France qui nous semble étonnant  mais à cette période c’est l’attitude du père qui est surprenante. De plus ce père qui semble si rigide accepte de faire exception aux usages en acceptant le jeune frère à sa table : «  j’avais bénéficié avant l’âge « précise-t-il.

 Toutefois bien d’autres éléments sont là pour surprendre le lecteur dans ce milieu qui paraît si stricte et classique  : par exemple les noms des personnages avec ses prénoms latinisants « Arminius […] Aeneas-Sylvius «, mélangés au noms très français et imagé de l’abbé « Fauchelafleur «, à celui germanisant de la mère, « Konradine «, et mixte de la sœur « Baptiste «. Les fonctions, les identités de ces personnages sont aussi étonnante en ce début de livre où tout n’est pas encore expliqué : qu’est ce que cette mère «  générale « ? Qu’est ce que cet « oncle « « naturel «, c’est à dire sans doute illégitime, qui de surcroît est à la fois «  avocat, […] hydraulicien, régisseur « ? Pourquoi cette sœur qui vit au milieu des siens est-elle qualifiée de « nonne «, si ce n’est en raison d’un comportement ou d’une tenue particulière ? En ce début de livre le lecteur peut être surpris  mais il est ainsi préparé aux choses plus fantaisisteses encore qui l’attendent dans la suite du livre.

 

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