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Javier Perez de Cuellar et la renaissance de l'ONU

Publié le 27/02/2008

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2 janvier 1992 -   Pour Trygve Lie, premier secrétaire général (norvégien) de l'ONU au sortir de la seconde guerre mondiale, la fonction de \" patron \" des Nations unies était \" impossible \". Il est vrai que cet ancien syndicaliste, peu rompu aux joutes diplomatiques, avait rapidement vu son action paralysée par le gel des relations Est-Ouest.

   Près de quarante ans plus tard, la situation est radicalement différente. En quittant ses fonctions le 31 décembre, à l'issue d'un second mandat de cinq ans et à l'âge de soixante et onze ans, le Péruvien Javier Perez de Cuellar laisse à M. Boutros Boutros-Ghali un poste envié, si l'on en juge par le nombre de candidats à sa succession, à la tête d'une organisation largement réhabilitée par rapport à la situation dans laquelle il l'avait trouvée.

   On doit à l'action personnelle du cinquième secrétaire général le redressement spectaculaire de l'image de l'ONU  on le doit aussi à la \" sainte alliance \" apparue au sein du Conseil de sécurité pendant son second mandat entre les puissances occidentales et une Union soviétique qui vient de céder la place à la Russie.

   Paradoxalement, cette solidarité, qui s'est notamment exprimée pendant la crise du Golfe, aura contribué aussi à un relatif effacement du secrétaire général, moins influent sur les dossiers ayant trait à la sécurité dans le monde, désormais traités directement par le Conseil, que sur les opérations de maintien de la paix ou à caractère humanitaire, telle la récente libération d'otages détenus par des extrémistes libanais, obtenue après d'interminables pourparlers.

   Patient et serein Depuis la réactivation du Conseil de sécurité, la fonction de secrétaire général est redevenue celle d'un haut fonctionnaire, le premier en titre certes, mais au service des 166 pays membres et d'abord du Conseil. C'est conforme à la Charte. Mais, bien qu'il s'en défende, M. Perez de Cuellar a certainement souffert de cette évolution, même si sa longue carrière diplomatique et les années passées au sein de l'appareil ont renforcé en lui les deux qualités à ses yeux essentielles à la fonction : la sérénité et la patience.

   Il fallait en effet avoir une bonne dose de sérénité lorsque, après avoir passé plus de quarante ans dans la diplomatie de son pays, cet ancien avocat né en 1920 à Lima voyait sa nomination d'ambassadeur à Moscou bloquée durant de longs mois en 1981 par un Congrès péruvien qui le soupçonnait de pro-soviétisme. Une accusation qui ferait sourire aujourd'hui à l'ONU, où ses rares détracteurs lui reprochent d'avoir été parfois \" à la botte de Washington \" à l'occasion du conflit irako-koweïtien.

   En 1981, les membres du Conseil de sécurité ne parvenaient pas à s'entendre sur la succession de Kurt Waldheim. Seize veto chinois avaient eu raison de sa candidature à un troisième mandat et l'opposition systématique des Etats-Unis au candidat présenté par l'Afrique, le Tanzanien Salim Ahmed Salim, aboutissait à un blocage total. C'est grâce à la médiation de M. Olara Otunu, représentant l'Ouganda, que le nom de M. Perez de Cuellar était sorti du chapeau. Sa candidature, officiellement présentée par le Pérou, fut aussitôt approuvée par le Conseil de sécurité lors d'un vingtième tour de scrutin et entérinée par l'Assemblée générale.

   Le nouveau secrétaire général n'était pas un inconnu.

   Certaines chancelleries avaient pu apprécier sa courtoisie et sa discrétion, son amour pour Schubert et sa passion des vins de Bordeaux lorsqu'il était ambassadeur en France, en Grande-Bretagne, en Bolivie et au Brésil et lorsqu'il avait occupé, à la fin des années 60, le poste de vice-ministre des affaires étrangères du Pérou. Mais il était aussi connu dans le palais de verre des Nations unies où, de 1975 à 1977, il avait été désigné par M. Kurt Waldheim pour essayer de résoudre l'imbroglio chypriote. Nommé en 1979 sous-secrétaire général chargé des affaires politiques spéciales, il s'était occupé pendant quelques mois, en 1981, d'un autre dossier difficile, celui de l'Afghanistan, avant de se remettre au service de la diplomatie péruvienne.

   1988 : l'année de la consécration Au début des années 80, les relations Est-Ouest sont glaciales. Les troupes soviétiques sont intervenues à Kaboul en décembre 1979  deux ans plus tard, l'état de guerre a été décrété en Pologne. La querelle des euromissiles bat son plein, et l'élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis promet huit ans de purgatoire pour l'ONU. Si l'on fait exception de la médiation de M. Perez de Cuellar dans la crise des Malouines, qui n'aura pu éviter la guerre entre Britanniques et Argentins, il aura fallu que l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev fasse sentir ses premiers effets sur le plan international pour que soit redoré le blason de l'ONU et que le secrétaire général puisse affirmer sa véritable stature.

   L'année 1988 est celle du tournant et de la consécration.

   L'attribution en septembre du prix Nobel de la paix aux forces de maintien de la paix de l'ONU récompense non seulement les \" casques bleus \", mais aussi le secrétaire général pour les succès diplomatiques qu'il a remportés dans l'année, au printemps à propos de l'Afghanistan d'où les troupes soviétiques commencent à se retirer, un peu plus tard en parvenant à force de ténacité à faire appliquer par l'Iran et l'Irak la résolution mettant fin au conflit sanglant qui les opposait, dans divers conflits régionaux enfin, notamment en jetant les bases d'un possible règlement de la question namibienne et de celle du Sahara occidental. \" Je profite des circonstances, disait à l'époque M. Perez de Cuellar, le climat général des relations internationales s'est amélioré, il faut foncer. \" L'ONU est redevenue aussi une tribune prestigieuse pour les chefs d'Etat : c'est devant son assemblée générale que MM. Reagan et Mitterrand en cette fin d'année 1988 lancent la croisade en faveur du désarmement chimique. C'est là que Mikhaïl Gorbatchev, dans un discours marquant, en décembre, vient expliquer au monde le sens de la perestroïka en même temps qu'il annonce une réduction unilatérale de 10 % des effectifs de l'armée rouge.

   L'ONU a véritablement recommencé à fonctionner. Le cessez-le-feu progressif en Amérique centrale, l'Angola, l'indépendance de la Namibie (l'affaire dont M. Perez de Cuellar est le plus fier), les élections en Haïti et, tout récemment, le remodelage politique du Cambodge, l'opération la plus ambitieuse que les Nations unies aient eu à organiser, sont autant de dossiers qu'il s'est employé à traiter avec succès, grâce au concours actif des cinq membres permanents. En revanche, Turcs et Grecs continuent à s'affronter à propos de Chypre, l'instauration d'un processus de référendum au Sahara occidental a du mal à se faire, et l'Afrique continue à sombrer, dans l'indifférence générale, sous le poids d'une dette effarante qui compromet sa lente mutation vers la démocratie et l'économie de marché.

   Reproche d' \" occidentalisation \" L'établissement d'un véritable dialogue Nord-Sud est l'une des entreprises où M. Perez de Cuellar admet avoir échoué et le regrette. Par ailleurs, sa mise à l'écart par le Conseil de sécurité durant la crise du Golfe a été vivement ressentie par une partie des pays membres qui lui reprochent d'avoir été trop timoré, d'avoir accepté que les Nations unies, traditionnellement messager de paix, aient couvert en fait une opération de guerre.

   Le fait que les Nations unies soient réduites au r(tm)le d'observateur muet dans la conférence de la paix au Proche-Orient fut une autre déconvenue. Les tendances hégémoniques des Etats-Unis au sein de l'ONU sont maintenant de plus en plus ouvertement dénoncées, et l'organisation aura du mal à se défaire du reproche d' \" occidentalisation \".

   Ce sera l'une des tâches de M. Boutros-Ghali, une autre étant de porter remède à la très grave crise financière qui va lourdement pénaliser les futures entreprises de l'ONU. Fin décembre, le déficit est de quelque 500 millions de dollars, soit la moitié du budget général annuel. M. Perez de Cuellar, lui, va prendre une retraite méritée. D'abord à Genève où un magnifique appartement l'attend pour commencer, au calme, la rédaction de ses Mémoires. Ensuite, peut-être, dans son Pérou natal, \" un petit pays \" qui, selon sa propre expression, \" sait ce que grande puissance veut dire \".

SERGE MARTI Le Monde du 2 janvier 1992

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