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Explication de texte: À une passante

Publié le 19/09/2010

Extrait du document

 

 

 

La rue assourdissante autour de moi hurlait. 

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, 

Une femme passa, d'une main fastueuse 

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ; 

 

Agile et noble, avec sa jambe de statue. 

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, 

Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan, 

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. 

 

Un éclair... Puis la nuit ! - Fugitive beauté 

Dont le regard m'a fait soudainement renaître, 

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? 

 

Ailleurs, bien loin d'ici ! Trop tard ! Jamais peut-être ! 

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, 

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! 

 

À une passante est un poème appartenant aux « Tableaux Parisiens «, section dans Les Fleurs du Mal. Cette section regroupent des poèmes dont le thème principal est les observations et les rencontres faites dans les rues de Paris. Ici, À une passante est le récit d’une rencontre dans la rue entre le poète et une passante, rencontre qui ne durera qu’un bref instant. 

 

Le poème en lui-même possède selon moi en deux parties : une première partie (vers 1 à 8) qui est consacrée à l’apparition de la femme, et une deuxième partie (vers 1 à 14) concernant la méditation du narrateur, son analyse par rapport aux effets de cette brève rencontre, qui est faites sous forme de dialogue adressé à la passante, opposé à la description de la première partie. Le premier vers est une description du cadre dans lequel se situe le narrateur. Cette description place le narrateur au centre du poème (« autour de moi «) et décrit la rue comme étant un lieu bruyant, agressif (« assourdissante «, « hurlait «). Le vers comporte une allitération en « r « (La rue assourdissante autour de moi hurlait) ainsi qu’une assonance en « ou « et en « u «. Le son « r « imite la dureté des sons de la rue, alors que son « u « fait plutôt penser à des sons aigus et le son « ou « à des sons graves, le tout rendant l’atmosphère de la rue très agressif et hostile. De plus, la disparition de ses sons dans le vers suivant constitue un contraste s’expliquant par la transition du décor hostile à la passante, femme plutôt majestueuse et calme.

 

Du vers 2 au vers 5, c’est la description de la femme en mouvement. Il y a une progression dans sa description allant de la silhouette (« Longue, mince,.. «), puis à la main (vers 3) et la jambe (vers 5). La femme est donc décrite comme une femme très élégante (« main fastueuse «), majestueuse, habillée noblement (« feston «, « ourlet «). Finalement, la description de la passante terminée, le narrateur semble avoir une image fixe de la passante, à cause de « sa jambe de statue «, statue donnant l’impression qu’elle est fixé au sol, qu’elle ne bouge plus. Du vers 3 au vers 4, il y a un enjambement, liant ces deux vers. Ils sont d’ailleurs rythmé en 3/3 // 3/3 qui par sa régularité, nous fait penser à un va et vient régulier, comme par exemple les pas de la passante et le balancement de son bras, frottant sa robe. Puis arrive le vers 5, où l’image semble se fixer par « sa jambe de statue «. On pourrait poser l’interprétation suivante : le poète s’est fait au vers 5 une image mentale de la passante, car après le vers 5, elle ne semble plus être en face du poète, elle est disparue. Durant ce vers, on a l’impression que c’est le moment où il ne voit plus que la jambe de la passante.

Les vers 6 à 8 correspondent à la fascination du narrateur. Le récit nous fait passé de la femme au poète. La fascination de celui-ci est marqué par « crispé comme un extravagant «, il est comme paralysé, bouleversé par la passante. Le verbe « boire « est certainement utilisé métaphoriquement : ici, il « boit « la femme des yeux, il l’admire, il est captivé par son image. La femme, et plus précisément son œil, est ici une dualité entre son côté positif exprimé par la comparaison avec le ciel et son côté négatif exprimé par un « ciel livide où germe l’ouragan «, ciel d’orage. L’œil est souvent considéré comme étant le miroir de l’âme, donc cette dualité pour l’œil fait certainement référence à son âme. Cette dualité apparaît encore dans le vers 8, avec « La douceur qui fascine « et « le plaisir qui tue «. La beauté de la femme est donc très ambivalente, parfois fascinante, parfois effrayante. Cette ambivalence montre que la femme est donc à la fois admirable et désirable voire divinisé (elle est comparée à une statue, sculpture représentant souvent les déesses), mais inspirant la méfiance des hommes charmés par sa beauté, la terreur devant une divinité cruelle. C’est une conception très subjective et c’est certainement parce que l’amour est ici idéalisé, hors de porté, donc forcément douloureux pour l’être charmé.

 

Le vers 9, marquant la transition entre la partie rencontre et la partie méditation, commence par « un éclair «, résumant ainsi la rencontre éphémère entre lui et la femme, expérience qui, si on interprète ce mot, est très lumineuse donc très intense mais très courte. Ensuite vient «… Puis la nuit ! « qui s’oppose à l’éclair, le tout formant une antithèse. La nuit exprime la déception de la disparition de la passante ou le retour rapide et violent à la réalité, après le bref instant de rêve. De plus, les trois points de suspensions accentuent la « chute « entre le rêve et le retour à la réalité. Puis le tiret marque le début de la méditation sous forme de « dialogue « entre lui et la passante disparue. 

La fin du vers 9 jusqu’au vers 12 marque les regrets du poète quant à la disparition de cette passante. Des notions de temps apparaissent comme « éternité «, « trop tard «, « jamais  peut-être «, qui illustre le désespoir du poète fasse à la « Fugitive beauté «. 

 

Le vers 10 peut être interprété de la manière suivante : le poète « renaît « car il a retrouvé l’inspiration grâce à sa beauté en tant que poète et lui a redonné l’espoir en tant qu’homme, car il a aperçu une femme correspondant à sa vision idéalisée des femmes. Au vers 11, on trouve une interrogation, qui laisse deviner que le poète garde un espoir, faible peut-être, de la revoir. Entre le vers 10 et 11, il y a une sorte de rupture : le poète perd espoir. Le vers 11 contient la majorité des notions de temps (« Trop tard ! «, « jamais peut-être «) ainsi que des notions de lieux (« Ailleurs «, « bien loin d’ici ! «). L’utilisation nombreuse de points d’exclamations  dans ce vers accentue le désespoir du narrateur. « jamais peut-être « marque précisément le moment où le poète devine que la perte de cette femme est définitive.

Le désespoir se prolonge dans les deux derniers vers, mais une sorte de réciprocité entre le poète et la passante, marquée par le chiasme « j’-tu / tu-je « inscrit dans deux parties de phrases ayant la même signification. Le conditionnel utilisé dans « que j’eusse aimée « montre que le poète affirme qu’ils se seraient aimés. Puis Baudelaire utilise « Ô «, ce qui décrit un vif sentiment. Le dernier vers décrit donc une sorte de dernier cri de désespoir. Ces deux derniers vers nous donnent l’impression qu’ils étaient fait l’un pour l’autre, alors qu’ils ont été séparé par le destin, par la fuite de la femme. 

 

En conclusion, je dirais que ce poème est très riche et permet d’imaginer facilement la scène, tant extérieurement qu’intérieurement. Le récit est finalement assez simple : le poète, situé dans une rue qui l’agresse, qui le repousse et qui le sort de la société, aperçoit une femme qui l’intrigue, une femme qui le fascine et qui l’effraye en même temps. Cette femme est perçue comme un « éclair « dans la vie du poète, elle illumine soudainement et brièvement sa vie monotone et le sort momentanément de son spleen habituel. Son apparition émeu le poète, qui est frappé par sa beauté. Il idéalise alors cette femme tout en gardant en tête une image de celle-ci. Il est bouleversé et finalement, la situation se dégrade et il se rend compte qu’elle est perdue. Il garde un espoir de la revoir et finalement, il se résout au fait qu’il ne la reverra jamais.

 

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