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française, littérature.

Publié le 06/05/2013

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française, littérature. 1 PRÉSENTATION française, littérature, ensemble des oeuvres littéraires de langue française produites en France depuis le 2 XIIe siècle, date à partir de laquelle se développe la littérature en langue vulgaire. MOYEN ÂGE Alors que pour les historiens le Moyen Âge commence en 476 (date de la chute de l'Empire romain d'Occident) et s'achève en 1453 (date de la prise de Constantinople par les Turcs), le Moyen Âge littéraire débute tardivement -- vers le début du XIIe siècle -- pour s'achever à la fin du XVe siècle. Le premier texte attesté en langue romane -- ou vulgaire (voir français) --, les serments de Strasbourg, date de 842, mais l'épanouissement de la littérature en langue vulgaire débute effectivement bien plus tard. Cet épanouissement va de pair avec des changements survenus dans les structures sociales et dans les mentalités du monde médiéval, marquant l'apogée des systèmes seigneurial et féodal. Il est lié notamment à l'émergence du concept de fin'amor (ou fine amor), qui va donner naissance à la littérature courtoise, et qui s'impose alors dans le sud de la France, avec les troubadours, puis dans le Nord, avec les trouvères, comme code et référence pour régir aussi bien les situations amoureuses que les actions chevaleresques et guerrières (notamment selon les schémas de l'aventure et de la quête). La littérature médiévale se manifeste alors sous des formes diverses avec une grande vitalité. Antérieures à la littérature courtoise, les chansons de geste (attestées entre la fin du le plus ancien. Dans la seconde moitié du XIIe XIe siècle et le XIVe siècle, où elles disparaissent) sont le genre littéraire siècle apparaissent les romans courtois, qui supplantent progressivement les chansons de geste, étant davantage adaptés au raffinement croissant de la société aristocratique. Cependant, l'histoire, sous la forme des chroniques, se dégage peu à peu des formes romanesques pour devenir, aux XIIIe et XIVe siècles, un genre à part entière. La poésie, alors chantée et accompagnée de musique, prend aussi son essor, avec les troubadours dans les pays de langue d'oc, et les trouvères dans les pays de langue d'oïl, pour s'y épanouir dans le lyrisme courtois, tandis que les formes dramatiques quittent progressivement la sphère du sacré. Une veine réaliste et paillarde, à visée satirique, représentée surtout par les fabliaux et les farces vient prendre le contre-pied des valeurs chevaleresques et courtoises. 2.1 Récits La langue romane, dite aussi vulgaire par opposition au latin considéré comme la langue savante, est d'abord utilisée dans des textes hagiographiques ou historiques ; toutefois, la fiction s'en empare rapidement et lui emprunte son nom : le roman devient un genre à part entière. Ces récits médiévaux sont toutefois, contrairement à l'acception que recouvre aujourd'hui le terme de roman, le plus souvent composés en vers (en majorité des octosyllabes). On distingue traditionnellement trois principales sources aux récits du Moyen Âge : le fonds de France, le fonds antique et le fonds de Bretagne. 2.1.1 Fonds de France Le fonds de France relate les hauts faits des grands seigneurs français : ce sont les chansons de geste. Ces épopées en vers, de longueur variable, sont regroupées en « cycles « ou « gestes «, c'est-à-dire en grands ensembles thématiques, organisés souvent autour d'un haut personnage et de sa famille. Elles transposent librement les faits historiques en les magnifiant, et content surtout les exploits guerriers des souverains et des chevaliers chrétiens contre les Infidèles. Leurs auteurs, comme souvent au Moyen Âge, sont anonymes ; elles sont sans doute répandues, transformées et enrichies peu à peu par les jongleurs et les troubadours qui les chantent ou les miment dans les bourgs ou devant les seigneurs. La Chanson de Roland (fin du XIe siècle) fait partie du cycle le plus ancien dit « de Charlemagne « ou encore « Geste du Roi «, qui relate les exploits de Charlemagne, champion de la chrétienté, mais aussi de ses pairs et de ses chevaliers. Ce cycle est suivi du cycle « de Garin de Monglane «, qui témoigne d'un affaiblissement du mythe impérial et dont le personnage principal est saint Guillaume d'Orange le Grand, dit « Guillaume au Court Nez «. Vient enfin le cycle « des Barons révoltés «, dit aussi « Geste de Doon de Mayence «, où les héros se rebellent contre l'ordre établi. 2.1.2 Fonds antique Le fonds antique, appelé aussi « cycle classique «, apparaît dans la seconde moitié du XIIe siècle ; il marque une étape transitoire entre l'exaltation guerrière des chansons de geste et la délicatesse des récits courtois à proprement parler. Sensibles à la grandeur épique des oeuvres antiques qu'ils viennent de redécouvrir, les clercs tendent à christianiser et à adapter aux valeurs médiévales les mythes païens, sans craindre l'anachronisme. Considéré comme le premier roman français de cette sorte, le Roman de Thèbes (v. 1150), adapté d'une épopée latine, est composé en langue d'oïl et en octosyllabes à rimes plates. L'oeuvre la plus célèbre de ce fonds est néanmoins le Roman d'Alexandre, autre adaptation d'un texte antique, maintes fois remanié par divers auteurs entre 1130 et 1180. 2.1.3 Fonds de Bretagne Le fonds de Bretagne, ou « matière de Bretagne «, qui à l'origine se nourrit principalement du folklore et du merveilleux celtique, se rattache progressivement à l'émergence des valeurs courtoises, jusqu'à en représenter l'une des plus parfaites manifestations. Les romans courtois -- nés sous l'influence de la poésie des troubadours chantant la fin'amor -- proposent une nouvelle vision des relations sociales, fondées sur le respect que le chevalier doit à son seigneur et à sa Dame (le « service d'amour «). Les premiers textes qui s'inscrivent dans le cycle arthurien -- relatant les hauts faits du roi légendaire Arthur et de ses chevaliers -- apparaissent vers le dès lors d'être modifiée et étoffée de nouveaux épisodes (Geoffroi de Monmouth, Robert Wace), jusqu'à proposer, dans la seconde moitié du XIIe XIe siècle, c'est-à-dire à une époque antérieure à la courtoisie. La légende d'Arthur ne cesse plus siècle, un des plus riches et des plus volumineux exemples de récit courtois ; les multiples versions du mythe de Tristan et Iseut, la quête du Graal et les amours de Guenièvre et Lancelot s'inscrivent progressivement dans ce cycle. Chrétien de Troyes, le plus grand « romancier « médiéval français, reprend ces mythes bretons en les christianisant et en leur conférant une dimension psychologique inédite. Avec Jean Renart (fin du 2.1.4 XIIe siècle-début du XIIIe siècle), les récits courtois se font plus réalistes : délaissant le merveilleux, ils décrivent avec précision les moeurs de la noblesse et la psychologie amoureuse ( Roman de Guillaume de Dole, v. 1210). Récits satiriques En réaction contre la noblesse des personnages et le raffinement des situations que présentent les récits courtois, s'imposent les fabliaux, textes grivois très populaires. La veine satirique donne aussi le chef-d'oeuvre du Roman de Renart, composé par plusieurs écrivains entre le XIIe et le XIIIe siècle : empruntant aux fabulistes l'idée de décrire les êtres humains sous les traits d'animaux, ce récit subversif dénonce les travers de la société du temps et parodie les récits courtois. Certains personnages, en particulier le héros, Renart le Goupil, restent aujourd'hui encore très populaires. 2.1.5 Récits allégoriques Avant d'être au service du divertissement, le roman d'alors a pour fonction première de véhiculer les valeurs de la « classe « dominante et une certaine représentation du monde. Il produit ainsi, dans la veine didactique et allégorique, le Roman de la Rose, chef-d'oeuvre datant du XIIIe siècle. Cette somme poétique de près de 22 000 vers, écrite pour sa première partie (4 000 vers environ) dans la première moitié du XIIIe siècle, a pour auteur Guillaume de Lorris : elle développe le récit courtois d'un songe où la Rose symbolise la Dame aimée et inaccessible. Laissée inachevée, cette première partie a été complétée par Jean de Meung dans la seconde moitié du siècle, mais dans une perspective très différente, puisque le roman cesse alors d'être un éloge de l'amour courtois pour devenir une somme encyclopédique traitant de savoir, de morale et de religion. À la fin du 2.1.6 XIVe siècle, l'invention romanesque semble s'essouffler ; le récit allégorique ne semble plus utilisé que pour authentifier la noblesse d'un lignage. Chroniques Les chansons de geste ont été longtemps le seul outil de connaissance des épisodes guerriers de l'histoire ; elles sont supplantées peu à peu par les chroniques, textes composés en prose, le plus souvent par un témoin direct des événements ; délaissant le recours au merveilleux, les chroniques donnent des faits une vision plus réaliste. L'un des principaux auteurs de chronique est Geoffroi de Villehardouin, qui traite de la quatrième croisade avec un souci alors nouveau de contemporanéité. La notion de vérité historique se fait de plus en plus précise au XIVe siècle, et des écrivains de métier (n'ayant pas participé aux événements relatés) s'illustrent à leur tour dans le genre. C'est avec Jean Froissart que la chronique acquiert ses lettres de noblesse : à côté des tournois et des combats spectaculaires, il mentionne dans ses chroniques les problèmes politiques et l'émergence de nouvelles « classes sociales «. Mais, au moment où les relations entre rois et seigneurs se compliquent, le besoin d'une nouvelle écriture se fait sentir : Philippe de Commynes, avec ses Mémoires (1488-v. 1498, publiés en 1524), écrit le premier livre d'histoire de l'âge moderne : il privilégie l'analyse à la description, ne se limite plus à un exposé chronologique et montre le souci nouveau de mettre les événements en perspective. 2.2 Poésie 2.2.1 Poésie courtoise Certainement influencée par la poésie arabe et par des rites préchrétiens, la poésie des troubadours du sud de la France -- présents à la cour des comtes de Toulouse ou à celle d'Aliénor d'Aquitaine -- est historiquement la première poésie composée en langue vulgaire (et non plus en latin). Elle instaure une conception de l'amour qui s'intégre au système des valeurs féodales, la fin'amor (voir courtois, courtoisie). À côté de la « chanson «, ou canso, le poème d'amour lyrique, les troubadours pratiquent en les adaptant des formes comme le sirventès (canso sirventes), qui illustrent l'autre grande veine de cette poésie, guerrière et satirique. Bertran de Born, seigneur de Hautefort en Périgord (v. 1140-v. 1215), qui écrit en satiriste et en moraliste, a recours à cette forme. Guillaume IX d'Aquitaine, comte de Poitiers, est considéré comme le premier grand troubadour. À la cour d'Aliénor d'Aquitaine, petite-fille de Guillaume, se trouve Marie de France, à qui l'on doit un célèbre recueil de Lais reprenant la matière de Bretagne mais l'adaptant à son auditoire raffiné. C'est Aliénor d'Aquitaine elle-même qui contribue à faire passer la culture de langue d'oc, marquée par la fin'amor, au nord de la Loire, domaine de la langue d'oïl. Au nord, la poésie courtoise est chantée par les trouvères, parmi lesquels Thibaud de Champagne -- l'une des figures les plus représentatives du lyrisme courtois de la première moitié du française, compose, lui, une oeuvre d'une grande variété, aux accents personnels ; renouvelant sa thématique, il rompt avec la tradition courtoise. 2.2.2 Renouvellement des formes poétiques XIIIe siècle. Le Parisien Rutebeuf, grand nom de la poésie Durant les XIVe et XVe siècles se développent de nouvelles formes poétiques. Guillaume de Machaut, s'il reste fidèle aux thèmes courtois, se montre novateur sur le plan formel, tant dans le domaine musical que poétique. Il fixe en effet un certain nombre de formes comme les ballades, les rondeaux ou les virelais et crée le « dit «, qui aborde des questions morales d'ordre général sous la forme de l'anecdote autobiographique. Héritière de Machaut, Christine de Pisan s'illustre dans des genres didactiques, mais c'est au lyrisme délicat de ses ballades qu'elle doit son renom. La poésie du XVe siècle trouve ses maîtres avec Charles d'Orléans et François Villon. Charles d'Orléans est mécène -- il instaure des concours poétiques et protège des artistes et des écrivains -- en même temps que poète, et compose essentiellement des ballades et des rondeaux en restant fidèle à des thèmes courtois qu'il sait toutefois renouveler avec fraîcheur et simplicité. Quant à François Villon, l'auteur de la Ballade des pendus, sa vie aventureuse en a fait un personnage mythique de poète-brigand. Détaché des valeurs courtoises, ce maître de la ballade utilise un style vivant, truculent, pour railler ses contemporains ; cette ironie ne doit pourtant pas faire oublier qu'il compose des poèmes d'une tonalité lyrique touchante, dans lesquels il évoque l'amour et la hantise de la mort. Le XVe siècle voit encore l'apparition des Grands Rhétoriqueurs, tels Jean Marot ou Jean Molinet, qui font de la poésie un jeu mondain et raffiné au point de la limiter parfois à une démonstration de virtuosité formelle, notamment en multipliant les figures de rhétorique. 2.3 Théâtre C'est peut-être dans le cas du théâtre que le mouvement général de sécularisation de la littérature médiévale française est le plus sensible. C'est en effet à partir de la liturgie de la messe, peu à peu glosée en langue vulgaire puis accompagnée de véritables mises en scène, que naît le théâtre français. D'abord représentés dans l'enceinte de l'église par des prêtres ou des moines, les drames liturgiques sont à l'origine interprétés en latin et visent à illustrer le culte. Rejetés à l'extérieur de l'église au milieu du XIIe siècle, ils sont dès lors représentés sur le parvis, tandis que la langue vulgaire éclipse le latin. Les thèmes les plus courants de ces « jeux « (terme médiéval signifiant « drame «) sont naturellement extraits de la Bible (dans les pièces appelées miracles ou mystères) ou des représentations allégoriques à visée édifiante (dans les moralités). Voir miracle, mystère et moralité. Les miracles, qui privilégient d'abord les épisodes bibliques, notamment la Passion du Christ (le Mystère de la Passion d'Arnoul Gréban est considéré comme un chef-d'oeuvre du théâtre du progressivement en compte toute l'Histoire sainte, en particulier la vie des saints (ainsi des jeux de Jean Bodel composés entre le XIIe et le XIIIe XVe siècle), prennent siècle), et s'ouvrent à des parenthèses profanes. Des textes indépendants, d'inspiration mondaine, apparaissent alors sous forme d'intermèdes, comme les performances des jongleurs. Le Jeu de la feuillée et le Jeu de Robin et Marion, composés par Adam de la Halle dans la seconde moitié du XIIIe siècle, constituent les premières pièces de théâtre entièrement profanes. Héritière des fabliaux et des scènes comiques qui viennent de plus en plus fréquemment alléger la représentation des mystères, la farce se développe au XIVe siècle et perdure jusqu'à la moitié du XVIe siècle, passant de l'état de texte bref servant d'intermède, à celui de pièce de théâtre à part entière, ancêtre de la comédie moderne. La Farce de maître Pathelin (v. 1465) constitue le chef-d'oeuvre du genre. Voir Drame et art dramatique. 3 RENAISSANCE Après le XVe siècle, qui représente une période de transition à la fin du Moyen Âge, la Renaissance débute en France avec le règne du souverain et mécène François Ier. 3.1 Contexte culturel La pensée de la Renaissance est marquée par une remise en cause générale des certitudes du passé ; les travaux d'Ambroise Paré en médecine, de Nicolas Copernic en astronomie et de Ramus en logique, ou encore les perspectives ouvertes par les grandes découvertes (voir exploration géographique) renouvellent la vision de l'homme et du monde. Cette vision nouvelle se nourrit également de l'exemple de la Renaissance italienne ( XVe siècle) et de celui des civilisations grecque et latine. Dans le même temps, l'invention de l'imprimerie rend possible une diffusion plus large des textes, notamment des textes fondamentaux et, en premier lieu, de la Bible. Des érudits, tels le philologue Guillaume Budé, les Estienne ou Jacques Amyot, soucieux de revenir aux textes originaux, offrent de nouvelles traductions des textes grecs et latins (Aristote, les Évangiles, Plutarque, etc.) ou de nouveaux outils d'étude et de connaissance (grammaires, dictionnaires). Jacques Lefèvre d'Étaples traduit la Bible en 1530. Les deux grands courants de pensée qui dominent le XVIe siècle sont le mouvement religieux de la Réforme et le courant d'idées de l'humanisme qui, quoique fort divergents sur des points essentiels, sont tous deux issus de la même volonté de revenir à la pureté des textes originaux et de se livrer à une critique libre et constructive des institutions culturelle, religieuse et politique. La Réforme, initiée par Martin Luther en Allemagne, s'incarne en France dans l'évangélisme et dans le calvinisme, né avec l'Institution de la religion chrétienne (1536-1559) de Jean Calvin. Condamnée par l'Église catholique, puis par les autorités religieuse et politique françaises, la Réforme est durement réprimée, ce qui engendre une série de guerres civiles (voir guerres de Religion). Lié souvent à la pensée évangéliste, le courant humaniste a assimilé l'idée de la relativité de valeurs autrefois considérées comme absolues. Il prône le respect de l'individu comme de la liberté de pensée et de croyance, revendique une nouvelle rigueur intellectuelle, fondée sur des méthodes scientifiques, intégrant l'expérimentation, et appelle à un retour à l'étude des textes de l'Antiquité grecque et latine. La Réforme et l'humanisme opèrent un profond renouvellement, tant formel que thématique, dans les lettres françaises. La langue littéraire du XVIe siècle est par ailleurs remarquable par sa richesse (voir français) ; les oeuvres de ce temps le sont par leur grande variété, par leur vivacité et par leur liberté de ton. Dans le domaine de la poésie, la Pléiade entreprend des réformes majeures, préconisant l'imitation des formes anciennes ou italiennes et l'enrichissement de la langue française, et conférant au lyrisme une dimension plus personnelle qu'auparavant. Dans le genre narratif, le roman demeure un genre prisé, mais c'est la nouvelle qui se développe de la façon la plus spectaculaire. Les plus grands textes de ce temps se situent toutefois au-delà des genres : les récits de Rabelais et les Essais de Montaigne ne répondent en effet à aucun critère de genre préétabli. 3.2 Poésie 3.2.1 Marot et l'école lyonnaise Après les exercices de virtuosité des Rhétoriqueurs du XVe siècle, la poésie revient à un ton plus simple et naturel avec Clément Marot. Poète de cour, proche de Marguerite de Navarre, ce dernier est inquiété pour ses sympathies à l'égard de la Réforme et meurt en exil. Il est l'auteur de traductions (Ovide, Pétrarque) et se distingue par ses vers satiriques (l'Enfer, 1542), ses poèmes de circonstance (l'Adolescence clémentine) et par sa poésie lyrique. Il introduit le sonnet italien en France et invente la forme du blason (Blason du beau tétin, 1535). L'école lyonnaise, d'inspiration pétrarquiste et néoplatoniste, témoigne également de l'influence italienne sur la poésie française. Maurice Scève, auteur d'un cycle amoureux plaintif, Délie, objet de plus haute vertu (1544), en est le chef de file. À ses côtés, Louise Labé, auteur d'élégies et de sonnets (voir Sonnets et Élégies), se prononce en faveur d'une plus grande indépendance des femmes et revendique pour elles l'accès à l'éducation. 3.2.2 La Pléiade Avec le manifeste poétique intitulé Défense et Illustration de la langue française (1549), de Joachim Du Bellay, le groupe de la Pléiade pose les fondements de la poésie moderne en affirmant la beauté singulière de la langue française ; il préconise aussi le renouvellement des formes et du vocabulaire poétiques. Rassemblés à des moments divers autour de Pierre de Ronsard, les principaux membres de la Pléiade sont le philologue Dorat, grand connaisseur des Anciens, Rémi Belleau, Jean Antoine de Baïf, Pontus de Tyard, Étienne Jodelle et Joachim Du Bellay. Animateur du groupe, Pierre de Ronsard est considéré, de son vivant même, comme le plus grand poète lyrique de son temps. Il pratique des genres divers, adapte l'ode antique et mythologique dans ses Odes (1550-1552), s'essaie brillamment au sonnet pétrarquiste dans ses Amours (1552-1553 et 1555-1556 pour les Continuations), compose des Hymnes savants (1555-1556) et divers Discours (1560-1563), ainsi qu'une épopée relatant l'origine du royaume de France, la Franciade (1572). On fait souvent de Ronsard le chantre de l'amour par excellence ; sa poésie amoureuse est certes dominée par une certaine forme d'épicurisme, allant de pair avec une méditation sur la fuite du temps et sur la mort. Mais il est aussi un auteur érudit et un polémiste de talent. Du Bellay, son rival et ami, brille surtout dans le ton du lyrisme plaintif et mélancolique ; on lui doit entre autres un recueil de sonnets, les Antiquités de Rome (1558), où il se livre à une méditation sur la grandeur de Rome pour mieux déplorer sa décadence. D'une tonalité plus intime, les poèmes des Regrets (1558) font état de la nostalgie de la France qu'il ressent lors de son séjour à Rome. Si la poésie classique dénigre ce qu'elle considère comme les débordements lyriques et l'exubérance de la langue de la Pléiade, l'influence du groupe se fait pourtant sentir tout au long du XVIIe siècle et connaît même un regain d'intérêt au XIXe siècle avec le romantisme. 3.2.3 Poésie politique Après l'an 1562, qui marque le début des guerres de Religion, la poésie rend compte des conflits et adopte un ton plus polémique. Agrippa d'Aubigné, huguenot intransigeant, homme de guerre, poète et historien, donne quelques-uns des chefsd'oeuvre de cette littérature engagée, en particulier avec les Tragiques, épopée satirique publiée en 1616. Le chaos dans lequel se trouve plongé le royaume, la remise en cause des certitudes scientifiques et religieuses orientent l'esthétique poétique dans le sens du baroque. Guillaume du Bartas, auteur de la Semaine ou la Création du monde (1578), est représentatif de cette évolution, comme l'est également le jeune Malherbe. 3.3 Le XVIe Récit siècle est un siècle fécond dans le domaine de la littérature d'idées. Cependant, la politique et la religion, mais aussi l'éducation et la science, sont des sujets délicats : le recours à la fiction narrative, avec les déguisements qu'elle permet, est souvent pour les auteurs un moyen d'exprimer des idées audacieuses de façon détournée. La fiction présente en outre l'avantage d'enseigner, de provoquer la réflexion, tout en distrayant. 3.3.1 OEuvre de Rabelais : enseigner et distraire François Rabelais est l'un des maîtres du récit ludique et didactique. Esprit humaniste cultivé, contestataire et inventif, il mêle, avec une étonnante inventivité verbale, tous les registres de langue, sans craindre d'emprunter les procédés des écrits populaires -- alliance du merveilleux et du réalisme, recours à l'exagération comique et au grotesque, ton de la satire, scènes de farce et gauloiseries -- pour aborder les grandes questions de son temps : l'éducation, la guerre, la liberté de pensée confrontée à l'obscurantisme religieux. La liberté de ton de Pantagruel (1532) et de Gargantua (1534 ou 1535), ses écrits les plus célèbres, ne se retrouve pas tout à fait dans le Tiers Livre (1546), ni dans ses ouvrages suivants, nettement moins satiriques. Le masque de la fiction, en effet, ne l'empêche pas d'être l'objet des foudres de la Sorbonne, et il doit peu à peu mettre un frein à ses critiques à l'égard des institutions. 3.3.2 Essor de la nouvelle Au début du siècle, la nouvelle (que l'on appelle alors conte) acquiert le statut de genre littéraire à part entière, quand des lettrés s'en emparent avec, toujours, ce souci de divertir et d'instruire. L' Heptaméron de Marguerite de Navarre, soeur de François Ier et protectrice des arts, s'inspire du Décaméron de Boccace par sa structure de récits courts emboîtés au sein d'un récit plus ample. Dans cet ouvrage, Marguerite de Navarre fait deviser dix personnages de haute naissance qui, pour passer agréablement le temps, se proposent de raconter à tour de rôle des histoires vraies, auxquelles ils ont eux-mêmes assisté ou qu'on leur a racontées. Ces récits, tour à tour drôles, violents et émouvants, sont toujours suivis d'une morale et abordent des questions sociales (la condition de la femme et le mariage, notamment) ou religieuses (importance de la foi par rapport aux actions de grâce et aux dons, critique du clergé contemplatif, etc.). Autre conteur de talent, Noël du Fail compose des récits champêtres (Propos rustiques, 1547). Bonaventure Des Périers, auteur du Cymbalum mundi (1537), ouvrage qui dénonce les sectarismes et qui lui vaut d'être condamné pour athéisme, a laissé aussi un recueil de contes comiques intitulé Nouvelles Récréations et joyeux devis (posthume, 1558). 3.4 Théâtre En 1548, un arrêt du Parlement de Paris interdit la représentation des mystères, jugés trop grossiers, ce qui n'empêche pas les genres médiévaux de rester longtemps à l'honneur, notamment auprès du public populaire. La naissance de la tragédie en France est le fruit du travail des humanistes, qui posent les bases du genre en traduisant les tragiques grecs et latins (Euripide, Sophocle). Se référant à la Poétique d'Aristote, des auteurs comme Jules César Scaliger (1484-1558), Jean de La Taille (1540-1607), ou Jean Vauquelin de La Fresnaye précisent les canons du genre tragique. Leurs principes sont mis en oeuvre pour la première fois dans Cléopâtre captive (1553) d'Étienne Jodelle, pièce considérée comme la première tragédie française. Si elle respecte effectivement la règle des trois unités (de lieu, de temps et d'action) et de la répartition en cinq actes, cette pièce se distingue de la grande tragédie du siècle suivant par l'accent qu'elle met sur l'expression lyrique de la souffrance, plus que sur un véritable développement dramatique de l'action. La tragédie parvient à une plus grande maturité avec Robert Garnier, qui s'illustre dans le genre avec des pièces directement inspirées des Anciens, comme Hippolyte, Marc-Antoine ou Antigone, mais aussi avec son chef-d'oeuvre, les Juives (1583), qui aborde un sujet biblique. Théodore de Bèze, grande figure de la littérature protestante, s'illustre également dans le registre tragique avec Abraham sacrifiant (1550), de même qu'Antoine de Montchrestien (1575-1621), auteur notamment de Sophonisbe (1596). Voir Drame et art dramatique. 3.5 Le XVIe Littérature d'idées et invention de l'essai siècle français est marqué par un débat d'idées sans précédent. Cependant, ce débat est loin d'être ouvert et facile : la censure oblige de nombreux auteurs à s'exiler ou à limiter leurs audaces. Nombre d'entre eux expriment leur pensée politique ou religieuse dans des genres tels que la poésie (Marot) ou le récit (Rabelais), espérant, par le déguisement littéraire, atténuer aux yeux des censeurs la portée de leur discours -- souvent en vain. Dans le domaine de la littérature d'idées à proprement parler, ce siècle se caractérise par la recherche de la simplicité : loin de multiplier les contraintes de langue (rhétorique, lexique, syntaxe) ou de structure, les ouvrages de cette catégorie tendent à la sobriété, de façon à toucher le plus grand nombre de lecteurs. 3.5.1 Jean Calvin L'un des auteurs les plus importants de cette catégorie est Jean Calvin, dont l'essentiel de la pensée est consigné dans son ouvrage Institution de la religion chrétienne (1536-1559). Véritable manifeste en faveur de la Réforme, dont il explique et légitime les convictions sur les plans religieux, politique et moral, cet ouvrage, d'abord écrit en latin puis traduit en français, est effectivement caractérisé, sur le plan formel, par une simplicité apte à toucher un public plus vaste que ne le font alors la plupart des ouvrages de morale et de théologie. 3.5.2 Montaigne et l'essai Le désir d'échapper aux contraintes formelles engendre un genre nouveau, l'essai, inauguré avec les Essais de Michel de Montaigne. Inspiré par une pensée à la fois humaniste et stoïcienne, cet ouvrage, d'une nature sans précédent, rend bien compte des interrogations de l'époque, exprimant notamment un relativisme absolu en matière de connaissance. Montaigne y recense ses réflexions et ses humeurs quotidiennes, ses réactions sur telle lecture, telle conversation, tel événement politique, selon une structure très libre et dans un style sans ornement ni emphase, qui multiplie citations et digressions sans craindre de nuire à la cohérence du propos. L'auteur cherche à y saisir la nature humaine à travers l'analyse de sa propre personnalité ; il tente aussi de formuler clairement les principes qui peuvent aider l'homme à connaître un bonheur serein, fondé sur l'acceptation de son sort et sur l'exercice raisonné de sa liberté. 4 XVIIE SIÈCLE Même si le XVIIe siècle débute en France sous de bons auspices avec la promulgation de l'édit de Nantes (1598), qui marque une étape importante dans les travaux de pacification du royaume entrepris par Henri IV, l'instabilité politique et sociale se prolonge cependant. L'autorité royale, mise en péril par les complots de l'aristocratie (la Fronde, 1648-1653), est pourtant fortement consolidée à l'initiative de Louis XIII et de Richelieu, puis sous l'autorité de Mazarin. Mais c'est seulement après la mort de celui-ci, en 1661, et avec l'avènement effectif du règne de Louis XIV, que sonne la naissance de l'âge classique, qui s'achèvera vers 1685. Le XVIIe siècle est donc, en schématisant, double : baroque et instable dans sa première moitié, qui correspond à peu près au règne de Louis XIII, il voit dans sa seconde moitié, coïncidant avec le règne de Louis XIV, naître le classicisme, cet idéal d'équilibre et de clarté qui devait concerner tous les domaines de l'art et de la pensée. Voir classicisme (art) ; classicisme (littérature) ; classicisme (musique). 4.1 L'âge baroque 4.1.1 Philosophie et religion à l'âge baroque Après les bouleversements liés aux conflits religieux du siècle précédent, le XVIIe siècle voit s'ouvrir une réflexion sur ces affrontements, allant de pair avec la recherche d'un équilibre. Cet idéal d'harmonie se manifeste alors dans le domaine culturel (création par Richelieu de l'Académie française -- voir Institut de France -- en 1634 ; travaux d'auteurs divers tels Malherbe, Guez de Balzac, Chapelain ou l'abbé d'Aubignac pour normaliser la langue et la littérature), dans le domaine politique (écrasement de la Fronde, renforcement par Richelieu du pouvoir royal) mais aussi dans les domaines philosophique et religieux. 4.1.1.1 Rationalisme Les principaux représentants du courant rationaliste sont souvent tout à la fois des scientifiques et des philosophes ; c'est en effet dans la connaissance rationnelle plutôt que dans les dogmes des religions révélées que ces hommes cherchent désormais une vérité universelle et incontestable sur laquelle bâtir une connaissance et une éthique. La science et les mathématiques occupent une place de premier plan avec la création du Journal des savants en 1665, la fondation de l'Académie des sciences en 1666, la création de l'Observatoire de Paris en 1667. Les travaux de Pascal et de Leibniz en mathématiques, ceux de Galilée (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, 1632) sur l'astronomie, ceux d'Isaac Newton sur les lois de la gravitation (1687) ébranlent considérablement les croyances officielles. René Descartes, mathématicien, physicien et philosophe, incarne au mieux ce courant de pensée. Avec son Discours de la méthode (1637), puis ses Méditations métaphysiques (1641), ouvrages écrits en français, il jette en effet les bases intellectuelles et morales de nouvelles certitudes. Contrairement à ce qui lui est reproché, il ne nie pas l'existence de Dieu : cependant, selon sa méthode (le doute théorique et systématique), il ne pose pas Dieu avant toute autre chose, comme une vérité absolue, mais l'évoque dans un second temps, pour apporter la preuve de son existence. Si la pensée de Descartes scandalise tant certains de ses contemporains, c'est davantage parce qu'il propose une vision nouvelle du monde : chez lui, le centre de l'Univers n'est plus la figure divine, mais le sujet pensant du cogito (« Je pense, donc je suis «). 4.1.1.2 Libertinage Le courant savant et érudit du libertinage, plus aristocratique, s'inscrit aussi dans le mouvement rationaliste, prônant comme lui l'autonomie de la pensée et la liberté individuelle, contre le rigorisme religieux et la censure. Plus audacieux que le cartésianisme sur le plan de la pensée, le libertinage de certains auteurs va du scepticisme religieux à l'anti-catholicisme, voire à l'athéisme. Ce courant, qui perdurera tout le siècle suivant (sous la forme, notamment, du « libertinage de moeurs «), connaît des bonheurs divers, puisqu'il est tantôt ouvert, insolent et satirique, tantôt caché et réprimé. Parmi les représentants du libertinage érudit, il faut citer en premier lieu Pierre Gassendi, dont la pensée, proche de l'épicurisme, affirme, contre Descartes, que l'existence de Dieu ne peut en aucun cas être prouvée par une démonstration rationnelle, la nature même de Dieu interdisant qu'Il soit assujetti à la preuve. Parmi les libertins de ce temps, on peut citer encore Cyrano de Bergerac, Saint-Évremond, François de La Mothe Le Vayer (1588-1672), Gabriel Naudé (1600-1653), Nicolas Vauquelin des Yveteaux (1567-1649), Jacques des Barreaux (1599-1673), Théophile de Viau et Charles Sorel. Quoique le cartésianisme et le libertinage soient tous deux réprimés par les autorités, le rationalisme connaît un succès considérable et influence profondément et durablement les mentalités. 4.1.1.3 Débats métaphysiques Deux courants opposés dominent les débats sur la religion au sein même de l'Église catholique. Celui de la Contre-Réforme, représenté par le dynamisme et le prosélytisme de nouveaux ordres religieux (notamment celui de la puissante compagnie de Jésus), présente le Ciel sous un jour peu sévère et donne de la religion une image souriante. Les oeuvres des jésuites et de certains auteurs catholiques travaillant à la restauration du catholicisme insistent sur le libre arbitre dont dispose l'homme, auquel, tout pécheur qu'il soit, Dieu accorde la possibilité de choisir. On voit fleurir alors des oeuvres d'un mysticisme exacerbé mais souriant, marqué par le désir d'un retour aux sources de la foi compatible avec les habitudes de luxe de l'aristocratie et de la bourgeoisie fortunée. Ce courant est représenté sur le plan littéraire par nombre d'auteurs dévots de second plan, mais il est magistralement illustré par des écrivains sincères. Saint François de Sales, fondateur de l'ordre de la Visitation, sait par exemple témoigner dans ses écrits (Introduction à la vie dévote, 1609 ; Traité de l'amour de Dieu, 1616) d'une foi fervente tout en invitant à une pratique mesurée et peu contraignante de la religion. Au sein même de l'Église catholique, cette pratique accommodante de la foi se heurte aux critiques formulées par le courant dit du catholicisme augustinien, représenté notamment par le cardinal Pierre de Bérulle et par l'évêque Cornélius Jansen, dit Jansénius qui, avec son ouvrage théologique Augustinius (écrit en 1628, publié en 1640), va donner naissance au jansénisme. Le jansénisme, diffusé par Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, depuis l'abbaye de Port-Royal-des-Champs, va s'ériger peu à peu comme le grand adversaire des jésuites. Choqués par la façon dont les jésuites proposent aux fidèles de « s'arranger avec Dieu « au prix de quelques « simagrées « (les oeuvres) n'engageant pas nécessairement l'être profond, les jansénistes, plus rigoureux dans leurs principes, affirment que l'homme, étant pécheur, ne peut se sauver lui-même par les oeuvres mais dépend entièrement de la grâce divine en vertu de la prédestination. Blaise Pascal, converti au catholicisme augustinien, défend le jansénisme dans ses Provinciales (1656-1657). Il livre ensuite son chef-d'oeuvre inachevé, les Pensées (posthume, 1670), fragments nourris d'une interrogation sur la misère de la condition humaine, au service de l'apologie de la religion chrétienne. La répression menée par les autorités politiques et religieuses ne tarde pas à s'abattre sur le jansénisme et aboutit à la destruction de l'abbaye de Port-Royal en 1709. Ces mesures n'empêchent pas ce courant de pensée de se développer au sein de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie et d'influencer considérablement, de façon directe ou indirecte, les lettres françaises, favorisant notamment la veine moraliste. 4.1.2 Diversité de l'inspiration baroque 4.1.2.1 Poésie officielle et religieuse En littérature, on désigne par le terme de baroque des oeuvres écrites à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Inscrits dans la lignée de la Pléiade et de l'humanisme, les poèmes baroques sont encore marqués par l'influence de la Renaissance italienne tant dans leur forme que dans leur thématique. Ils sont caractérisés par les thèmes de l'instable, de la métamorphose et de la réversibilité, de l'illusion et du travestissement, et par un style orné ostentatoire, accordant une large place aux artifices de la langue, aux figures de rhétorique, et en particulier à la métaphore. Les poètes baroques s'illustrent aussi bien dans des thèmes amoureux et galants, émaillés de motifs pastoraux ou mythologiques, que dans la poésie officielle, célébrant les princes et le souverain comme garants de l'ordre et détenteurs d'une légitimité sacrée. Dans la veine religieuse, la poésie baroque est riche en sombres poèmes de déploration et en compositions funèbres qui proposent une vision fataliste et stoïcienne de la vie et de la mort. 4.1.2.2 Veine réaliste, parodique et libertine Mais il existe aussi dans la littérature baroque des courants satirique, burlesque, héroïcomique, voire bouffon et licencieux, qui s'opposent à l'esthétique idéaliste, héroïque et aristocratique imposée par la vogue des romans précieux ( voir préciosité). C'est notamment par ces aspects réalistes, érotiques et burlesques, que le courant de pensée appelé libertinage se manifeste dans la littérature baroque. Inspiré par les romans picaresques espagnols et plus encore par le Don Quichotte de Cervantès (traduit en français à partir de 1614), qui se pose déjà comme une parodie du roman de chevalerie, le « roman comique «, genre nouveau, propose une vision réaliste du monde, fondée sur une observation sans concession des travers et des petitesses de la société du temps. L'esthétique burlesque et parodique du roman comique réserve en effet une large place aux personnages de bourgeois et de vilains, perçus dans leur vie quotidienne. Le genre est inventé par Charles Sorel avec son Histoire comique de Francion (1623-1633), récit d'inspiration gauloise et fantaisiste. 4.1.2.3 Principaux auteurs baroques Il est remarquable d'observer que les auteurs qui s'illustrent dans des genres aussi divers que le roman comique, la poésie galante ou les vers officiels de déploration sont souvent les mêmes. Annoncée au siècle précédent par des auteurs tels que Guillaume du Bartas, la veine baroque est illustrée notamment par Tristan l'Hermite, poète et dramaturge, également auteur du Page disgracié (1643), roman réaliste et d'initiation -- l'un des tout premiers -- sur les tribulations d'un jeune homme, mais il faut citer aussi Jean de Rotrou et Mathurin Régnier, connu pour ses nombreuses Satires. Poète libertin exilé et emprisonné à plusieurs reprises pour l'audace de ses élégies amoureuses, Théophile de Viau se distingue aussi comme un romancier d'inspiration réaliste ( Fragments d'une histoire comique, 1623) et comme un poète sensible, dont même les poèmes officiels parviennent à conserver un ton authentique (OEuvres, 1621-1624). Dans l'entourage de Théophile de Viau, Antoine Girard de Saint-Amant, compose des poèmes d'amour raffinés et d'autres célébrant aussi bien les beautés de la nature que les plaisirs de la chair, de la table et du vin. Charles Sorel, avec son Histoire comique de Francion, annonce l'oeuvre de Paul Scarron, qui s'illustre dans la veine burlesque avec un Recueil de quelques vers burlesques (1643) et surtout le Virgile travesti (1648-1652), qui précèdent son chefd'oeuvre, le Roman comique. Citons aussi Cyrano de Bergerac, auteur de drames, d'une correspondance brillante et d'une fantaisiste utopie, l'Autre monde ou Histoire comique des États et Empires de la Lune (posthume, 1657). 4.1.2.4 Préciosité Produit de certaines tendances baroques, la préciosité se développe dans les salons parisiens au cours des années 1620, avec pour centre incontestable l'hôtel de Rambouillet, et perdure jusque dans les années 1650, autour du salon de Mlle de Scudéry. Ce courant, caractérisé par la recherche d'une sophistication extrême dans les paroles, les actions et plus particulièrement le comportement amoureux, marque de son empreinte la littérature du siècle, tout en demeurant un phénomène spécifiquement aristocratique, mondain et parisien. Parmi les auteurs qui fréquentent l'hôtel de Rambouillet pour s'y livrer à des activités raffinées (poésie, jeux galants, conversation, etc.) l'un des plus prestigieux est Vincent Voiture, poète brillant et mondain, dont la correspondance est riche d'informations sur le parler et les moeurs précieux. Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier (1610-1690), se distingue comme l'auteur d'une célèbre galanterie poétique intitulée la Guirlande de Julie (1634), oeuvre collective à laquelle collaborent Gédéon Tallemant des Réaux et Claude de Malleville (1597-1647) entre autres. Citons aussi les poètes Isaac de Benserade et Gilles Ménage. 4.1.3 Évolution des genres littéraires 4.1.3.1 Vers une nouvelle esthétique poétique Auteur baroque à ses débuts, François de Malherbe consacre nombre de poèmes officiels à la célébration de Henri IV et de Marie de Médicis, puis de Louis XIII. Pourtant, il se démarque progressivement de ce type d'écriture, se défaisant des volutes baroques pour adopter une esthétique de la clarté et de la rigueur, ce qui fait de lui le précurseur du classicisme. Il n'écrit pas d'oeuvre théorique, mais ses annotations en marge des poèmes de Philippe Desportes expriment parfaitement ses idées sur la poésie. Boileau reconnaîtra en lui un prophète en le saluant du célèbre « Enfin Malherbe vint «. Parmi les principaux disciples de Malherbe, citons Racan, auteur de poèmes pastoraux et religieux, et François Maynard, surtout connu pour ses odes et ses épigrammes, et habile orfèvre de la versification. 4.1.3.2 Mode du roman La préciosité favorise l'épanouissement et la vogue du genre romanesque. Les romans précieux, qui développent des intrigues galantes complexes dans des milieux tantôt aristocratiques, tantôt pastoraux, sont écrits dans une langue d'un raffinement extrême, et proposent de véritables codes de conduite et de conversation. L'un des plus célèbres exemples de cette codification des relations amoureuses est la carte du Tendre qui apparaît dans le roman Clélie, histoire romaine (1654-1660) de Madeleine de Scudéry, également auteur de Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653). Mme de La Fayette perpétuera plus tard cette inspiration aristocratique et mondaine avec la Princesse de Clèves (1678). Dans le genre romanesque, Honoré d'Urfé, auteur d'un volumineux roman pastoral, l'Astrée (1607-1627), sert de référence et de modèle à de nombreux autres romanciers. Dans ce genre, il faut citer encore Guez de Balzac. 4.1.3.3 Essor du drame : de la tragi-comédie à la tragédie L'épanouissement du théâtre, genre encore négligé au début du siècle, doit beaucoup à Richelieu, qui souhaite l'utiliser à des fins de propagande. À Paris, l'unique troupe de théâtre, celle de l'Hôtel de Bourgogne, est bientôt concurrencée par la création, en 1634, du théâtre de l'Hôtel du Marais, puis par celle du théâtre du Palais-Cardinal en 1641. La tragédie classique ne prend pas aussitôt sa forme régulière, mais grâce aux encouragements des institutions, des auteurs se révèlent dans des genres divers, notamment la pastorale, très prisée, qui situe une action sentimentale dans un cadre idyllique et dans laquelle s'illustrent des auteurs tels que Montchrestien (Bergerie, 1601) ou Jean Mairet (Silvanire, 1629). La tragi-comédie s'impose peu à peu, à partir des années 1630, avec des auteurs tels que Jean de Schélandre (Tyr et Sidon, 1628), Jean de Rotrou et surtout Pierre Corneille, qui s'en révélera bientôt le maître. La tragi-comédie, si elle annonce la tragédie racinienne, relève encore du baroque par ses thèmes héroïques et spectaculaires, la verdeur de son langage et sa forme encore irrégulière. Pierre Corneille se situe en fait à la charnière des deux tendances, baroque et classique, du siècle. Cet auteur, qui donne à la comédie ses lettres de noblesse en l'adaptant aux moeurs de son temps et à un public raffiné ( Mélite, 1629 ; l'Illusion comique, 1636), s'illustre dans des genres divers, avec la volonté constante d'agir sur le spectateur, pour l'amener à réfléchir ou à s'émouvoir, contribuant ainsi à son édification morale. La querelle que suscite son chef-d'oeuvre, la tragi-comédie le Cid, en 1637, l'incite à adopter ensuite les principes de la tragédie régulière, caractérisée par une intrigue épurée -- où les principales forces agissantes sont le destin et les passions --, et qui est dominée en outre par une vraie réflexion philosophique et morale. Cette nouvelle orientation donne naissance aux autres grandes oeuvres tragiques de Corneille, où l'on retrouve mis en oeuvre le thème de l'héroïsme et le schéma du « cas de conscience « qui se pose déjà dans le Cid : Horace (1640), Cinna (1641) et Polyeucte (1642). Les autres principaux auteurs de tragédie de cette première moitié du siècle sont Tristan l'Hermite, Jean Mairet et Jean de Rotrou. Voir Drame et art dramatique. 4.2 L'âge classique Le règne effectif de Louis XIV, après la mort de Mazarin (1661), marque l'avènement de ce que l'on appelle, depuis le XIXe siècle, l'âge classique. Voir classicisme (art) ; classicisme (littérature) ; classicisme (musique). 4.2.1 Théâtre Le théâtre du Grand Siècle est dominé par deux maîtres : Racine, pour la tragédie, et Molière, pour la comédie. 4.2.1.1 Tragédie racinienne Avec Jean Racine, la tragédie atteint son apogée : récusant l'humanisme optimiste de Corneille et les compromissions du romanesque, il veut retrouver la tradition antique en empruntant exclusivement ses thèmes aux tragiques grecs et latins et à la Bible. Désireux de susciter « terreur et pitié « à l'instar des Anciens, dans une perspective édifiante, selon le principe de la catharsis, il met en oeuvre dans ses tragédies les forces obscures de la passion (passion amoureuse et ambition politique), donnée comme le principal vecteur d'un destin implacable. L'action de ses tragédies, considérablement épurée par rapport à celles de ses prédécesseurs, gagne en puissance : le respect strict de l'unité de lieu, de temps et d'action, va dans le sens d'une concentration, et même d'une intériorisation du conflit, qui exprime à la perfection le pessimisme de l'auteur, dont la pensée doit beaucoup au jansénisme (Andromaque, 1667 ; Britannicus, 1669 ; Bérénice, 1670 ; Iphigénie, 1674 ; Phèdre, 1677). Dans le genre tragique, il faut citer encore le nom d'auteurs restés dans l'ombre de Racine, tels Thomas Corneille, frère de Pierre Corneille, et Philippe Quinault. 4.2.1.2 Comédie moliéresque En s'inspirant, à l'instar de ses prédécesseurs Corneille et Rotrou, des sources les plus diverses -- les comiques latins (Plaute), la commedia dell'arte et la tradition de la farce --, Molière achève de faire de la comédie une oeuvre littéraire de premier plan. Ses comédies, non dépourvues de profondeur ni de gravité (le Misanthrope, 1666), traitent, sur le mode satirique, de faits de société, comme le problème de l'éducation des femmes (l'École des femmes, 1662) ou les excès ridicules de la préciosité (les Précieuses ridicules, 1659). Mais, avec Tartuffe (pièce écrite en 1664, jouée en 1669) et Dom Juan (1665), il s'attaque à des problèmes contemporains plus graves, puisqu'il s'agit de dénoncer les agissements du parti dévot. Molière s'inscrit dans la tradition moraliste de son époque en faisant de la comédie le lieu de dénonciation des vices de son temps, mais la portée de son propos le rend pertinent de nos jours encore. En outre, il sait créer des types littéraires très forts (Harpagon dans l'Avare, par exemple) et inventer un langage dramatique inédit en mêlant la langue des aristocrates et le patois paysan, les situations les plus tragiques au comique farcesque élémentaire et à la pantomime, etc. Après Molière, mais loin de l'égaler, des auteurs tels que Jean-François Regnard ou Alain René Lesage se distingueront dans le genre de la comédie. Voir Drame et art dramatique. 4.2.2 Le XVIe Contes et fables siècle a vu le genre de la nouvelle émerger et gagner ses lettres de noblesse ; au XVIIe siècle, ce genre perdure avec les Nouvelles françaises de Jean de Segrais (1624-1701) et les nouvelles historiques de Saint-Réal (1639-1692). Mais c'est la fable et le conte qui s'imposent de la façon la plus spectaculaire comme des genres à part entière. 4.2.2.1 Fable De grands auteurs s'emparent en effet de ces formes jusque-là réputées mineures : Jean de La Fontaine s'inspire d'Ésope et de Phèdre pour ressusciter le genre de la fable. Mettant en scène des animaux, des types humains ou des figures mythologiques pour illustrer les travers ou les vertus de la société de son siècle, ses fables, composées souvent en vers mêlés, brillent par la variété de ton, la force suggestive et la concision des notations et par la justesse acérée du regard. Ce faisant, La Fontaine réussit la prouesse d'exploiter toutes les ressources de cette forme brève en s'affranchissant progressivement de ses modèles pour emprunter à d'autres formes littéraires ; atteignant parfois une dimension véritablement épique, il livre une morale sévère et pessimiste d'honnête homme. 4.2.2.2 Conte S'inscrivant dans la vogue du merveilleux qui sévit alors dans les salons, Charles Perrault renouvelle le genre du conte de fées avec ses Contes en vers (1694) et les Contes de ma mère l'Oye en prose (1697). Ces récits, qui empruntent à la tradition orale et populaire, brillent par leur ambiguïté : issus d'une littérature naïve et enfantine, ils sont pourtant l'oeuvre élaborée d'un érudit spécialiste des lettres et, de ce fait, sont susceptibles de se prêter à plusieurs niveaux de lecture. 4.2.3 Essor des genres mondains La vie des salons aristocratiques est, tout au long du XVIIe siècle, particulièrement intense : c'est là qu'ont lieu les grands débats littéraires du temps, et de nombreux auteurs de premier plan sont familiers de ces milieux. Ce lien étroit entre la vie mondaine et aristocratique, d'une part, et la littérature, d'autre part, explique l'importance prise par ce que l'on peut appeler les « genres mondains « dans la littérature du temps. Voir salons littéraires. 4.2.3.1 Correspondance et récit épistolaire L'art de la conversation mondaine trouve un équivalent littéraire dans la correspondance, genre où s'illustre notamment Mme de Sévigné, dont les Lettres représentent un précieux témoignage sur les mentalités du temps. Les lettres de la marquise sont authentiques ; destinées par leur auteur à un usage strictement privé, elles ne seront publiées qu'à titre posthume. Mais le public se révèle si friand de cette forme littéraire « vraie «, que de nombreux auteurs composent de fausses correspondances (en fait, des romans épistolaires) en les faisant passer pour authentiques. C'est le cas notamment du sieur de Guilleragues, qui publie son roman les Lettres portugaises, en faisant croire que ces lettres brûlantes de passion ont été réellement envoyées par une religieuse à un amant volage et lointain ; le débat sur l'authenticité de cette correspondance amoureuse a perduré jusqu'à une date très récente et leur attribution à Guilleragues est établie avec certitude depuis peu. 4.2.3.2 OEuvres de moralistes Le goût de Mme de Sévigné pour le trait d'esprit et pour la peinture des moeurs de son temps caractérise également les écrits de moralistes tel La Rochefoucauld à qui l'on doit de sévères Maximes, qui brillent par la rigueur et la concision de leur syntaxe et par la finesse judicieusement ambiguë de leur propos. Dans un genre littéraire également concis, le portrait, emprunté à Théophraste, et une perspective tout aussi moraliste, Jean de La Bruyère connaît un succès immédiat avec ses Caractères (1688), série de portraits et de maximes qui renvoient, certes, à des contemporains bien réels de l'auteur, mais davantage encore à des types sociaux. Témoin de son temps et moraliste lui aussi, le cardinal de Retz dépeint les subtilités politiques de la monarchie d'une plume souvent acide dans ses célèbres Mémoires ; citons aussi l'épicurien Saint-Évremond, auteur d'essais littéraires ou moralistes et, plus tardivement, le duc de Saint-Simon, grand seigneur et courtisan aux idées conservatrices, qui compose des Mémoires (1739-1750, publiés en 1829), fruit d'observations souvent acérées sur la fin du règne de Louis XIV et la crise des valeurs aristocratiques. Voir Mémoires. 4.2.3.3 Récit « mondain « et roman de moeurs Le récit est marqué naturellement par cette mondanité : c'est le cas de la Princesse de Clèves (1678) de Mme de La Fayette, d'abord titré Mémoires. Ce roman, qui a pour cadre la cour d'Henri II, le monde aristocratique le plus raffiné et le plus policé, pose des questions morales propres à ce milieu : la fidélité d'une femme à un époux qu'elle n'a pas choisi et l'interdit qui pèse sur l'amour qu'elle ressent pour un autre. Cependant, le roman de moeurs, héritier du roman comique, est inauguré avec le Roman bourgeois (1666) de Furetière : prenant le contre-pied de récits mondains écrits par les aristocrates, il fait entrer la petite bourgeoisie dans l'univers romanesque. 4.2.4 Théories littéraires Le Grand Siècle a encore la particularité d'engendrer des systèmes littéraires, marqués par l'attachement à un passé glorieux et mythique, et qui sont précisément le fondement de ce que l'on appelle le classicisme en littérature. Les grands principes érigés à cette époque ont pour nom imitation des Anciens et emprunts bibliques, régularité et maîtrise de la forme, classification et épuration du lexique, codification des genres littéraires : le Beau classique va de pair avec le Vrai et le Bon, c'est-àdire avec le Divin. Boileau, qui s'inscrit d'abord dans la veine moraliste et mondaine avec ses brillantes Satires (1657-1665, publiées en 1666) puis avec ses Épîtres (publiées en 1674), s'attache ensuite à normaliser l'art d'écrire : son Art poétique (1674) fait la synthèse des pratiques de la littérature classique, en développant l'idée d'une poésie qui serait le fruit de l'inspiration divine, mais en soulignant la nécessité du travail et de la discipline pour atteindre la perfection. Sublime et pure, la poésie selon Boileau se situe dans un difficile équilibre ; aux yeux de ce « législateur du Parnasse «, seuls Corneille, Racine et Molière trouvent grâce. Si les oeuvres d'un auteur incarnent à la perfection les principes du classicisme, il s'agit sans doute des sermons et des oraisons funèbres de Bossuet, le plus grand prédicateur de cette période : tant par leur perfection formelle que par leur propos résolument conservateur, ils constituent en effet des modèles du grand style. Voir Oraisons funèbres. 4.2.5 Déclin du classicisme Les difficultés politiques entraînent une révolution progressive des mentalités à partir de 1680, et l'équilibre classique s'en trouve rompu. La querelle des Anciens et des Modernes, débutée vers 1670, révèle un clivage insurmontable entre les défenseurs des Modernes, comme Fontenelle ou Perrault, et les tenants des Anciens, comme Boileau, Racine et La Bruyère. Des oeuvres comme le roman didactique, idéaliste et philosophique de Fénelon, les Aventures de Télémaque (1699), mais aussi le scepticisme d'un Saint-Évremond et l'ouverture d'esprit d'un Pierre Bayle sonnent la fin de l'âge classique et annoncent la sensibilité du siècle des Lumières. 5 XVIIIE SIÈCLE L'âge classique, moribond dès 1685, s'achève en 1715, date de la mort de Louis XIV, qui laisse la France plongée dans une période d'interrogations et de doutes. La littérature du XVIIe siècle est encore très nettement aristocratique : la plupart des grands auteurs de ce temps sont de naissance noble ou, lorsque ce n'est pas le cas, fréquentent les salons de l'aristocratie. Par le système du mécénat, la survie des écrivains est, en outre, largement dépendante de la noblesse, qui constitue la plus grande partie de leur public. C'est dire que cette littérature témoigne de la puissance de la classe aristocratique. Il en va tout autrement pour la littérature du XVIIIe siècle : les conditions matérielles de la production se modifient, avec notamment la disparition de la pratique du mécénat, tandis que la bourgeoisie s'impose clairement et définitivement comme la nouvelle classe dominante, d'un point de vue économique et intellectuel. La littérature du temps se fait naturellement l'écho de ces changements. La recherche de nouvelles valeurs caractérise les oeuvres du siècle des Lumières : remise en cause de la monarchie, questionnement sur la notion de progrès, interrogation sur la religion et sur les fondements de la morale, apparition des notions d'individu et de liberté, etc. Les écrits des penseurs de ce temps concourent à un radical changement dans les mentalités et dans la société françaises, ou du moins s'en font les témoins ; ces changements, loin d'être négligeables, aboutiront à la Révolution française. 5.1 Pensée des Lumières 5.1.1 Sur l'art de gouverner L'un des sujets radicalement nouveaux de la littérature de ce temps consiste en une réflexion sur les formes du gouvernement, allant jusqu'à une interrogation sur la légitimité de l'absolutisme à la française. Il est vrai qu'à l'époque les points de comparaison se sont multipliés et que l'Angleterre, en particulier, offre le modèle d'une monarchie constitutionnelle. Montesquieu, dans son ouvrage politique De l'esprit des lois (1748), mène une étude systématique sur les différentes formes de gouvernement existant dans le monde et, adoptant un point de vue déterministe, souligne les interactions entre des facteurs locaux (comme les conditions climatiques) et l'organisation des sociétés. Il établit ainsi une typologie des gouvernements pour recommander finalement l'adoption d'une monarchie parlementaire, modérée et éclairée, dirigée selon les principes de la raison et de la nature, et respectant le droit à la liberté, à l'éducation et au bonheur. Enthousiasmé par son séjour en Angleterre, Voltaire, dans ses Lettres philosophiques (1734 ; 1737 pour l'édition définitive), fait lui aussi l'éloge du régime parlementaire, lequel garantit à son sens la liberté et la tolérance. Diderot, réfutant l'idée d'une autorité politique légitimée par la transcendance divine (voir monarchie de droit divin), prend parti pour une monarchie fondée sur le « consentement des peuples «, c'est-à-dire sur un contrat entre le souverain et son peuple, qui garantirait la liberté de celui-ci ; c'est ce qu'il exprime dans son article « Autorité politique « de l'Encyclopédie et dans ses Entretiens avec Catherine II (1773). En contrepartie, il s'oppose à l'exercice tyrannique du pouvoir, même sous la forme plus souriante du despotisme éclairé, et compose contre Frédéric II ses Pages contre un tyran (1771). Dans la voie de la critique de la monarchie, c'est pourtant Jean-Jacques Rousseau qui se montre le plus radical, puisqu'il se prononce clairement contre cette forme de gouvernement, et en faveur de la démocratie. En 1762, son ouvrage le plus abouti, Du Contrat social, énonce les principes fondateurs du droit politique, ouvrant la voie à la démocratie républicaine en affirmant que la seule autorité politique légitime doit être issue de la volonté générale. De tous les philosophes de son temps, il est d'ailleurs celui qui exercera la plus grande influence sur la génération des révolutionnaires. 5.1.2 Critique des moeurs La remise en question du mode de gouvernement en France s'étend naturellement à une critique, plus générale, de la société et des mentalités françaises. Cette critique s'exerce souvent par le biais prudent de la fiction, mettant en scène la confrontation entre le monde occidental et d'autres formes de civilisation : celles du Nouveau Monde ou celle de l'Orient. Montesquieu utilise ce procédé avec beaucoup de finesse dans son roman épistolaire Lettres persanes (1721). Écrites du point de vue de voyageurs persans résidant en France, ces lettres dépeignent, de façon faussement naïve, la société française comme un monde étrange aux valeurs et aux lois arbitraires. Cette satire, pour être souriante, n'en pose pas moins des questions graves sur la politique (critique du despotisme), la religion (critique de l'intolérance religieuse, attaques contre le pape et l'Église), mais aussi sur la justice ou la morale. Dans son dialogue philosophique Supplément au Voyage de Bougainville (écrit en 1772, mais publié, dans sa version définitive, en 1796, à titre posthume), Diderot montre lui aussi la confrontation du monde occidental avec d'autres civilisations : les Occidentaux se révèlent incapables d'appréhender le monde qu'ils découvrent en débarquant à Tahiti, et les Tahitiens ne peuvent adopter le système de valeurs de leurs visiteurs tant il leur semble absurde. Voltaire, dans son Essai sur les moeurs et l'esprit des nations (1756), tente de réaliser un tableau des sociétés orientales, en les comparant plus ou moins explicitement avec les sociétés occidentales ; il reconnaît en l'homme les traits universels de la passion et de la raison. 5.1.3 Nature et culture La plupart des auteurs des Lumières, tout en célébrant la nature et le « mythe du bon sauvage «, figure d'un homme dont les moeurs et la morale sont en harmonie avec la nature, se prononcent majoritairement pour le progrès des arts et des techniques, dont ils espèrent qu'il va améliorer la vie du peuple. Montesquieu, conscient des dangers liés aux arts et aux techniques, s'exprime pourtant lui aussi en leur faveur : le travail, la prospérité économique, la libre concurrence, le luxe, lui semblent en effet des moyens d'améliorer la vie des gens. Auteur de l'article « Luxe « de l'Encyclopédie, Voltaire fait avec insolence, dans un poème satirique célèbre intitulé « le Mondain «, l'éloge d'un bonheur tout à la fois intellectuel et sensuel, fondé sur le progrès des arts et sur le luxe. Diderot, dans son Supplément au Voyage de Bougainville, se plaît pour sa part à souligner le ridicule des moeurs occidentales (notamment les tabous liés à la religion et à la sexualité), sans fondements solides, et à louer la sagesse des Tahitiens, qui vivent conformément à la nature. Mais le philosophe, maître d'oeuvre de l'Encyclopédie (ouvrage accordant une large place aux artisanats et aux techniques divers), loue par ailleurs la maîtrise de la nature aux fins d'améliorer le confort matériel des Hommes. Quasi solitaire, une voix s'élève cependant contre le culte du progrès et du luxe, celle de Jean-Jacques Rousseau. Son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) célèbre la pureté de l'état de nature et dénonce la corruption de l'homme, naturellement bon, par la société et notamment par la création de la propriété. Il dénonce la mollesse des peuples dits civilisés, allant jusqu'à condamner le théâtre, et ne cesse de célébrer le mythe du « bon sauvage « et un bonheur originel, conforme à l'ordre naturel et marqué par la simplicité et la vertu (Discours sur les sciences et les arts, 1750). 5.1.4 Question religieuse Dans son Discours d'un philosophe à un roi (1774, édition posthume 1796), et dans la Religieuse (1760, édition posthume 1796), Diderot dénonce l'obscurantisme et la volonté de pouvoir de l'Église catholique. Mais sa pensée va plus loin que la seule remise en cause de l'institution religieuse : dans sa Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient (1749), il s'inscrit dans une pensée résolument matérialiste et évolutionniste et, dans le Rêve de d'Alembert (1769, édition posthume 1830), il affirme son athéisme. D'autres écrivains du mouvement des Lumières, comme le baron d'Holbach, font scandale par leur matérialisme radical. Inspiré par les écrits de John Locke, Voltaire se fait quant à lui le défenseur de l'empirisme. Dans Zadig (1748), il montre la confrontation de différentes religions révélées en leur reprochant leur prosélytisme et leur intolérance ; sa conviction s'oriente davantage vers le déisme, une forme de religion naturelle, intériorisée et individuelle. Bouleversé par le tremblement de terre de Lisbonne (1755), qui fait des dizaines de milliers de victimes, il s'interroge sur la fragilité de la vie humaine et sur le scandale que représente l'existence du Mal ; il exprime sa révolte contre le dogme de la providence divine dans un Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) et prend parti contre les philosophies optimistes dans Candide ou l'Optimisme (1759). Rousseau, d'abord calviniste, puis converti au catholicisme, rejette lui aussi les religions révélées pour adopter une religion intime, sincère et personnelle, sans l'intermédiaire d'une Église officielle et de dogmes ; il expose ses idées déistes dans nombre de ses ouvrages, notamment la Profession de foi du vicaire savoyard, extrait d'Émile ou De l'éducation (1762) mais on en retrouve naturellement la trace dans son autobiographie, les Confessions (posthumes, 1782 et 1789). 5.1.5 L'Encyclopédie : le véhicule de la pensée des Lumières De 1751 à 1766, la vie de Diderot se confond avec l'histoire de l'Encyclopédie. Cette oeuvre monumentale, qui synthétise les idées des Lumières, est tout à fait révélatrice d'un siècle où la pensée scientifique et philosophique bouleverse les convictions passées. Le sensualisme de Condillac, auteur du Traité des sensations (1754), la recherche appliquée que représente l'Histoire naturelle de Buffon, le matérialisme d'Helvétius et du baron d'Holbach, le mouvement des idéologues y trouvent un écho. 5.1.6 Naissance d'une sensibilité préromantique Rousseau, dans son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), qui connaît un succès considérable, mais aussi dans ses écrits autobiographiques (les Confessions, posthume, 1782-1789 ; Rêveries du promeneur solitaire, 1776-1778, posthume, 1782), est le promoteur d'une nouvelle forme de sensibilité, laquelle trouve un écho favorable dans un siècle qui, quoiqu'épris de raison, se préoccupe aussi, et toujours davantage, des mouvements du coeur. Cette sensibilité est marquée par le goût de la mélancolie, de l'amour malheureux et des passions, par un sentiment de solitude et d'incompréhension, par la recherche d'une harmonie entre la nature (le paysage) et l'âme de l'individu. Introduite par Rousseau, cette sensibilité nouvelle se développe avec des auteurs comme Denis Diderot, Mme Roland, André Chénier, Julie de Lespinasse et Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre, ami de Rousseau, qui retrouve les accents de la pastorale pour dépeindre un monde exotique idéal et innocent, dans son roman Paul et Virginie (1788). 5.2 Genres littéraires Le XVIIIe siècle voit se développer et se moderniser le roman, tandis que le théâtre (notamment la comédie et le drame bourgeois) prennent une place importante dans la société et dans les débats du temps. En revanche, la poésie reste globalement en retrait. 5.2.1 Roman Le roman moderne naît véritablement au 5.2.1.1 Le XVIIIe XVIIIe siècle : il devient en effet à ce moment l'un des moyens d'expression favoris d'une bourgeoisie dont le rôle social est de plus en plus important. Souci de vérité siècle assiste à la mise en place d'une problématique romanesque moderne : celle de la « vérité « du roman. Les auteurs de ce temps sont soucieux de « faire vrai «, ou plutôt d'« être vrai «, comme si le roman ne tenait sa légitimité que d'être la reproduction parfaite du réel ou, davantage, d'être la réalité elle-même. Cela explique le nombre de récits tout à fait fictifs présentés comme des documents authentiques (romans épistolaires présentés comme des recueils de lettres authentiques, autobiographie fictive présentée comme une autobiographie réelle, etc.). Face à cette tendance du roman, à cette « imposture « du genre qui prétend nier sa nature véritable (un travail sur le langage, sur la forme et la signification du langage, une création de l'esprit) pour se donner pour une image fidèle, immédiate, du réel, sinon pour le réel lui-même, d'autres romanciers, au premier rang desquels Diderot, commencent à dénoncer, au sein du roman lui-même, le mensonge inhérent à sa nature ( le Neveu de Rameau, Jacques le Fataliste et son maître, tous deux posthumes). 5.2.1.2 Le XVIIIe Quelques romanciers siècle est donc un siècle fécond et varié dans le genre romanesque. Jean-François Marmontel, disciple de Voltaire, propose deux romans à thèse : Bélisaire (1767) et les Incas ou la Destruction de l'empire du Pérou (1777), unissant descriptions pittoresques, intrigues sentimentales et revendication de liberté. Jacques Cazotte, adepte du spiritisme et de l'illuminisme, écrit le Diable amoureux (1772), que l'on retient comme l'un des premiers grands récits fantastiques français. Restif de la Bretonne, admirateur des Encyclopédistes, produit une oeuvre originale, proche dans son esprit de celles de Rousseau (le Paysan perverti ou les Dangers de la ville, 1775). Marivaux laisse également des romans (la Vie de Marianne, 1731-1741), de même qu'Alain René Lesage, auteur de l'Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735), récit réaliste et picaresque qui revêt également des aspects de satire politique. L'abbé Prévost compose un roman de l'amour fatal, tableau de la faiblesse humaine confrontée à la misère et tentée par le crime, Manon Lescaut (1731). Par-delà cette diversité, le 5.2.1.3 XVIIIe siècle voit surtout s'affirmer le roman épistolaire, le roman libertin (voir libertinage) et le roman philosophique. Roman épistolaire Apparu au siècle précédent, le goût du roman par lettres s'accentue au XVIIIe siècle : la correspondance est une pratique sociale répandue, et l'art de bien écrire et de bien converser est toujours prisé. Les romans épistolaires sont d'autant plus appréciés qu'ils évoquent une intrigue amoureuse et qu'ils sont présentés comme des collections de lettres authentiques, échangées par des personnes réelles. Rousseau, avec Julie ou la Nouvelle Héloïse, connaît un succès sans précédent. Ces échanges de lettres entre la jeune Julie et le chevalier de Saint-Preux, le caractère idéal des personnages et de leur amour, la peinture d'une société idyllique, en harmonie avec la nature, séduisent en effet un public important, gagné à une sensibilité que l'on peut qualifier de préromantique. Toute différente est la sensibilité du roman de Choderlos de Laclos, les Liaisons dangereuses (1782) : l'intrigue est ici menée par deux libertins cyniques, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, qui se jouent des autres personnages (voir libertinage). La lettre y est le moyen employé pour séduire, tromper, corrompre et même tuer. Ce roman est présenté comme un recueil de lettres véritables par son auteur, non seulement pour lui donner cette dimension « vraie « qui plaît tant, mais aussi pour esquiver le scandale. Voir roman épistolaire. 5.2.1.4 Roman libertin Comme l'abbé Prévost et Marivaux, Claude Crébillon, dit Crébillon fils, compose, avec les Égarements du coeur et de l'esprit (1736), un roman d'analyse sur le sentiment amoureux, mais, en vrai libertin, il bannit tout idéalisme pour souligner la force du désir. Choderlos de Laclos provoque le scandale avec les Liaisons dangereuses : l'utilisation brillante du genre épistolaire y sert la dénonciation (d'ailleurs ambiguë) d'un libertinage meurtrier, tout en exposant, de façon très audacieuse, le lien entre la volonté de puissance et le désir sensuel. Le marquis de Sade occupe une place tout à fait à part dans le roman, et dans la catégorie du récit libertin : ses romans ne sont pas des divertissements érotiques, mais la mise en scène d'une cruauté extrême, remettant en cause l'idée même d'humanité. Parmi ses récits, où alternent scènes d'orgie et dissertations philosophiques, citons la Philosophie dans le boudoir (1795), Justine ou les Malheurs de la vertu (1791, 1797 pour la Nouvelle Justine), et les Cent Vingt Journées de Sodome (écrites avant 1789, publiées seulement en 1931-1935). Voir libertinage. 5.2.1.5 Roman philosophique Avec la Religieuse (1760, édition posthume en 1796), le Neveu de Rameau (1762-1777) et Jacques le Fataliste et son maître (1765-1773, édition posthume en 1796), Denis Diderot compose le versant romanesque de son oeuvre philosophique. Ces récits se lisent en effet à la lumière de ses essais, tandis que ses essais sont illustrés par ces récits. Lorsque Voltaire adopte la forme (on pourrait dire le masque) de la fiction, il s'impose comme le plus grand conteur de son temps. Dans ses récits, qui sont pour la plupart des récits d'initiation, il expose sa philosophie avec autant de rigueur que dans ses autres écrits. Avec une ironie devenue légendaire, il montre le souci de distraire son lecteur tout en l'amenant à réfléchir sur sa propre relation avec le monde : dans Zadig (1748), il dénonce les caprices de la destinée et remet en question la Providence divine ; dans Micromégas (1752), il invite au relativisme dans le domaine de la morale et dans celui de la connaissance, tandis que dans Candide ou l'Optimisme (1759), il opère une vigoureuse critique de l'optimisme obstiné. 5.2.2 Théâtre Désormais, au théâtre, les auteurs se montrent moins préoccupés de peindre des types grotesques (dans la comédie) ou des rois en proie à des passions inhumaines (dans la tragédie) que de refléter les travers ou les vertus de l'homme contemporain, c'est-à-dire le bourgeois. La tendance générale est donc à une vision plus réaliste et plus contemporaine des êtres et des situations. Au point de vue de la langue, les vers, jugés trop artificiels, cèdent la place à la prose, plus proche de la vie quotidienne. Parallèlement, la fonction cathartique de la tragédie classique laisse la place à la fonction moralisatrice du drame bourgeois. Voir Drame et art dramatique. 5.2.2.1 Comédie Au théâtre, la comédie, délaissée pendant les dernières années, austères, du règne de Louis XIV, renaît à partir de 1715, sous la Régence. Les principaux représentants en sont Marivaux et Beaumarchais. Le premier, jouant sur le travestissement et le mensonge, s'interroge, avec un grand souci de réalisme psychologique, sur l'amour et ses mille nuances, dans des pièces oscillant sans cesse entre émotion et ironie : la Surprise de l'amour (1722), la Double Inconstance (1723), le Jeu de l'amour et du hasard (1730), les Fausses Confidences (1737). Introduit à la cour, habile courtisan et homme d'affaires avisé, Beaumarchais utilise la comédie pour faire une satire radicale de la société française, condamnant notamment les privilèges de la naissance et de la fortune, et faisant l'éloge de la liberté dans ses pièces les plus célèbres, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro (1784). 5.2.2.2 Drame bourgeois et théâtre moralisateur Dans le domaine de la tragédie, le XVIIIe siècle se borne à imiter les modèles classiques consacrés avec, par exemple, la Mort de César (1743), de Voltaire. Mais le genre est progressivement remplacé par le drame bourgeois, davantage apte à toucher la sentimentalité du spectateur contemporain. C'est Diderot qui propose la définition la plus aboutie du drame bourgeois, cette « tragédie domestique et bourgeoise en prose «, dont il est le promoteur et le théoricien (Entretiens entre Dorval et moi) et où il s'illustre lui-même, notamment avec le Fils naturel (1757, représenté en 1771). Dans ce genre dramatique, des auteurs comme Sedaine ou Mercier obtiennent alors un vif succès. La comédie moralisante d'un Destouches (le Glorieux, 1732), la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée, l'opéra-comique, dont Favart (les Trois Sultanes, 1761) se montre le maître incontesté, le genre de la parade se développent dans le sillage du drame bourgeois. 5.2.2.3 Musique et théâtre La mise en musique du Mariage de Figaro (1784) de Beaumarchais par Mozart révèle combien l'époque se passionne pour la musique et l'art lyrique : la « querelle des Bouffons «, qui éclate à Paris en 1752, oppose les tenants de la nouvelle musique italienne aux partisans de la musique française, représentée notamment par Lully et par Rameau. En ce siècle passionné de musique, où Gluck réforme l'opéra, les frontières entre les disciplines s'estompent et l'on y voit des philosophescompositeurs, dont l'exemple le plus célèbre est Jean-Jacques Rousseau. 5.3 Époque révolutionnaire La Révolution française naît de la conjonction entre la situation politique, économique et sociale, d'une part, et l'adhésion d'une certaine partie de la bourgeoisie à la pensée des Lumières, d'autre part. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, texte fondamental voté en août 1789 par l'Assemblée constituante, pose les fondements de nouvelles valeurs et s'inscrit parfaitement dans la démarche progressiste des Lumières. Qu'il s'agisse de l'abbé Grégoire, de Camille Desmoulins, du marquis de Sade ou des tribuns de la Révolution comme Danton, Robespierre ou Saint-Just, de quelque bord qu'ils soient (Jacobins ou Girondins ; rationalistes athées, déistes ou catholiques...) et quelle que soit la particularité de leur pensée, tous les individus qui participent au mouvement révolutionnaire sont inspirés par les Lumières. Parallèlement aux très nombreux écrits et discours politiques, une littérature intimiste se développe à l'époque révolutionnaire, influencée notamment par Rousseau ; devant la tourmente, en effet, l'individu a tendance à se replier sur lui-même. Parmi les auteurs représentatifs de cette sensibilité, citons Mme Roland, mais surtout André Chénier, dont les poèmes représentent la manifestation de loin la plus notable de la poésie de son siècle et annoncent les poètes romantiques du siècle suivant : Victor Hugo le saluera d'ailleurs comme le génie « romantique parmi les classiques «. Auteur notamment des Bucoliques (1785-1787), d'Élégies et d'un Hymne à la justice, Chénier s'enthousiasme d'abord pour le mouvement révolutionnaire, mais condamne les abus de la Terreur et est exécuté. Le préromantisme doit beaucoup, aussi, aux écrivains de l'émigration (Sénac de Meilhan, Mme de Staël, Benjamin Constant, etc.), au premier rang desquels, bien entendu, on peut citer Chateaubriand. 6 XIXE SIÈCLE Jusqu'à la Révolution de 1848, la littérature française est dominée par le romantisme, mouvement de pensée d'envergure européenne, qui touche à des domaines aussi variés que les arts, la littérature, la philosophie, l'histoire, la critique, etc. Même sans appartenir au mouvement romantique, la plupart des auteurs de cette période subissent son influence ; toute oeuvre littéraire s'inscrit alors dans la continuité du romantisme ou, à l'instar du réalisme, en réaction contre lui. Après les événements de 1789 (voir Révolution française), en effet, et plus encore après la chute de Napoléon, toute une génération de jeunes gens se trouve contrainte d'abandonner ses rêves de changement politique et manifeste son dégoût de la société réactionnaire de la Restauration, puis de celle, médiocrement bourgeoise et étriquée, de la monarchie de Juillet et de la IIe République. La littérature romantique traduit le malaise de l'individu dans la société, son repli sur soi, sa mélancolie : célébration de l'individualité et de la liberté, célébration du sentiment et de la passion, engagement politique et tentation du repli sur la vie privée, identification du paysage à l'état d'âme, etc. Vers 1850, le romantisme comme mouvement littéraire s'éteint, remis en cause par de nouvelles tendances esthétiques : le réalisme puis le naturalisme, d'une part, qui, en réaction contre son idéalisme et sa sentimentalité et nourris par les sciences sociales naissantes, assignent à la littérature l'étude de la réalité politique, économique, sociale du monde et, d'autre part, le courant poétique de la modernité, représenté notamment par Charles Baudelaire et Gérard de Nerval, par Arthur Rimbaud, et par le symbolisme. Les deux dernières décennies du siècle sont marquées par ce qu'il est convenu d'appeler la « décadence «. Au même moment, des auteurs avant-gardistes, comme Alfred Jarry au théâtre et André Gide dans le genre romanesque, annoncent déjà le XXe siècle. Il convient de retenir surtout que le XIXe siècle est celui de la consécration absolue, et jamais démentie depuis, du genre romanesque ; de façon plus générale, la production littéraire est influencée par les nouveaux moyens de diffusion (l'explosion de la presse populaire, qui publie de nombreux romans sous forme de feuilletons), par le développement de l'instruction publique et par l'apparition de la notion, légale et morale, de droit d'auteur. 6.1 Période romantique 6.1.1 La fin du Préromantisme XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle sont fortement marqués par la production des auteurs de l'émigration royaliste. En inventant le « mal du siècle «, le plus notable d'entre eux, François René de Chateaubriand, place son oeuvre sous le signe du culte du moi, mais d'un moi souffrant d'être au monde, inaugurant ainsi en France, dans le prolongement des écrits rousseauistes, non le romantisme à proprement parler, mais la sensibilité romantique. Dans le Génie du christianisme (1802), il propose le salut par la religion chrétienne et, en 1801, s'affirme comme romancier avec Atala, histoire d'un amour pur et fatal, montrant une image de la passion inséparable du sacrifice et de la mort. Les traits autobiographiques, partout décelables dans l'oeuvre de Chateaubriand, mèneront au monument qui couronne sa vie : les Mémoires d'outre-tombe (1848-1850 pour la parution en feuilleton, 1849-1850, 1898 et 1948 pour la publication en volumes), fruit de quarante années de travail (voir autobiographie ; mémoires). Le romantisme français est nettement précédé et influencé par les romantismes anglais et allemand. C'est Mme de Staël, un des plus grands esprits critiques de cette période, riche d'une culture européenne, qui introduit le romantisme allemand en France avec De l'Allemagne (1813), ouvrage qui fait connaître les grands romantiques allemands et définit le romantisme par opposition au classicisme. Mme de Staël témoigne d'une sensibilité « romantique « dans ses romans d'inspiration autobiographique, telles Delphine (1802) et Corinne ou l'Italie (1807), fines études psychologiques de l'amour-passion, et dans ses essais critiques, notamment De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), où elle traite conjointement de politique et d'esthétique. Parmi les auteurs proches de Mme de Staël, il faut citer Xavier de Maistre, auteur du Voyage autour de ma chambre (1795), Étienne Pivert de Senancour, qui connaît une célébrité tardive avec son roman Oberman (1804), et surtout Benjamin Constant, qui propose une analyse cruelle du mal d'aimer dans le récit autobiographique de sa liaison avec Mme de Staël, Adolphe (1806, publié en 1816). 6.1.2 Poésie Le romantisme s'incarne de façon privilégiée dans la poésie, genre propice à l'épanchement du sujet. Le début du romantisme en France est d'ailleurs marqué par les Méditations poétiques (1820), d'Alphonse de Lamartine, chef-d'oeuvre du lyrisme amoureux. Lamartine prolonge la même inspiration avec ses Harmonies poétiques et religieuses (1830) et son épopée en vers, Jocelyn (1836). La poésie romantique est globalement dominée par l'expression d'un sujet solitaire, souffrant, incompris des hommes, et qui trouve refuge au sein de la nature, dont les paysages (exotiques on non) épousent subtilement les mouvements de son âme. Ainsi, les Nuits (1835-1837) d'Alfred de Musset (également auteur des Poésies, 1830-1840) relatent la chronique d'un amour malheureux et les sursauts d'une âme douloureuse. D'une manière similaire, Alfred de Vigny, qui compose ses Poèmes antiques et modernes (1822-1841) dans un contexte politique et familial difficile, y traite, sur le mode pessimiste, de son incertitude morale ; dans un autre recueil, les Destinées (posthume, 1864), où l'on trouve le célèbre poème « la Mort du loup «, il reprend le thème du malheur individuel pour en faire une fatalité universelle. D'autres poètes encore se situent dans cette lignée du dolorisme, notamment le Théophile Gautier de la Comédie de la mort (1838), recueil néanmoins frappant par son humour macabre, le Sainte-Beuve de Joseph Delorme (1829), mais aussi Maurice de Guérin et Aloysius Bertrand, qui s'illustrent dans le genre du poème en prose (le recueil Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand, publié en 1842, inspire notamment Baudelaire lorsqu'il compose ses le Spleen de Paris). Le romantisme est également représenté par quelques poétesses, au premier rang desquelles Marceline Desbordes-Valmore, admirée de Lamartine et de Baudelaire, et à qui l'on doit notamment les poèmes élégiaques des Pleurs (1833) et des Pauvres Fleurs (1839) ; mais il faut citer aussi Louise Colet (1810-1855), compagne de Musset puis de Gustave Flaubert et auteur notamment du Poème de la femme (1853-1856). Le lyrisme hugolien (voir Victor Hugo), qui domine son siècle, est d'une nature sensiblement différente : si le ton confine à l'élégie dans des recueils comme les Chants du crépuscule (1835), les Rayons et les Ombres (1840) ou les Contemplations (1856), il ne cesse jamais de se mêler de l'affirmation vigoureuse du pouvoir du verbe poétique et de la mission de révélation du poète. L'émotion, chez Hugo, ne s'isole pas, non plus, de la volonté politique : elle est présente jusque dans les poèmes satiriques des Châtiments (1853) et dans le souffle épique de la Légende des siècles (1859-1883). Il convient de dire que la veine politique n'est pas négligeable dans la poésie romantique : nombre de ces écrivains jouent un rôle politique actif, comme Lamartine ou Hugo, rêvent de le faire, ou regrettent de ne l'avoir pas fait, comme Musset. 6.1.3 Théâtre Dans le prolongement de l'essai de Stendhal, Racine et Shakespeare (1823-1825), c'est Victor Hugo qui, au théâtre, ouvre les hostilités avec la vieille garde du classicisme. Sa préface d'une pièce aujourd'hui réputée injouable, Cromwell (1827), est un véritable manifeste du drame romantique, genre qu'il invente en empruntant à la forme populaire du mélodrame, d'une part, et à Shakespeare, d'autre part, et en s'opposant aux canons classiques. La révolution au théâtre, chez Hugo, consiste non seulement à disloquer le « vieil alexandrin « et la structure classique en cinq actes, à refuser la règle des trois unités (temps, lieu, action), à utiliser un lexique qui ne soit pas noble, mais aussi à peindre tous les aspects du réel, fussent-il pathétiques, burlesques ou contraires aux bonnes moeurs. Appliquant avec éclat ces principes, sa pièce Hernani (1830) provoque un mémorable scandale lors de sa représentation, scandale connu sous le nom de « bataille d'Hernani «. Hugo poursuit son travail dramaturgique avec notamment Lucrèce Borgia (1833) et surtout Ruy Blas (1838) ; l'échec de son drame les Burgraves (1843) est généralement considéré comme marquant la fin du mouvement romantique en France. L'autre grand nom du théâtre romantique est sans doute celui d'Alfred de Musset, enfant terrible du mouvement, qui commence par écrire des drames de tonalité ambiguë, entre tragédie et comédie, comme On ne badine pas avec l'amour (1834) ou les Caprices de Marianne (1833), drames où l'apparente légèreté du badinage amoureux, révélant la solitude et l'incapacité à communiquer des personnages, débouche sur le désespoir ou la mort. Mûri par sa rupture avec George Sand, Musset donne ensuite un vrai drame poignant, Lorenzaccio (1834), proche du Hamlet de Shakespeare, et dont le héros éponyme, avatar pathétique de l'auteur lui-même et de la génération romantique tout entière, est confronté cruellement à l'échec définitif de son engagement politique. Parmi les autres auteurs du théâtre romantique, citons Prosper Mérimée, avec son Théâtre de Clara Gazul (1825), et Alexandre Dumas, qui obtient un grand succès avec ses pièces historiques (Henri III et sa cour, 1829), alliant des amours romanesques à des intrigues politiques dans un cadre historique des plus pittoresques. Citons aussi le nom d'Alfred de Vigny qui, avec Chatterton (1835), montre le malheur du poète incompris et bafoué par une société matérialiste. 6.1.4 Roman Le roman, genre par définition peu codifié, donc par nature susceptible de se prêter docilement à la fantaisie des auteurs, devient sans heurt un genre romantique par excellence ; sentimental, historique ou social, le genre entame son irrésistible ascension avec l'épanouissement du romantisme. Voir roman. 6.1.4.1 Roman sentimental Le récit romantique est, dans bien des cas, le versant en prose d'un lyrisme qui se déploie par ailleurs dans la poésie : sur le plan thématique, on y retrouve en effet le même repli sur la vie intime, le même souci de traduire les sursauts de l'âme, la même préoccupation de poser le sujet dans son irréductible singularité, le même primat accordé à l'émotion et en particulier à l'amour. L'un des ouvrages les plus célèbres de cette veine sentimentale reste la Confession d'un enfant du siècle, d'Alfred de Musset (1836), qui revêt une dimension presque emblématique tant il offre un parfait exemple de ce type de récit : matière largement autobiographique, itinéraire amoureux désenchanté d'un sujet qui, pour être solitaire et singulier, n'en est pas moins représentatif de sa génération. George Sand, dans ses premiers romans inspirés de sa propre vie, s'inscrit également dans cette sensibilité ; elle y exalte l'amour en lutte contre une société bornée ( Indiana, 1832 ; Valentine, 1832 ; Lélia, 1833 ; Mauprat, 1837). Le peintre et écrivain Eugène Fromentin donne lui aussi un chef-d'oeuvre du récit sentimental avec Dominique (1863), histoire d'une passion impossible. 6.1.4.2 Roman historique et roman fantastique L'autre aspect important du récit romantique est le roman historique. Le goût des romantiques pour le Moyen Âge et l'esthétique gothique est connu. On y distingue néanmoins deux grandes tendances : la tendance pittoresque, celle des romanciers qui ne cherchent, dans une image idéalisée ou romanesque du passé, qu'un cadre dépaysant à leurs intrigues, et la tendance sociale, plus réaliste et plus politique. Le roman historique est représenté notamment par le Cinq-Mars (1826) de Vigny qui, en présentant une image très idéalisée d'un personnage ayant réellement existé, provoque d'âpres discussions sur le respect de la vérité historique au sein du roman. Mérimée s'illustre dans ce registre avec sa Chronique du règne de Charles IX (1829), puis avec Carmen (1845), affichant l'ambition, non pas d'appréhender les grands faits d'un siècle et de donner un sens à l'histoire, mais de restituer la vie quotidienne et les mentalités d'une époque. Tandis qu'Alexandre Dumas (les Trois Mousquetaires, 1844 ; le Comte de Monte-Cristo, 1844-1846) et Eugène Sue (les Mystères de Paris, 1842-1843) profitent pleinement de la vogue du récit historique en produisant des romans-feuilletons à grand succès, Victor Hugo compose des romans historiques de plus en plus ambitieux, où le pittoresque, bien réel, est progressivement mis au service d'une réflexion sociale et politique : si Notre-Dame de Paris (1831) est encore marquée par l'influence de Walter Scott et le goût du spectaculaire et du dépaysement, les Misérables (1862) et Quatrevingt-Treize (1874) sont des récits dominés par les préoccupations politiques et sociales de l'auteur, par sa réflexion sur la marche de l'histoire. Le romantisme noir cherche, dans l'histoire, à satisfaire son goût du mystère, de l'occultisme, voire du satanisme ; particulièrement influencé par les oeuvres allemandes et les romans gothiques (ou noirs) anglais, il donne des oeuvres sombres, où le cadre gothique est davantage au service d'un univers fantastique que de la reconstitution d'une quelconque réalité historique. Petrus Borel, admiré plus tard des surréalistes, laisse des poèmes, mais surtout des contes ( Contes immoraux, 1833) et des romans (Madame Putiphar, 1839) qui mettent en scène un univers onirique. Charles Nodier, chef de file des romantiques avant l'arrivée de Hugo, donne ses lettres de noblesse au conte fantastique ( Smarra ou les Démons de la nuit, 1821). Gérard de Nerval, nourrissant son oeuvre de sa culture hermétique comme de sa folie, construit des récits en prose poétique, dans une zone incertaine entre rêve et réalité, récits hantés par la mort des êtres chers et la nostalgie du bonheur perdu ( Sylvie, 1853 ; Aurélia, 1855). 6.2 Visages du réalisme La rupture entre le récit romantique et le roman réaliste n'est pas aussi tranchée dans les faits que l'histoire littéraire a tendance à le dire. Sous la bannière du réalisme, en effet, sont traditionnellement réunis des auteurs de sensibilités diverses, dont certains sont des romantiques repentis (Flaubert), des romantiques malgré eux (Balzac) ou des écrivains dont l'âme est romantique mais dont les procédés sont ceux du réalisme (Stendhal). Certains écrivains revendiquent l'étiquette de réalisme (Balzac prétendant concurrencer l'état-civil), alors même qu'elle est tout à fait réductrice si l'on considère la complexité de leur oeuvre (elle ne rend pas compte des aspects visionnaire, fantastique, sentimental, policier, etc., de l'oeuvre de Balzac). D'autres, conscients du caractère réducteur du terme « réaliste «, le refusent (Flaubert déplorant de passer pour le maître du réalisme). Notion commode pour appréhender les grands romans du 6.2.1 XIXe siècle, le terme de réalisme ne saurait rendre compte de la particularité des oeuvres de ce temps. Romanciers « réalistes « de la première moitié du siècle 6.2.1.1 Stendhal Stendhal, par sa personnalité romanesque et solitaire, son goût des voyages et de l'Italie, son « égotisme «, est romantique ; par bien des aspects, son oeuvre aurait pu l'être : emprunt de thèmes à des chroniques de la Renaissance italienne, à des faits divers sentimentaux, mais surtout à la matière autobiographique, intrigues dotées de nombreux rebondissements, alliant thèmes amoureux et politiques, mise en scène de héros solitaires, héroïques ou ambitieux, dont la grandeur d'âme va à l'encontre des valeurs bourgeoises, primat accordé à l'amour-passion, etc. Pourtant, par son écriture, Stendhal se situe en marge du romantisme et même en marge de son époque ; lui qui prétend écrire pour la postérité tant il est sûr d'être trop moderne pour son temps se distingue du romantisme par son souci constant d'analyser les situations, les choses et les êtres. Si Stendhal est « réaliste «, c'est parce qu'il développe un style ironique et lucide, refusant la complaisance et la naïveté qui caractérisent un certain romantisme. On lui doit d'ailleurs l'idée du roman « miroir du monde « : miroir révélant sans pitié, mais sur le mode souriant, la vérité des êtres et des sentiments, mais aussi miroir révélant les travers et les petitesses de la société (le Rouge et le Noir, 1830 ; Vie de Henry Brulard, 1834-1836, édition posthume en 1890 ; la Chartreuse de Parme, 1839). 6.2.1.2 Balzac Le « réalisme « d'Honoré de Balzac est tout différent de celui de Stendhal. Ses écrits ont pourtant, eux aussi, quelques traits qui tiennent du romantisme : intérêt pour le moi, emprunts à l'autobiographie, intérêt pour l'histoire, sens de la poésie peuvent le rapprocher des romantiques de 1830, mais il s'éloigne toutefois de l'esthétique romantique par sa volonté de se faire le « secrétaire de l'histoire « et d'expliquer la réalité historique et sociale d'une époque entière en la représentant dans le roman. La Comédie humaine, fresque romanesque immense, influencée par les théories scientifiques (travaux de Buffon sur les espèces animales), met en scène plus de deux mille personnages, aux prises avec leurs passions, notamment celle de l'argent, désignée comme l'un des principaux facteurs du malheur de la société. Cette oeuvre trouve son unité dans le système du retour des personnages d'un roman à un autre (première apparition de Rastignac, âgé, dans la Peau de chagrin en 1831, réapparition du même, en jeune arriviste, dans le Père Goriot en 1835). Le retour des personnages, géniale trouvaille romanesque, confère non seulement une épaisseur supplémentaire au récit, mais lui donne l'apparence d'un tableau exhaustif, sinon objectif, de la société. Voir réalisme. 6.2.2 Roman réaliste et avancée des sciences naturelles et sociales Le roman réaliste se nourrit naturellement de toutes les nouvelles sciences qui prennent pour objet le réel, celui de la nature ou de la société, comme l'anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, l'économie, la psychosociologie. La pensée politique de Lamennais, symbole d'un catholicisme social, est moins influente dans la littérature que celle d'Auguste Comte, qui annonce l'avènement de l'ère positiviste : désormais, la littérature ne cherche plus la vérité dans des principes religieux ou abstraits mais dans la causalité des faits, selon la méthode indiquée dans les Cours de philosophie positive (1830-1842) d'Auguste Comte. Après ce dernier, Frédéric Le Play jette les bases de la sociologie moderne. Dans le domaine de la grammaire et de la linguistique, les dictionnaires de Littré et de Larousse témoignent de la volonté d'éduquer les foules pour rendre la société meilleure. Ernest Renan, auteur de la Vie de Jésus (1864), ouvrage positiviste destiné à désacraliser la figure du Christ, clame son enthousiasme scientifique dans l'Avenir de la science (1848), publié en 1888, tandis que Proudhon contribue à répandre les idées socialistes et que Karl Marx, dans la lignée de Babeuf et de Blanqui, compose une oeuvre de philosophie politique qui va changer la face du monde (voir Manifeste du parti communiste). De nombreux romans dits « réalistes « s'inspirent des travaux menés dans les diverses sciences sociales, et certains véhiculent une pensée politique relevant du socialisme ou du marxisme. Les romans de Jules Vallès, par exemple, sont porteurs de revendications égalitaristes (l'Enfant, 1879 ; le Bachelier, 1881 ; l'Insurgé, posthume, 1886). Dans le même mouvement, le roman se nourrit aussi de l'histoire, qui acquiert alors un vrai statut scientifique. L'oeuvre originale de Jules Michelet se situe précisément à la croisée des deux genres, histoire et roman ( Histoire de France, 1833-1846 ; la Sorcière, 1862). Des hommes politiques produisent des essais d'histoire, parallèlement à leur carrière : c'est le cas de Louis Adolphe Thiers (Histoire de la Révolution française, 1823-1827 ; Waterloo, 1862) et de François Guizot, qui se sert de récits événementiels pour défendre ses thèses politiques (Histoire des origines du gouvernement représentatif, 1821-1822). Alexis de Tocqueville, qui se présente lui-même comme un disciple de Montesquieu, s'impose comme un véritable philosophe de l'histoire (De la démocratie en Amérique, 1835). Cependant, la critique littéraire se constitue comme science et prend son essor avec Sainte-Beuve, dont la méthode, fondée sur l'étude de la biographie de l'auteur et sur l'histoire, sera plus tard très contestée. Sous l'influence du positivisme, Hippolyte Taine considère l'oeuvre littéraire comme un produit sociologique et psychologique (Histoire de la littérature anglaise, 1864), tandis que Ferdinand Brunetière étudie l'évolution des genres littéraires sur le modèle de l'évolution des espèces décrit par Darwin (Études critiques sur l'histoire de la littérature française, 1880-1892) et que Gustave Lanson consacre la notion d'« histoire littéraire « en appliquant à l'évolution de la littérature les méthodes d'investigation réservées jusque-là à l'histoire (Manuel bibliographique de la littérature française, 1909-1912). 6.2.3 Roman réaliste de la seconde moitié du siècle 6.2.3.1 Un courant esthétique dominant Le roman de la seconde moitié du XIXe siècle se place résolument sous la bannière réaliste, cependant que des auteurs comme Champfleury (le Violon de faïence, 1862) tentent de théoriser les principes du « réalisme « et de le constituer en véritable mouvement littéraire. Au même titre que la peinture de Gustave Courbet, les vaudevilles d'Eugène Labiche ou les drames d'Alexandre Dumas fils, les romans réalistes ont surtout en commun d'être profondément marqués par le positivisme, et de donner à voir une certaine réalité historique, économique et sociale. Les romans d'Edmond et de Jules de Goncourt sont les premiers, sans doute, à proposer des « études de cas « ; le plus connu de leurs récits, Germinie Lacerteux (1865), fruit de longues enquêtes, est salué par Zola ; décrivant l'aliénation progressive et irréversible d'une servante, ce texte marque notamment l'irruption de la classe ouvrière au rang des héros littéraires. Pourtant, les Goncourt n'adoptent pas un style propre à la réalité qu'ils prétendent décrire : c'est tout en se posant comme les représentants du « style artiste «, élégant et raffiné, qu'ils prétendent voir le réel avec une rigueur scientifique. Les conventions académiques qui entravent une part de la production réaliste, celle qui donne naissance, dans le pire des cas, à des récits misérabilistes et complaisants, sont dépassées par Flaubert et par Zola. 6.2.3.2 Flaubert, le « maître du réalisme « Comme homme et comme romancier, Gustave Flaubert se trouve à la croisée de deux aspirations contradictoires : une tendance lyrique, héritée du romantisme, et une tendance réaliste, c'est-à-dire une obsession de dire le réel. Le réalisme de Flaubert se manifeste de diverses façons : recours à une importante documentation, goût prononcé pour la description (qui donne à voir le réel, qui est mimétique), refus des facilités du « romanesque « allant de pair avec l'usage d'une ironie féroce (à l'égard des rêveries littéraires d'Emma, des rêveries héroïques de Frédéric, etc.). Pourtant, il se distingue des autres romanciers réalistes par son souci du style : en effet, s'il veut comme eux « peindre le dessus et le dessous des choses «, ce n'est pas au détriment du style, mais grâce à lui -- le style étant, chez lui, ce qui rend possible l'art réaliste, puisqu'il est « à lui seul une manière absolue de voir les choses «. Ses romans, s'ils rendent compte de la réalité historique et sociale d'une époque, le font non pas sous la forme d'un tableau embrassant tout un horizon, comme la Comédie humaine de Balzac, mais à travers l'itinéraire (en forme d'échec) de ses personnages. C'est notamment le cas dans Madame Bovary (1857) et dans l'Éducation sentimentale (1869). 6.2.3.3 Zola et le naturalisme Le naturalisme, dont le principal représentant est Émile Zola, s'inscrit dans la lignée du réalisme : même recours à la documentation, même souci de décrire le monde ouvrier, même ambition scientifique, même prise en compte de l'incidence des facteurs sociaux et héréditaires sur le comportement humain. Cependant, le naturalisme, tel que Zola le représente, va plus loin en faisant du roman le lieu même de l'expérimentation scientifique (le Roman expérimental, 1880). Zola postule en effet que le corps social est régi par des lois identiques à celles qui gouvernent la nature et se donne pour objectif non seulement d'observer, mais d'expérimenter ces règles dans la fiction. Avec les Rougon-Macquart, contrairement à Balzac, il ne veut pas peindre toute une société dans son immense somme romanesque,, mais seulement relater l'histoire d'une famille sous le second Empire, une famille dont les individus seraient marqués par la « race «, d'une part (c'est-à-dire l'hérédité, telle que la décrit le docteur Lucas dans son Traité philosophique et physiologique de l'hérédité naturelle, 1847-1850), et par le « milieu «, d'autre part. Disciple de Flaubert, Guy de Maupassant est lui aussi un membre du groupe naturaliste (Boule-de-Suif est publié dans les Soirées de Médan, 1880). Si certains de ses contes et de ses romans sont marqués par un réalisme cruel (Une vie, 1883), il s'impose aussi comme un maître du fantastique (le Horla, 1887). 6.3 Modernité, symbolisme et décadence 6.3.1 Le Parnasse C'est paradoxalement Théophile Gautier qui, avec Émaux et Camées (1852), marque en poésie la rupture avec le romantisme. Accordant à la forme poétique une importance nouvelle, fût-ce au détriment du sentiment, il ouvre la voie au mouvement dit de « l'art pour l'art «. Représenté notamment par Leconte de Lisle, le mouvement du Parnasse reprend le mot d'ordre lancé par Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin (1835), proclamant le primat de la forme sur le contenu et célébrant le culte du travail poétique. Parmi les Parnassiens, citons Théodore de Banville (les Stalactites, 1846 ; Odes funambulesques, 1857), José Maria de Heredia, à qui l'on doit les cent dix-huit sonnets des Trophées (1893) et François Coppée (le Cahier rouge, 1874). En outre, Baudelaire, Verlaine et Mallarmé sont parnassiens à leurs débuts. 6.3.2 Baudelaire et la modernité Charles Baudelaire emprunte à Leconte de Lisle l'idée que « la moralité d'une oeuvre, c'est sa beauté «. Critique d'art et critique littéraire clairvoyant, traducteur d'Edgar Poe, Baudelaire est le représentant de la modernité, cette conception d'un Beau de nature double, éternel et absolu d'une part, contemporain et éphémère d'autre part. Mais Baudelaire est avant tout poète : avec son recueil les Fleurs du mal, condamné pour immoralité lors de sa parution en 1857, et plus tard avec les poèmes en prose du Spleen de Paris (posthume 1869), il fait une synthèse magistrale entre le lyrisme romantique et le formalisme du Parnasse. Il reste aussi dans l'histoire littéraire comme le plus grand poète de l'ennui métaphysique, ce spleen contre lequel il ne trouve, pour lutter, que le pouvoir transfigurateur du verbe poétique... Son art poétique, le sonnet des « Correspondances «, annonçant Rimbaud et sa théorie du Voyant, fait de la poésie le moyen de donner du sens, selon la loi de l'analogie universelle, c'est-à-dire de révéler les rapports cachés entre les différentes strates de la réalité. Précurseur des symbolistes, il sera admiré par les surréalistes. 6.3.3 Rimbaud et Lautréamont Dans la même perspective que Baudelaire, Arthur Rimbaud fait du poète un Voyant, un « alchimiste du verbe «, conférant à la poésie un pouvoir magique, celui de révéler les réalités essentielles cachées au commun des mortels. Sur le plan formel, néanmoins, les écrits de Rimbaud sont plus audacieux que ceux de Baudelaire, puisqu'il affiche un mépris précoce et définitif pour les formes régulières et traditionnelles, comme l'alexandrin ou le sonnet. Après ses poèmes de jeunesse, dont le plus célèbre est « le Bateau ivre « (1871), il s'oriente résolument vers des formes inédites en composant ses chefs-d'oeuvre, Une saison en enfer (1873), qui est un adieu à l'expérience de la voyance, et les Illuminations (publié en 1886), recueil qui marque l'apogée de la poésie rimbaldienne et qui sera, lui aussi, salué par les surréalistes pour sa richesse en images. Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, est en quelque sorte le jumeau de Rimbaud par son itinéraire aussi brillant qu'éphémère en littérature et par la colère iconoclaste qui se dégage de ses écrits. Avec les Chants de Maldoror (1869), provocante et ricanante célébration du Mal, il compose en fait une sorte d'oeuvre au second degré, pastichant divers aspects de la tradition littéraire. Son style, qui privilégie absolument les images et s'affirme violemment « anti-littéraire «, fait de lui l'une des références majeures des surréalistes. 6.3.4 Verlaine et Mallarmé Contemporain et compagnon de Rimbaud, Paul Verlaine reste dans l'histoire littéraire comme le poète de la musicalité. Grand amateur de vers impairs, assez inusités, il sait se libérer des contraintes stylistiques antérieures. Parfois précieuse sans être jamais mièvre, sa poésie, qui s'alimente pour une part à la tradition galante, est sensuelle et délicate, souvent mélancolique ; c'est une poésie de la suggestion, dont la forme est très maîtrisée et où le mot et la chose se confondent harmonieusement (Fêtes galantes, 1869 ; la Bonne Chanson, 1870 ; Romances sans paroles, 1874 ; Sagesse, 1880). Poète personnel, dont l'oeuvre est irréductible à quelque mouvement que ce soit, Verlaine est pourtant reconnu par les symbolistes comme leur chef de file. Stéphane Mallarmé, auteur notamment de Hérodiade (inachevé, 1871) et de l'Après-midi d'un faune (1876), est lui aussi considéré comme un maître par les symbolistes. Il pousse très loin son exigence d'absolu en voulant faire de la poésie une langue tout à fait neuve, au pouvoir d'incantation, où l'objet nommé disparaît (il en est même banni) au profit du mot qui le nomme : le poème est alors défini comme absence. 6.3.5 Symbolisme C'est dans les années 1880 que s'impose vraiment le courant symboliste. Inauguré précisément en 1886, par un article de Jean Moréas, auteur notamment des Syrtes (1884), le symbolisme est moins un mouvement littéraire constitué qu'un courant de sensibilité, caractérisé par une certaine inquiétude métaphysique, par une croyance en l'existence d'un monde suprasensible et en un pouvoir révélateur de l'oeuvre d'art, faisant ainsi du réel un univers de signes à déchiffrer. Les symbolistes accordent en outre une grande importance au travail poétique et font de l'harmonie entre le fond et la forme la valeur première de toute création. Sur le plan esthétique, ils s'opposent fortement aux courants réaliste et naturaliste. Parmi les plus grands représentants du symbolisme, il faut citer Joris-Karl Huysmans, transfuge du naturalisme qui, après sa conversion, évolue vers un mysticisme teinté de satanisme, inspiré en partie par l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly ( Là-bas, 1891). Son roman À rebours (1884), dont le héros est un dandy incarnant l'éternelle insatisfaction de vivre, ouvre l'ère de la « décadence «. Citons aussi Villiers de L'Isle-Adam, écrivain mystique, adepte de l'occultisme et inspiré par la cabale, à qui l'on doit notamment un drame, Axël (1885), et des récits marquant une préférence pour les thèmes fantastiques (Contes cruels, 1883 ; l'Ève future, 1886). Outre les précurseurs, George Rodenbach et Barbey d'Aurevilly, citons, dans la mouvance symboliste, l'inventeur fantaisiste Charles Cros, le critique idéaliste Léon Bloy, le poète Jules Laforgue, Remy de Gourmont, qui se fait l'historien du mouvement, le poète belge Émile Verhaeren et le dramaturge belge Maurice Maeterlinck, qui domine le théâtre symboliste avec notamment la pièce Pelléas et Mélisande (1892). 6.4 Diversité de la littérature de la fin du siècle Dominée par le conflit entre le réalisme, d'inspiration positiviste, et le symbolisme, nourri par une certaine spiritualité (religion, occultisme ou spiritisme), la littérature de la fin du siècle est marquée du sceau de la « décadence «. L'esprit « décadent «, qui se dessine en cette fin du siècle, est évoqué notamment dans un essai de Paul Bourget sur Baudelaire, Taine, Renan et Stendhal, où figure en quelque sorte une définition de la « névrose « du temps. La « décadence « est illustrée non seulement par les symbolistes, mais aussi par des auteurs inclassables comme Tristan Corbière ou Alfred Jarry, qui se nourrit du symbolisme mais compose une oeuvre irréductiblement personnelle, alliant grotesque et cruauté, notamment avec le cycle d'Ubu, parodiant le théâtre historique, et annonçant la révolution dramaturgique du XXe siècle. Voir Drame et art dramatique. Dans cet esprit « décadent «, dit aussi « fin de siècle «, s'inscrivent aussi bien le versant onirique de l'oeuvre de Maupassant que l'érotisme d'Octave Mirbeau, ou encore le pessimisme ironique de Jules Renard : tous ces écrits, en effet, ont en commun de manifester un net éloignement par rapport à l'esthétique naturaliste et sont porteurs d'une certaine angoisse métaphysique, allant de pair avec une interrogation sur les valeurs. À partir des années 1880, les différentes réactions à l'héritage positiviste sont portées par des débats houleux où s'affirment, de façon générale, des idées nationalistes et droitières, représentées par les voix de Joseph Arthur de Gobineau, puis de Maurice Barrès et de Charles Maurras, dont le nationalisme est exacerbé par la perte de l'Alsace-Lorraine. Les dix dernières années du siècle voient apparaître en outre une nouvelle génération d'auteurs, qui va dominer le 7 XXe siècle, notamment André Gide, Paul Valéry, Romain Rolland, Charles Péguy et Paul Claudel. XXE SIÈCLE La fin du XIXe siècle est placée sous le double signe du naturalisme et de la « décadence «. Bientôt, le traumatisme laissé dans les consciences par les massacres de la Première Guerre mondiale orientera la littérature dans une voie nouvelle. La révolte s'incarne diversement, dans la prose révolutionnaire d'un Céline ou dans la colère iconoclaste des surréalistes. En même temps, la question de conscience politique s'impose aux écrivains, notamment aux existentialistes, qui prônent la nécessité, pour les intellectuels, de s'impliquer dans la vie de la cité et, par leur création même, de combattre ses ennemis. Après la Seconde Guerre mondiale, la littérature française s'ouvre davantage aux influences étrangères, mais enregistre dans le même temps une nouvelle et profonde crise morale, liée à la découverte des crimes sans précédent commis pendant le conflit (voir camp de concentration ; Shoah). De nouvelles incertitudes génèrent, dans tous les domaines littéraires, des formes nouvelles : Nouveau Roman, bien sûr, mais aussi, sous des appellations diverses, nouveau théâtre et nouvelle critique, où il s'agit de remettre en cause non seulement les valeurs, mais le langage même, menacé par la perte du sens. 7.1 Avant la Première Guerre mondiale L'Europe connaît, au début du siècle, des années d'aisance et d'euphorie, où elle apparaît, sur le plan économique et culturel, comme une entité solide ; les capitales européennes sont alors de hauts lieux de culture et d'activité littéraire. 7.1.1 Récit Deux tendances s'opposent alors dans le domaine du récit : l'une s'inscrit dans la continuité du positivisme, tandis que l'autre suit davantage la voie de la « métaphysique de l'expérience « initiée par Henri Bergson. 7.1.1.1 Diversité de l'inspiration Le récit de cette période revêt des formes variées : les écrits de maîtres à penser conservateurs comme Maurice Barrès, dont l'oeuvre romanesque est dominée par le culte du moi et par le nationalisme revanchard ( le Culte du moi, 1888-1891 ; le Roman de l'énergie nationale, 1897-1902), ou comme Paul Bourget, auteur traditionaliste et catholique (le Sens de la mort, 1915), voisinent avec les récits oniriques d'Alain-Fournier, auteur du Grand Meaulnes (1913), les romans idéalistes d'Anatole France (Thaïs, 1890), écrivain humaniste qui est aussi, à travers ses essais, un fin observateur de son époque (l'Histoire contemporaine, 1897-1901), et les récits de Romain Rolland, auteur notamment de Jean-Christophe (1904-1912), ample cycle romanesque dépeignant la société européenne au tournant du siècle. À la même époque, un auteur comme Raymond Roussel fait de l'imagination la faculté première de la création littéraire et compose des récits d'une très grande modernité d'écriture, comme Impressions d'Afrique (1910) ou Locus Solus (1914), qui lui valent d'être admiré par les surréalistes. André Gide, qui a débuté dans le roman avec les Cahiers d'André Walter (1891), poursuit son oeuvre avec les Nourritures terrestres (1897), l'Immoraliste (1902) et les Caves du Vatican (1914) et, en 1909, fonde la Nouvelle Revue française (N.R.F.). 7.1.1.2 Proust et le roman moderne Dans ce contexte, l'oeuvre de Marcel Proust apparaît comme la manifestation d'une véritable révolution dans le domaine du roman. Ses écrits théoriques, en particulier Contre Sainte-Beuve (posthume, 1954), où il s'élève contre la méthode de la critique biographique pratiquée par Sainte-Beuve, mais aussi ses pastiches, qu'il considère comme une sorte de « critique en action « (Pastiches et Mélanges, 1919), mènent en toute cohérence à une oeuvre monumentale, recouvrant plusieurs genres littéraires (roman, autobiographie, chronique d'une époque, essai littéraire, essai d'esthétique, étude de moeurs, etc.) : À la recherche du temps perdu. Ce vaste roman, s'il emprunte un matériau largement autobiographique, est pourtant, avant tout, une réflexion sur le temps, sur la mémoire involontaire et sur la vocation d'écrivain. Le narrateur, ligne après ligne, sauve de l'anéantissement sa vie passée en la consignant sous la forme de l'oeuvre d'art, qui seule a le pouvoir de la soustraire à la contingence ; retraçant l'itinéraire qui l'a conduit à l'écriture, il relate, dans le même mouvement, l'histoire d'une conscience qui naît à elle-même. Voir narration ; roman. 7.1.2 Théâtre Le théâtre de cette période revêt des formes variées ; des voix singulières s'expriment, impossibles à regrouper en un mouvement littéraire au sens strict. Globalement, on peut dire pourtant que la scène devient le lieu privilégié de la représentation du monde, le plus souvent un monde en proie à la dérision et à l'ironie. Il faut citer, parmi les auteurs de cette époque, Alfred Jarry, créateur d'Ubu, Jules Romains (Donogoo-Tonka, 1930 ; Knock, 1924) mais surtout Paul Claudel, qui est aussi poète (Cinq Grandes Odes, 1910) et essayiste (Connaissance de l'Est, 1900). Auteur catholique, ce dernier chante dans l'ensemble de son oeuvre l'amour humain et l'amour divin et le déchirement entre ces deux aspirations de l'être. Son théâtre, écrit dans une langue à la richesse baroque, empruntant la forme inusitée du verset, possède un souffle à la fois épique et intimiste (Tête d'or, 1890 ; le Repos du septième jour, 1901 ; l'Annonce faite à Marie, 1912) et mêle une matière historique à une dimension lyrique et tragique. 7.1.3 Poésie, prose poétique 7.1.3.1 Vestiges du symbolisme En poésie, le symbolisme finissant est incarné notamment par Saint-Pol Roux (les Reposoirs de la procession, 1893-1907), mais trouve aussi des continuateurs dans le mouvement naturiste qui chante la vie et la lumière, de façon parfois rustique ; Saint-Georges de Bouhélier (1876-1947), Francis Jammes, Paul Fort et Émile Verhaeren notamment sont représentatifs de cette tendance issue du symbolisme. Les femmes s'imposent aussi à cette période dans la vie littéraire, avec des poétesses comme Anna de Noailles (le Coeur innombrable, 1901), de sensibilité néoromantique, ou Renée Vivien (1877-1909), qui emprunte à l'Antiquité certains thèmes pour chanter l'amour avec une audace neuve. 7.1.3.2 Renouvellement de l'inspiration et des formes poétiques Une veine d'inspiration sociale engendre des courants comme l'unanimisme, placé sous le patronage de Jules Romains (la Vie unanime, 1908). Par ailleurs, des poètes dits « fantaisistes « réagissent au désarroi par la parodie, l'humour et l'absurde, annonçant déjà le surréalisme. C'est à cette époque que le poème, qui s'est progressivement libéré du carcan du vers régulier et de la forme fixe, s'affranchit définitivement des contraintes formelles pour devenir un objet littéraire sans forme préétablie, auquel la force de l'imaginaire, en tout premier lieu, vient désormais conférer en quelque sorte une vie propre, sans rigidité ni logique. Saint-John Perse, évoquant les paysages de son enfance à la Guadeloupe dans des poèmes de jeunesse (Images à Crusoë, 1909 ; Éloges, 1911), ou Victor Segalen, de retour de Polynésie (les Immémoriaux, 1907), traitent de l'exotisme dans une langue mélodieuse et maîtrisée. La poésie de Blaise Cendrars, qui est aussi romancier (l'Or, 1925 ; Moravagine, 1926), puise dans la propre vie aventureuse de l'auteur pour proposer un parcours symbolique du monde (la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913) ; audacieuse sur le plan formel, cette poésie est construite pour mimer l'expérience du voyageur (rythme, sonorité, etc.). Valery Larbaud, lui aussi voyageur, amoureux des trains, compose des poèmes ( Poèmes par un riche amateur, 1908), des essais et des romans (Fermina Marquez, 1911 ; A. O. Barnabooth, 1913). Citons aussi les noms de Max Jacob, auteur notamment du recueil intitulé le Cornet à dés (1917), qui s'inspire du cubisme et est particulièrement admiré des surréalistes. Pierre Reverdy, qui place l'image au centre de sa poétique, est lui aussi admiré par les surréalistes (Poèmes en prose, 1915) ; Paul Morand (Lampes à arc, poésie, 1919) et Jean Cocteau (la Lampe d'Aladin, poésie, 1909) qui s'illustrent tous deux avec talent dans des genres divers, se rapprochent de Reverdy et Jacob par leur admiration des peintres cubistes. 7.1.3.3 Guillaume Apollinaire Guillaume Apollinaire occupe une place prépondérante dans cette révolution poétique. Intéressé par tous les domaines artistiques, amateur notamment de peinture cubiste, il est l'inspirateur de l'« esprit nouveau « et l'inventeur du mot « surréalisme «. Il renouvelle des thèmes classiques comme le temps et la nostalgie, les légendes arthuriennes (l'Enchanteur pourrissant, 1909) ou l'Allemagne romantique (Alcools, 1913). C'est davantage sur le plan formel qu'il fait preuve d'audace, allant jusqu'à abolir totalement l'usage de la ponctuation, et inventant la forme du calligramme, poème qui figure, par sa disposition typographique sur la page blanche, la chose dont il parle ( Calligrammes, 1918). 7.2 L'entre-deux-guerres Les années vingt et trente sont marquées à la fois par la volonté de toute une société de ne plus revivre l'horreur de la Première Guerre mondiale et, rapidement, par l'appréhension de nouveaux dangers menaçant l'humanité, appréhension qui, une fois encore, va de pair avec une remise en cause des modèles culturels. La « révolution surréaliste « qui domine cette période bouleverse durablement la poésie française et, plus globalement, impose une nouvelle conception de la création littéraire et artistique. 7.2.1 Récit 7.2.1.1 André Gide André Gide, qui a débuté avant la Première Guerre mondiale, s'impose dans les années vingt non seulement comme écrivain (la Symphonie pastorale, 1919 ; les Faux-monnayeurs, 1926) mais aussi comme figure importante du monde des lettres, notamment grâce à son rôle au sein des éditions Gallimard et à la publication de son Journal (1889-1949), qui marque une date importante dans l'histoire des écrits autobiographiques. Dans ses récits, Gide opère une critique interne du genre romanesque (manifestée notamment par le procédé de la « mise en abyme «, mis en oeuvre notamment dans les Faux-monnayeurs) ; il y exprime aussi, tour à tour, une recherche de spiritualité, la force de la sensualité et la nécessité de l'engagement politique. 7.2.1.2 Thèmes politiques et sociaux L'entre-deux-guerres est marqué par un certain militantisme : non seulement la période est féconde en manifestes politiques et culturels (domaine où les surréalistes ne sont pas en reste), mais on voit aussi émerger à cette époque des romans évoquant la destinée d'une classe sociale entière, venus remplacer le roman centré sur l'individu. Roger Martin du Gard, ami de Gide, est surtout connu comme l'auteur d'un ample cycle romanesque et familial de facture classique, les Thibault (1922-1940), où il confronte l'idéalisme de ses héros aux événements de l'histoire. Dans deux vastes ensembles romanesques, Vie et aventures de Salavin (1920-1932) et Chronique des Pasquier (1933-1934), Georges Duhamel exprime son refus des aspects technologiques de la modernité. À la même période, Jules Romains compose les Hommes de bonne volonté (1932-1946) et le fantaisiste Francis Carco, son roman Brumes (1936), décrivant le Paris populaire. Écrivains engagés, Emmanuel Berl, l'animateur de la revue Marianne entre 1938 et 1940, et Paul Nizan (Aden Arabie, 1931) entreprennent de vulgariser le marxisme par le roman. 7.2.1.3 Préoccupations morales et éthiques Dans une tout autre perspective, certains romans reflètent une quête spirituelle, allant de pair avec une interrogation sur la morale traditionnelle et sur sa légitimité. François Mauriac, écrivain catholique issu de la bourgeoisie bordelaise, ne cesse de mettre en scène cet univers en s'interrogeant sur les relations entre le désir et la foi, l'amour et l'argent (le Baiser aux lépreux, 1922 ; Genitrix, 1923 ; Thérèse Desqueyroux, 1927 ; le Désert de l'amour, 1925 ; le Noeud de vipères, 1932). Georges Bernanos, dans ses romans Sous le soleil de Satan (1926) et Journal d'un curé de campagne (1936), caractérisés par une certaine violence dans l'expression, expose ses angoisses et ses aspirations mystiques en même temps que sa révolte devant la condition faite à l'Homme ici-bas. L'oeuvre, largement autobiographique, de Marcel Jouhandeau, expose sa double aspiration, d'une part la sensualité et l'homosexualité, entachées de péché, et d'autre part la mystique et l'ascèse ( la Jeunesse de Théophile, 1921 ; les Pincengrain, 1924 ; Chroniques maritales, 1935). Julien Green, écrivain français d'origine américaine, parle lui aussi d'un homme déchiré entre des aspirations contraires et régi par des forces qui le dépassent (Adrienne Mesurat, 1927) ; ses écrits d'inspiration autobiographique, qui traitent de la difficulté d'avoir la foi dans le monde moderne, sont les plus touchants (Moïra, 1950). Henry de Montherlant, dans des récits comme les Olympiques (1924) et les Bestiaires (1926), célèbre les vertus viriles du courage et de la force physique ; Antoine de Saint-Exupéry, auteur notamment du Petit Prince (1943), célèbre quant à lui un héroïsme plus subtil, dans Courrier sud (1928) et Vol de nuit (1931), romans où le métier de pilote est dépeint sous un jour poétique et épique. À la même période, André Malraux dénonce les méfaits de la colonisation en Indochine et s'inspire de ses voyages en Asie pour écrire les Conquérants (1928), la Voie royale (1930) et la Condition humaine (1933), récits qui posent le problème des choix individuels devant les bouleversements politiques, la répression et l'angoisse de la mort. Parallèlement, un souffle neuf, venu du roman anglo-saxon, renouvelle la veine du roman d'évasion et du récit merveilleux, avec notamment Pierre Benoit ( l'Atlantide, 1919). Parmi les romanciers de cette période, citons encore Jean Cocteau, qui compose le Potomak en 1919 ; Paul Morand (Nouvelles des yeux, 1921) et Raymond Radiguet, auteur précoce du Diable au corps (1923), récit d'une initiation amoureuse. 7.2.1.4 Prose révolutionnaire de Céline Le monde littéraire de l'entre-deux-guerres est cependant secoué par l'apparition d'un nouveau prosateur : Louis-Ferdinand Céline qui, avec son roman Voyage au bout de la nuit (1932), connaît un succès dû en partie au scandale qu'il a suscité. Ce récit propose un travail inédit sur la langue littéraire, empruntant notamment des formules à la langue parlée, et mettant en oeuvre un rythme et une syntaxe inusités jusque-là. Céline poursuit ce travail avec une audace croissante dans ses récits suivants, parmi lesquels nous pouvons citer Mort à crédit (1936). 7.2.2 Dada et le surréalisme Entre 1916 et 1922, sous l'impulsion de Tristan Tzara, naît à Zurich le mouvement Dada, qui fait la synthèse des tendances les plus marginales de l'époque : international, provocateur, nihiliste, Dada place l'acte de création au-dessus de la création elle-même et veut estomper les barrières entre les différentes disciplines artistiques. Avec les autres membres de la revue française Littérature (1919), André Breton est un temps le compagnon de route de Dada ; la rupture est pourtant consommée en 1922, Breton reprochant à Dada la gratuité de ses provocations qui, sur le plan artistique, lui semblent ne déboucher sur rien de valable. Breton, qui réunit notamment autour de sa revue les poètes Louis Aragon, Philippe Soupault, Paul Éluard, Robert Desnos, Benjamin Péret, donne naissance au mouvement en tant que tel avec son premier Manifeste du surréalisme (1924), où il définit le terme « surréalisme « en lui donnant son assise théorique. L'esthétique surréaliste repose essentiellement sur l'image ; les écrivains de ce groupe, lecteurs de Sigmund Freud, accordent une part prépondérante à l'inconscient et au rêve, précisément en raison de leur capacité à créer des images ; les Champs magnétiques, recueil écrit à quatre mains par Breton et Soupault en 1920, est l'expérience la plus audacieuse illustrant ces théories. Refusant, comme Dada, de compartimenter les domaines artistiques, le mouvement ne se définit jamais comme mouvement littéraire (et refuse d'ailleurs la « littérature «) et accueille dans ses rangs des peintres comme Salvador Dalí, Max Ernst ou René Magritte, etc. Plus tard, le surréalisme prend des engagements politiques révolutionnaires et communistes, dont le Second Manifeste du surréalisme (1929) de Breton se fait l'écho, et qui entraînent des ruptures au sein du groupe. Parmi les écrivains surréalistes, on retient encore les noms de René Char, Roger Vitrac, Jacques Prévert, Raymond Queneau, René Crevel et Antonin Artaud. Sans appartenir au mouvement, certains écrivains s'inscrivent pourtant, au moins par un aspect de leur oeuvre, dans la mouvance ou l'esthétique surréaliste, comme Georges Ribemont-Dessaignes, Arthur Cravan, Max Jacob, Julien Gracq ou Pierre Reverdy. Si le mouvement surréaliste en tant que tel est relativement éphémère, si les principaux auteurs qui s'y rattachent choisissent eux-mêmes des orientations personnelles sans rapport avec les théories énoncées dans le premier Manifeste (c'est le cas même des plus grands, par exemple de Char, de Queneau, d'Éluard, d'Aragon, etc.), le surréalisme peut être considéré comme le courant esthétique le plus influent de cette première moitié du 7.2.3 XXe siècle. Poésie en marge du surréalisme Même si l'essentiel de la poésie subit, à cette époque, l'influence du surréalisme, des voix singulières se font toutefois entendre. Tôt fasciné par les symbolistes, Paul Valéry se consacre à la poésie avant de s'en détourner pour préférer des écrits purement intellectuels, où priment la rigueur mathématique et la maîtrise de la pensée (la Soirée avec Monsieur Teste, 1896, publiée en 1919). Revenant à la poésie, il cherche à en faire un pur exercice de la pensée ; parmi ses recueils, citons l'Album de vers anciens (oeuvres de jeunesse réunies en 1920), la Jeune Parque (1917) et Charmes (1922), qui allient la beauté formelle rigoureusement maîtrisée, le sentiment et l'intelligence. Ses essais critiques demeurent pour leur part d'une autorité novatrice et incontestée. L'oeuvre d'Henri Michaux n'est pas moins singulière. Poète et peintre de l'expérimentation, il crée un univers particulier, dominé par un sentiment d'étrangeté : le sujet, chez Michaux, est une sensibilité à vif, qui cherche le repli sur soi et se trouve confronté à toutes sortes d'agressions verbales et physiques -- Qui je fus, 1927 ; Mes propriétés, 1929 ; Plume, 1938 (1930 dans une précédente version sous le titre Un certain Plume) ; La nuit remue, 1935. 7.2.4 Théâtre Le théâtre de l'entre-deux-guerres reste encore très marqué par la tradition. Le théâtre de boulevard, notamment, est roi ; souvent médiocre, ce genre populaire est porté à sa perfection avec des auteurs comme Sacha Guitry, dramaturge prolixe, cinéaste et homme de théâtre accompli, à qui l'on doit en particulier Faisons un rêve (1918), Désiré (1927) et Quadrille (1938). Alors que Jean Giraudoux crée une nouvelle poésie dramatique et humaniste en adaptant des thèmes empruntés aux mythes antiques pour exprimer des réalités contemporaines ( Amphitryon 38, 1929 ; La guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935 ; Ondine, 1939), quelques personnalités comme le Belge Michel de Ghelderode étonnent et choquent par la violence de leur discours et l'expressionnisme de leur dramaturgie ( la Mort du docteur Faust, 1925 ; Hop signor !, 1935). Antonin Artaud, séparé du mouvement surréaliste en 1924, choque lui aussi ses contemporains en se livrant à une recherche esthétique tout à fait personnelle, influencée par l'usage des drogues et par sa propre folie, et livre une théorie du « théâtre de la cruauté « (le Théâtre et son double, 1938) qui aura une influence importante sur la dramaturgie dans la seconde moitié du siècle. Armand Salacrou se distingue comme l'auteur d'une oeuvre aux multiples facettes, traitant de problèmes contemporains (le Casseur d'assiettes, 1924) ; Jules Romains compose des pièces sur le mensonge, le pouvoir et la manipulation, dont la plus célèbre est Knock (1924), tandis que Jean Cocteau, habile touche-à-tout littéraire, crée non seulement un ballet, Parade (1917), mais s'illustre aussi comme dramaturge avec des pièces symboliques et poétiques comme Orphée (1927) ou la Voix humaine (1930). Une nouvelle génération de metteurs en scène qui font un vrai travail d'auteur à partir du texte dramatique, s'impose alors avec des gens comme Jacques Copeau, Louis Jouvet, Charles Dullin ou Georges Pitoëff. 7.3 Depuis la Seconde Guerre mondiale La Seconde Guerre mondiale, la découverte de l'Holocauste, puis la guerre froide et la décolonisation viennent remettre en cause des certitudes jusque-là incontestées. Le courant existentialiste lui-même est bientôt dépassé après ces crises profondes, qui atteignent toutes les croyances et toutes les représentations du monde. 7.3.1 L'Occupation Sous l'Occupation allemande, la censure et les persécutions empêchent naturellement la parution des oeuvres littéraires. Une partie des milieux intellectuels réagit par le choix délibéré de la collaboration, comme Pierre Drieu la Rochelle, qui se tourne vers l'Allemagne par dégoût de la lâcheté de la bourgeoisie française (Gilles, 1939), comme Louis-Ferdinand Céline, qui a composé juste avant la guerre ses pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre, 1937) et qui tente de fuir en Allemagne en 1944, ou comme Robert Brasillach, qui écrit dans Je suis partout des pamphlets antisémites virulents. D'autres écrivains collaborent pour des raisons moins idéologiques, se laissant séduire par certains aspects du décorum nazi, comme Henry de Montherlant, qui voit dans les Allemands l'incarnation de son rêve d'héroïsme viril, ou comme Marcel Jouhandeau. Certains, néanmoins, choisissent tôt la voie de la Résistance, comme Louis Aragon et Paul Éluard, poètes de conviction communiste, mais aussi Marguerite Duras, André Malraux ou Vercors, fondateur des Éditions de Minuit et auteur notamment du Silence de la mer (1942). Certains écrivains de droite, comme François Mauriac, choisissent également la voie de la Résistance. Nombre d'auteurs, tant dans les domaines de la poésie que du récit, se contentent de continuer à produire en n'abordant que des problèmes sans lien apparent avec les problématiques politiques de l'actualité : c'est le cas de Marcel Aymé, qui publie après la guerre des récits de tonalité drolatique sur l'Occupation (le Chemin des écoliers, 1946). Des dramaturges comme Jean Anouilh, auteur d'Eurydice (1942), ou Jean-Paul Sartre, auteur des Mouches (1943), parviennent, à travers la référence à la tragédie antique, à communiquer discrètement, en filigrane, un discours critique sur l'actualité. La période de la guerre voit tout de même apparaître de nouveaux écrivains et quelques chefs-d'oeuvre : Elsa Triolet obtient le prix Goncourt 1944 pour Le premier accroc coûte deux cents francs, Raymond Queneau compose Pierrot mon ami (1942) et Loin de Rueil (1944), tandis qu'Albert Camus publie l'Étranger (1942) dans la clandestinité, en même temps que son essai philosophique le Mythe de Sisyphe. 7.3.2 L'après-guerre La fin de la guerre et la découverte des camps d'extermination marquent naturellement le tournant d'une époque. 7.3.2.1 Sartre et l'existentialisme Parallèlement aux angoisses existentielles qu'expriment les oeuvres d'Albert Camus, la philosophie existentialiste, théorisée dans l'Être et le Néant (1943) de Jean-Paul Sartre, se donne comme une pensée qui accorde à l'existence la préséance sur l'essence, et se pose comme un humanisme en mettant en avant la liberté de l'Homme. Issu de la phénoménologie, l'existentialisme sartrien prône un engagement dans la vie quotidienne de la cité, puisque l'Homme s'édifie dans sa relation avec le monde. La compagne de Sartre, Simone de Beauvoir, mène une réflexion sans précédent sur la condition féminine ; après la guerre, elle illustre sa pensée dans des essais ( le Deuxième Sexe, 1949) et des récits autobiographiques (Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958 ; la Force de l'âge, 1960 ; la Force des choses, 1963). 7.3.2.2 Des intellectuels engagés Recommandé par les existentialistes mais pratiqué par des écrivains de toutes tendances, l'engagement politique, marquant la naissance de la figure de l'intellectuel moderne, est un aspect nouveau et important de la vie culturelle en France après la guerre. Des auteurs comme André Malraux, tout en poursuivant leur oeuvre (le Musée imaginaire, 1947), se consacrent à la politique, tandis que François Mauriac se fait journaliste en rédigeant ses Bloc-Notes (1958). Les surréalistes restés aux côtés d'André Breton, tout en continuant de défendre les choix esthétiques qui sont les leurs, se veulent engagés avant tout (Position politique du surréalisme aujourd'hui, 1935). Forts de leur action dans la Résistance, les intellectuels communistes, comme Louis Aragon, font figure de maîtres à penser, cependant que s'affirme le succès grandissant d'Albert Camus (la Peste, 1947 ; l'Homme révolté, 1951 ; la Chute, 1956), couronné par le prix Nobel en 1957. 7.3.2.3 Itinéraires marginaux et singuliers En marge des grandes problématiques dominantes (politique, communisme, engagement), des auteurs poursuivent un chemin personnel. Marguerite Yourcenar, avec les Mémoires d'Hadrien (1951), récit nourri par une impressionnante érudition classique, impose sa vision du monde, humaniste et stoïcienne. Dans ses romans, Jean Giono dépeint les vertus de la nature et la folie des hommes, au sein d'une Provence mythique et épique (Un de Baumugnes, 1929 ; Un roi sans divertissement, 1947 ; le Hussard sur le toit, 1951). Des romanciers comme les Hussards, parmi lesquels Antoine Blondin et Roger Nimier, rejettent les problématiques de l'engagement politique pour exalter un héroïsme gratuit, teinté de romantisme. D'autres encore font, dans l'immédiat après-guerre, un usage expérimental, ludique et grave de la littérature : ainsi Boris Vian, parolier, essayiste, romancier et poète, qui place l'ensemble de son oeuvre sous le signe de la provocation et de la fantaisie (J'irai cracher sur vos tombes, 1946 ; l'Écume des jours, 1947 ; Cantilènes en gelée, 1950). Raymond Queneau, mathématicien et poète, ancien surréaliste, collaborateur de la Nouvelle Revue française et fondateur de l'Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo) en 1960, fait de son oeuvre le lieu d'une réflexion et d'une expérimentation ludique sur la langue, ayant notamment recours à l'usage de contraintes, aussi arbitraires que fécondes, pour renouveler l'écriture littéraire. Parmi ses récits, citons Exercices de style (1947) et Zazie dans le métro (1959). Georges Perec, lui aussi virtuose des jeux de lettres et de l'usage de contraintes formelles, s'impose comme un romancier d'une grande originalité (les Choses, 1965 ; la Disparition, 1969), et rejoint Queneau en 1967 dans l'OuLiPo. Julien Gracq, qui dénigre le microcosme des lettres dans un pamphlet, la Littérature à l'estomac (1950), se distingue par une oeuvre romanesque au climat particulier, structurée autour d'un imaginaire de l'attente et du désir et sur une conception de l'espace singulière (Au château d'Argol, 1938 ; le Rivage des Syrtes, 1951). Son oeuvre critique est également remarquable (Préférences, 1961 ; Lettrines, 1967-1974). Dans l'après-guerre fleurit aussi une nouvelle vague de romans populaires, dans le domaine de la science-fiction (avec, par exemple, René Barjavel) et dans le genre policier (Georges Simenon, Léo Malet). 7.3.2.4 Nouveau Roman Le roman devient, particulièrement à partir des années soixante, le lieu d'une remise en cause des notions de « texte «, de « personnage «, d'« auteur « : le récit entre dans l'« ère du soupçon «, selon une expression de Nathalie Sarraute. L'expression de « Nouveau Roman «, apparue dans les années cinquante, définit moins une école à proprement parler qu'elle ne regroupe des auteurs singuliers, mais aux préoccupations communes, pour la plupart liés aux Éditions de Minuit. Les principes du Nouveau Roman sont théorisés dans Pour un nouveau roman (1963), d'Alain Robbe-Grillet, et dans Problèmes du Nouveau Roman (1967), de Jean Ricardou. Le Nouveau Roman est illustré, entre autres, par les romans et les essais d'Alain Robbe-Grillet, de Jean Ricardou, de Michel Butor, de Nathalie Sarraute, mais aussi par ceux de Philippe Sollers ou de Marguerite Duras, qui poursuivent un itinéraire en marge du Nouveau Roman en empruntant certains de ses procédés. Toutes ces oeuvres ont en commun de condamner les différents aspects du récit traditionnel (traitement du temps, de l'espace, psychologie des personnages, illusion de réalité, etc.), et ce au nom d'un nouveau réalisme, construit notamment sur une utilisation nouvelle des procédés de focalisation (prenant en compte la subjectivité des points de vue) et de narration. Malgré une certaine perte de vitesse du Nouveau Roman dans les années soixante-dix, le groupe n'en continue pas moins de produire des chefs-d'oeuvre. Citons encore les noms de Claude Simon et de Robert Pinget. Le Nouveau Roman a eu en outre une influence profonde sur l'ensemble de la production romanesque car même des auteurs n'appartenant pas à cette mouvance sont aujourd'hui encore influencés par elle, comme J. M. G. Le Clézio par exemple. 7.3.2.5 Théâtre de l'absurde Le théâtre connaît une révolution parallèle à celle du roman, et portant également sur le problème de la représentation du réel. Le théâtre de l'après-guerre, encore très conventionnel, s'ouvre lentement aux jeunes auteurs : la rigueur dramatique de Montherlant, le mélange des genres pratiqué par Jean Anouilh et les comédies d'Armand Salacrou restent, malgré leur valeur et leur originalité, plutôt conservatrices sur le plan de la dramaturgie. Dans les années 1950, c'est dans des théâtres comme les Noctambules, le théâtre de La Huchette, le Théâtre Montparnasse ou le Théâtre La Bruyère que se produit l'avant-garde, servie par des metteurs en scène tels que Roger Blin, Jean-Marie Serreau ou Jorge Lavelli. Les auteurs qui écrivent pour ces scènes sont en rupture tant avec la tradition formelle que, sur le plan thématique, avec l'humanisme moderne de Sartre et de Camus. Ce « nouveau théâtre « cherche en effet à s'éloigner du réalisme politique pour renouer avec la puissance de fascination et la magie de la scène. Parmi les auteurs de cette tendance, citons Eugène Ionesco et Samuel Beckett, qui s'imposent comme les maîtres du théâtre de l'absurde, mais on retiendra également les noms de Jacques Audiberti, Arthur Adamov, Jean Genet, Fernando Arrabal, René de Obaldia et Roland Dubillard. Tous ces auteurs irréductiblement singuliers élaborent un nouveau langage dramatique, adoptant souvent le ton de la dérision, de la révolte, voire de l'invective en direction du public. La déconstruction de la cohérence dramatique traditionnelle invite le spectateur à chercher le sens ailleurs que dans le fait exposé : c'est une nouvelle forme de symbolisme qui naît ainsi, un symbolisme qui fait du spectateur non pas un regardant passif mais un participant indispensable à l'élaboration du drame représenté. Parallèlement à ce théâtre d'avant-garde, jugé peu accessible au grand public, le Théâtre national populaire (TNP), fondé en 1920 et dirigé entre 1951 et 1963 par Jean Vilar, puis par Georges Wilson, cherche à gagner un public vaste et populaire, notamment en adaptant des pièces étrangères et en représentant des classiques du répertoire. 7.3.2.6 Poésie La poésie, influencée par le surréalisme qui lui a montré la voie de l'innovation formelle, s'incarne de façon très diverse dans la période de l'après-guerre. Malgré l'essoufflement du mouvement surréaliste depuis les années 1930, la poésie, en effet, reste influencée par cette expérience extraordinaire ; elle est également marquée profondément par l'expérience traumatisante de la Seconde Guerre mondiale. La poésie intimiste de Jules Supervielle trouve sa parfaite expression dans l'usage du vers libre (Débarcadères, 1922 ; le Corps tragique, 1959), tandis que Saint-John Perse poursuit son travail poétique en élaborant un outil personnel, le verset, susceptible de conférer à la célébration du monde un accent sacré (Vents, 1946 ; Amers, 1957 ; Oiseaux, 1963). Henri Michaux continue, lui, de représenter le sujet sans défense, en proie à un monde incompréhensible et violent (la Vie dans les plis, 1949 ; Face aux verrous, 1954), tandis que René Char travaille pour trouver un langage poétique de plus en plus épuré (la Parole en archipel, 1962) et que Francis Ponge développe une poétique propre, tendant à réduire la distance entre la chose même et le mot qui l'énonce (le Parti pris des choses, 1942 ; Proêmes, 1948). Parmi les poètes importants de cette période, citons encore Jacques Prévert et Pierre-Jean Jouve, mais aussi René-Guy Cadou, Marie Noël et Patrice de La Tour du Pin. La poésie, dans cette période de recherche et d'expérimentation, cesse de se donner comme un genre littéraire spécifique, défini par des critères formels, pour investir peu à peu tous les autres genres de la littérature (essai, récit, autobiographie, etc.). 7.3.3 Depuis les années 1960 Dans les années 1970 et 1980 (1980 étant l'année de la mort de deux grands observateurs et praticiens de la littérature, Jean-Paul Sartre et Roland Barthes), la modernité même est mise en cause ; on voit apparaître la notion de « post-modernité «, empruntée aux États-Unis pour désigner la crise de la modernité (du culte de la nouveauté, aussi) dans la pensée européenne. Sur le plan littéraire, cette crise des valeurs se manifeste, semble-t-il, par l'adoption d'une esthétique du fragment : les écrivains donnent, avec des bonheurs divers, dans l'éclectisme, le varié, l'inachevé ( Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes), recourant à des procédés comme la citation ou la parodie, qui manifestent le paradoxal refus d'adhérer à la chose dite ou écrite, une distance, une méfiance à l'égard de l'écrit, du discours construit, élaboré, donnant du monde et du sujet une image faussement cohérente (Marguerite Duras). 7.3.3.1 Critique littéraire La pensée critique se développe alors selon une orientation nouvelle : le texte devient indissociable de sa formulation, et le contenu du discours s'efface derrière le seul texte, devenu sa propre finalité. La « Nouvelle Critique « se nourrit des travaux de la psychanalyse, de la linguistique et de la sémiologie. L'école de Genève, fondée par Albert Béguin et Marcel Raymond (1897-1981), se renouvelle avec les écrits de Georges Poulet, de Jean Starobinski mais aussi ceux de Jean-Pierre Richard, qui développe une critique des formes de l'imaginaire. La critique structurale, qui, quant à elle, se développe avec les écrits de Roland Barthes et de Gérard Genette, s'oppose aux représentants de la critique universitaire traditionnelle. Parallèlement, l'idée d'une écriture féminine, encore objet de débats aujourd'hui, apparaît sous la plume de critiques et de romancières telles que Julia Kristeva, Hélène Cixous ou Marguerite Duras, qui tentent de la théoriser. Voir Critique littéraire. 7.3.3.2 Poésie La poésie semble progressivement retrouver une inspiration humaniste, en cherchant à appréhender l'Homme à partir du langage. Cependant, il ne se dégage pas de grande tendance : les poètes sont devenus aujourd'hui des créateurs isolés. Citons parmi les poètes contemporains, les noms de André Dhôtel, Jean Follain et Roger Caillois, mais aussi ceux d'Aimé Césaire, Claude Roy, Yves Bonnefoy, André du Bouchet et Michel Deguy. Cependant, la remise en question du statut de la poésie comme genre est de plus en plus radicale ; les collaborateurs de la revue Tel Quel, par exemple, refusent de la dissocier des autres formes littéraires, la définissant comme un mode d'expression supérieur. La poésie cesse alors d'être définie par sa forme, pour devenir une pratique littéraire, un art du langage susceptible d'investir tous les genres littéraires : récit, théâtre, critique, etc. 7.3.3.3 Dernières nouvelles du récit Les membres de l'OuLiPo (Roubaud, Perec), renouvelant le récit par l'expérimentation, en le soumettant à l'arbitraire fécond des contraintes textuelles (contraintes syntaxiques, lexicales, graphiques, mathématiques, etc.), continuent à mettre en jeu la littérature dans sa dimension ludique. Dans le roman, on observe aussi un net retour au matériau autobiographique, avec notamment les récits de Michel Leiris. Dans le même temps, de nombreux écrivains semblent s'écarter aujourd'hui des techniques d'écriture expérimentales ; citons, parmi les romanciers qui dominent la production actuelle, les noms d'Albert Cohen, de Michel Tournier, de Jean-Marie Gustave Le Clézio, de Philippe Sollers et de Patrick Modiano, liste certes imparfaite et non exhaustive, car il est impossible, aujourd'hui, de distinguer avec certitude, dans la production véritablement pléthorique du roman, les grands noms qui seront retenus par l'histoire littéraire. Parmi les genres littéraires « marginaux «, la littérature de science-fiction, relayée par le cinéma populaire, connaît un succès indéniable, tandis que le roman policier acquiert une dimension littéraire sous la plume d'écrivains comme Jean-Patrick Manchette, Didier Daeninckx, Fred Vargas, Jean Vautrin ou Thierry Jonquet et se donne pour mission d'explorer les marges de la société. 7.3.3.4 Dramaturgie actuelle Le théâtre contemporain accorde une plus grande place que par le passé au metteur en scène, rétabli dans sa fonction de créateur. Des metteurs en scène comme Patrice Chéreau, Antoine Vitez, Ariane Mnouchkine ou Jean-Pierre Vincent font un véritable travail de lecture-interprétation menant à des adaptations à la scène qui, mêlant les modes d'expression (musique, mime, texte, danse, etc.), sont parfois de véritables recréations des textes. Parallèlement, un mouvement d'effacement du metteur en scène au profit d'un retour au texte est incarné par Claude Régy. Depuis la fin des années 1970, la production dramaturgique connaît une belle vitalité, avec notamment Jean Vauthier, Marguerite Duras, Bernard-Marie Koltès, Michel Vinaver, Valère Novarina ou encore Jean-Luc Lagarce. Le groupe des Argentins de Paris, comprenant notamment Copi et Alfredo Arias, arrive en France à la fin des années 1970 (poussée à l'exil du fait de la dictature) et dynamise la scène théâtrale par ses spectacles décomplexés. Dans les années 1990, de nouvelles voix se font entendre, comme celles de Serge Valetti, Olivier Py, Xavier Durringer, Jean-Michel Ribes, Marie NDiaye... une liste non exhaustive, qui atteste de la vitalité de l'écriture théâtrale contemporaine. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« Les romans courtois — nés sous l’influence de la poésie des troubadours chantant la fin’amor — proposent une nouvelle vision des relations sociales, fondées sur le respect que le chevalier doit à son seigneur et à sa Dame (le « service d’amour »). Les premiers textes qui s’inscrivent dans le cycle arthurien — relatant les hauts faits du roi légendaire Arthur et de ses chevaliers — apparaissent vers le XIe siècle, c’est-à-dire à une époque antérieure à la courtoisie.

La légende d’Arthur ne cesse plus dès lors d’être modifiée et étoffée de nouveaux épisodes (Geoffroi de Monmouth, Robert Wace), jusqu’à proposer, dans la seconde moitié du XIIe siècle, un des plus riches et des plus volumineux exemples de récit courtois ; les multiples versions du mythe de Tristan et Iseut, la quête du Graal et les amours de Guenièvre et Lancelot s’inscrivent progressivement dans ce cycle.

Chrétien de Troyes, le plus grand « romancier » médiéval français, reprend ces mythes bretons en les christianisant et en leur conférant une dimension psychologique inédite. Avec Jean Renart (fin du XIIe siècle-début du XIIIe siècle), les récits courtois se font plus réalistes : délaissant le merveilleux, ils décrivent avec précision les mœurs de la noblesse et la psychologie amoureuse ( Roman de Guillaume de Dole, v.

1210). 2.1. 4 Récits satiriques En réaction contre la noblesse des personnages et le raffinement des situations que présentent les récits courtois, s’imposent les fabliaux, textes grivois très populaires.

La veine satirique donne aussi le chef-d’œuvre du Roman de Renart, composé par plusieurs écrivains entre le XIIe et le XIIIe siècle : empruntant aux fabulistes l’idée de décrire les êtres humains sous les traits d’animaux, ce récit subversif dénonce les travers de la société du temps et parodie les récits courtois.

Certains personnages, en particulier le héros, Renart le Goupil, restent aujourd’hui encore très populaires. 2.1. 5 Récits allégoriques Avant d’être au service du divertissement, le roman d’alors a pour fonction première de véhiculer les valeurs de la « classe » dominante et une certaine représentation du monde.

Il produit ainsi, dans la veine didactique et allégorique, le Roman de la Rose, chef-d’œuvre datant du XIIIe siècle. Cette somme poétique de près de 22 000 vers, écrite pour sa première partie (4 000 vers environ) dans la première moitié du XIIIe siècle, a pour auteur Guillaume de Lorris : elle développe le récit courtois d’un songe où la Rose symbolise la Dame aimée et inaccessible.

Laissée inachevée, cette première partie a été complétée par Jean de Meung dans la seconde moitié du siècle, mais dans une perspective très différente, puisque le roman cesse alors d’être un éloge de l’amour courtois pour devenir une somme encyclopédique traitant de savoir, de morale et de religion. À la fin du XIVe siècle, l’invention romanesque semble s’essouffler ; le récit allégorique ne semble plus utilisé que pour authentifier la noblesse d’un lignage. 2.1. 6 Chroniques Les chansons de geste ont été longtemps le seul outil de connaissance des épisodes guerriers de l’histoire ; elles sont supplantées peu à peu par les chroniques, textes composés en prose, le plus souvent par un témoin direct des événements ; délaissant le recours au merveilleux, les chroniques donnent des faits une vision plus réaliste. L’un des principaux auteurs de chronique est Geoffroi de Villehardouin, qui traite de la quatrième croisade avec un souci alors nouveau de contemporanéité.

La notion de vérité historique se fait de plus en plus précise au XIVe siècle, et des écrivains de métier (n’ayant pas participé aux événements relatés) s’illustrent à leur tour dans le genre. C’est avec Jean Froissart que la chronique acquiert ses lettres de noblesse : à côté des tournois et des combats spectaculaires, il mentionne dans ses chroniques les problèmes politiques et l’émergence de nouvelles « classes sociales ».

Mais, au moment où les relations entre rois et seigneurs se compliquent, le besoin d’une nouvelle écriture se fait sentir : Philippe de Commynes, avec ses Mémoires (1488-v.

1498, publiés en 1524), écrit le premier livre d’histoire de l’âge moderne : il privilégie l’analyse à la description, ne se limite plus à un exposé chronologique et montre le souci nouveau de mettre les événements en perspective. 2. 2 Poésie 2.2. 1 Poésie courtoise Certainement influencée par la poésie arabe et par des rites préchrétiens, la poésie des troubadours du sud de la France — présents à la cour des comtes de Toulouse ou à celle d’Aliénor d’Aquitaine — est historiquement la première poésie composée en langue vulgaire (et non plus en latin).

Elle instaure une conception de l’amour qui s’intégre au système des valeurs féodales, la fin’amor (voir courtois, courtoisie). À côté de la « chanson », ou canso, le poème d’amour lyrique, les troubadours pratiquent en les adaptant des formes comme le sirventès (canso sirventes) , qui illustrent l’autre grande veine de cette poésie, guerrière et satirique.

Bertran de Born, seigneur de Hautefort en Périgord (v.

1140-v.

1215), qui écrit en satiriste et en moraliste, a recours à cette forme. Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitiers, est considéré comme le premier grand troubadour.

À la cour d’Aliénor d’Aquitaine, petite-fille de Guillaume, se trouve Marie de France, à qui l’on doit un célèbre recueil de Lais reprenant la matière de Bretagne mais l’adaptant à son auditoire raffiné.

C’est Aliénor d’Aquitaine elle-même qui contribue à faire passer la culture de langue d’oc, marquée par la fin’amor, au nord de la Loire, domaine de la langue d’oïl. Au nord, la poésie courtoise est chantée par les trouvères, parmi lesquels Thibaud de Champagne — l’une des figures les plus représentatives du lyrisme courtois de la première moitié du XIIIe siècle.

Le Parisien Rutebeuf, grand nom de la poésie française, compose, lui, une œuvre d’une grande variété, aux accents personnels ; renouvelant sa thématique, il rompt avec la tradition courtoise. 2.2. 2 Renouvellement des formes poétiques. »

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