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Germano CELANT (1940-) L'art, une possibilité dans la matière

Publié le 19/10/2016

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Germano CELANT (1940-)

L'art, une possibilité dans la matière

Les animaux, les végétaux et les minéraux ont fait irruption dans le monde de l'art. L'artiste se sent attiré par leurs possibilités physiques, chimiques et biologiques, et il recommence à sentir le mouvement des choses dans le monde non seulement en tant qu'être animé, mais aussi en tant que producteur d'événements magiques et merveilleux. L'artiste alchimiste ordonne les choses vivantes et végétales en faits magiques, travaille à la découverte du noyau des choses, pour les retrouver et les exalter. Son travail ne vise cependant pas à se servir des éléments les plus simples et naturels (cuivre, zinc, terre, eau, fleuves, plomb, neige, feu, herbe, air, pierre, électricité, uranium, ciel, poids, gravité, chaleur, croissance, etc.) pour une description ou une représentation de la nature ; ce qui l'intéresse, c'est en revanche la découverte, la présentation, l'insurrection de la chaleur magique et merveilleuse des éléments naturels. Tel un organisme à structure simple, l'artiste se confond avec le milieu, s'y mimétise, élargit son seuil de perception ; il ouvre un nouveau rapport avec le monde des choses. Mais l'artiste n'élabore pas ce avec quoi il entre en rapport ; il ne formule pas de jugement, il n'y cherche pas de valeur sociale ou morale, il ne le manipule pas : il le laisse découvert et évident, il puise à la substance même de l'événement naturel, comme la croissance d'une plante, la réaction chimique d'un minerai, le comportement d'un fleuve, de la neige, de l'herbe et du terrain, la chute d'un poids, il s'identifie à tout cela pour vivre la merveilleuse organisation des choses vivantes.

Parmi les choses vivantes, il se découvre aussi lui-même, son corps, sa mémoire, ses gestes, tout ce qui vit directement, et il recommence ainsi à explorer le sens de la vie et de la nature, un sens qui d'après Dewey implique de nombreux contenus : le sensoriel, le sensationnel, le sensitif, le sentimental et le sensuel. [...]

II abolit son rôle d'artiste, d'intellectuel, de peintre ou de sculpteur, et il réapprend à percevoir, à ressentir, à respirer, à marcher, à entendre, à faire usage de son humanité. Naturellement, apprendre à se mouvoir, à retrouver son existence, ne signifie pas mimer ou réciter ou exécuter de nouveaux mouvements, mais s'utiliser soi-même comme un matériau continuellement façonnable. En découle l'impossibilité de croire dans le discours par images, dans la communication de nouvelles informations explicatives et didactiques, dans les structures qui imposent une mesure, un comportement, une syntaxe, qui se plient à un discours moraliste industriel. Donc : éloignement des archétypes qui existent et qui se recréent constamment, aversion totale pour le discours et aspiration à l'aphasie, à l'immobilité, pour que la conscience s'identifie progressivement avec la praxis.

Les premières découvertes de cette entreprise de dépouillement sont le temps fini et infini de la vie ; l'œuvre et le travail s'identifiant avec la vie ; la dimension de la vie en tant que durée sans terme ; l'immobilité comme possibilité de sortir des circonstances contingentes pour s'intégrer au temps ; l'explosion de la dimension individuelle sous la forme d'une communion esthétique et d'une connivence avec le monde ; la recherche des troubles psycho-physiques pour multiplier les sensations et les directions ; la perte d'identité avec soi-même, en abandonnant la reconnaissance rassurante, continuellement imposée par les autres et par le système social ; l'objet-sujet en tant que présence physique en mutation constante, preuve de l'existence devenue continuité, chaos, espace et temporalité autres. « L'art devient une sorte de condition expérimentale dans laquelle on fait l'expérience de vivre », dit Cage. La production artistique s'identifie alors avec la vie, et exister signifie réinventer à chaque instant une nouvelle dimension fantastique, politique, esthétique, etc. de sa propre vie. Ce qui compte, c'est non pas tant se justifier ou se réfléchir dans le travail ou dans le produit que d'avoir la vie comme travail. [...]

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