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La Fontaine, « Le loup et l’agneau » : exemple d’explication de texte

Publié le 27/02/2008

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fontaine

La Fontaine, « Le loup et l’agneau » : exemple d’explication de texte

 

UN PLAN TRES DETAILLE

 

INTRODUCTION

1) Situer

Situer dans la tradition des fables à Plaire et instruire

2) La forme (ou comment plaire)

Il s’agit d’une fable de 29 vers où alternent une grande variété de type de vers (quadrisyllabe, heptasyllabe, octosyllabe, décasyllabe, alexandrin) et toutes les possibilité de disposition des rimes (plates, embrassées, croisées). Ce style varié et dynamique est caractéristique de La Fontaine qui travaille pour une poésie naturelle et il accompagne une histoire vivante faite de dialogues qui ne cesse de surprendre le lecteur.

3) Le sujet (ou comment instruire)

Cette histoire illustre une morale et met en scène des animaux pour mieux évoquer les hommes. Elle met en évidence une réalité cruelle à portée universelle : le dialogue entre le loup et l’agneau met en évidence le comportement de celui qui non seulement exerce sa violence sur le plus faible mais cherche à la justifier.

4) Annoncer le plan

Nous verrons d’abord comment La Fontaine utilise les animaux pour en faire des personnages vivants et exemplaires, puis nous mettrons en évidence l’argumentation biaisée (fausse, de mauvaise foi) du loup face à l’argumentation sincère, logique mais néanmoins naïve  de l’agneau.

 

I.                   Des personnages vivants : des animaux pour incarner des hommes

 

Dans sa dédicace \"A Monseigneur le Dauphin\" du premier recueil des Fables, La Fontaine rappelle le principe qui inspire les fables et surtout les siennes : \"Tout parle en mon ouvrage [...]. Je me sers d'animaux pour instruire les hommes\".La réussite des fables de La Fontaine tient à ce que ses animaux sont humanisés, mais cette métamorphose s'inscrit toujours dans la logique de leur nature, de leur physique, de leur comportement animal, ce qui rend encore plus convaincant le passage du récit à la leçon morale qu'on peut en tirer. 1) Des animaux ? a) Le cadre naturel Dans la fable, les deux animaux sont d'abord présentés dans un milieu naturel, \"Dans le courant d'une onde pure\" (v.4), plus suggéré que décrit par des détails pittoresques : La Fontaine se sert ici de termes d'une grande simplicité et aux sonorités pleines de douceur, de fluidité... Le décor est réduit au minimum : à la fin de la fable, il est seulement fait mention des \"forêts\" où le Loup entraîne l'Agneau et qui pourraient figurer les coulisses où, loin du regard des spectateurs et par souci des bienséances, s'accomplissent les actions sanglantes dans les tragédies classiques ! b) La réalité animale Seule la majuscule à leur nom les caractérise et les distingue, leur donne un statut particulier dans leur espèce. La réalité animale de chacun des deux protagonistes est rappelée par des traits peu nombreux mais qui vont à l'essentiel : pas de description encore une fois, mais le Loup est une bête \"cruelle\" poussée par \"la faim\", l'Agneau \"tète\" sa mère et vit au milieu des \"chiens\" et des \"bergers\". 2) Des hommes ? Ce sont ces quelques caractéristiques animales qui servent à La Fontaine en quelque sorte d'armature pour développer, par les propos que tient chacune, un caractère propre qui correspond à leur apparence et à leur comportement. a) Le caractère du Loup Ce sont leurs paroles qui les peignent en profondeur et nous y adhérons d'autant mieux qu'elles correspondent parfaitement à ce que leur aspect et leur comportement animal laissaient attendre. Le Loup se comporte en prédateur, soumis à ses instincts, à sa \"faim\", à ses pulsions agressives et cruelles : son discours est plein de menaces - \"Tu seras châtié\" -, d'affirmations sans fondement. b) Le caractère de l'Agneau L'Agneau est un être tout d'innocence - ne dit-on pas \"doux comme un agneau \"? -, de bonne foi et de douceur qui s'exprime sur un ton déférent et respectueux. Le lecteur a d'autant moins de peine à passer du monde animal au monde humain que La Fontaine nous y prépare. Quand l'Agneau s'adresse au Loup comme un modeste sujet à son roi (\"Sire\",\"Votre Majesté\").La Fontaine nous invite à voir derrière le récit animalier les rapports de force de la société humaine du XVIIe siècle, sous la monarchie absolue de Louis XIV. c) Une \"leçon\" morale à portée universelle Le lecteur du XXIe siècle dépasse ce contexte historique, transpose ce récit dans le monde contemporain : il reconnaît derrière le Loup et l'Agneau des individus qu'il côtoie, élargit la fable à des situations qui dépassent les simples rapports individuels, pour y retrouver le reflet des relations internationales lorsque des superpuissances agressent de petits états dont les richesses naturelles les rendent aussi appétissant qu'un agneau dodu... Transition

Il s’agit en effet de mettre en évidence l’existence d’un rapport de force et d’illustrer la cruelle réalité de la loi du plus fort qui n’est pas sans rappeler la phrase célèbre de Hobbes « L’homme est un loup pour l’homme ». Elle est mise en scène dans cette fable par le biais d’une argumentation biaisée.

 

II.                L’argumentation biaisée du loup ou la mauvaise foi

 

En plaçant la morale de la fable en tête de son récit, La Fontaine supprime tout suspense quant à l'issue inéluctable de l'affrontement entre le Loup et l'Agneau. Tout est joué d'avance dans ce \"procès\" (v.29) truqué. Le narrateur qui se veut objectif annonce implicitement ce qui doit arriver et le Loup déploie des trésors de rhétorique et de mauvaise foi, pour justifier le meurtre de l’agneau.

 

1)      Un narrateur objectif ?

-          Le narrateur raconte l’histoire au passé (imparfait vs passé simple = temps du récit) + emploi du présent de narration (« survient », v.5) pour mettre une action en évidence + présent de vérité générale pour la morale (v.1)

-          Veut paraître objectif : « nous l’allons montrer ». Il annonce une démonstration logique.

-          Logique biaisée d’emblée par le double sens des trois expressions « raison », « le plus fort », « la meilleure » (A expliquer)

-          Narrateur en fait omniscient qui sait que le loup a faim et qui le présente comme « un animal plein de rage » (v.8), « une bête cruelle » (v.18)

à La voix du narrateur nous prépare au dénouement de l’histoire et à la mauvaise foi du loup.

 

      2) Argumentation du loup : des arguments matériels C'est d'abord un fait matériel qu'il reproche à l'Agneau : \"troubler [son] breuvage\" (v.7). Le chef d'accusation est présenté dans son évidence et c'est sur les circonstances annexes du crime – le caractère de l’accusé - que porte l'interrogatoire : \"Qui te rend si hardi [...] \", « ta témérité ». L’agneau est jugé d’emblée et c’est de mauvaise foi (Un agneau n’est pas caractérisé par son courage). Le Loup n'attend pas la réponse de l'Agneau : il l'a déjà condamné sans appel, comme le marque le futur : \"Tu seras châtié\"(v.9).

L'accusation conciliante de l'Agneau et les arguments matériels irréfutables qu'il oppose sont balayés par le Loup qui nie l'évidence, comme s'il n'avait pas entendu la justification de l'Agneau : il reprend, mais sous une forme plus ramassée et plus hargneuse - en trois mots : \"Tu la troubles\" -, son accusation du vers 7. 3) Des affirmations fausses et calomnieuses Puis le loup quitte le domaine des préjudices matériels qu'il prétend subir ici et maintenant pour lancer une autre accusation. Elle est formulée d'une façon toujours aussi catégorique par un péremptoire \"je sais\" mais le Loup n'apporte pas la moindre justification à son affirmation ; il quitte désormais le domaine des faits et du présent pour invoquer de prétendues assertions calomnieuses (\"tu médis\")proférées dans le \"passé\" (v.19). C'est donc ici un délit d'opinion qui est reproché à l'Agneau.   4) Une conspiration anti-Loup Les dénégations de l'Agneau ne décontenancent pas le Loup. Il n'abandonne pas le chef d'accusation mais en modifie les circonstances : l'Agneau devient ici, avec ses semblables, l'instigateur d'une conspiration anti-Loup (la conspiration, c'est l'obsession de tous les pouvoirs tyranniques...) dans un drôle de monde à l'envers réinventé par le Loup où les agneaux et les moutons règneraient sur un peuple de \"bergers\" et de \"chiens\" - c'est ce que sous-entend la reprise du possessif \"vos\" du vers 25... Mais il ne révèle pas ses sources: il se contente d'une formule indéfinie (\"on me l'a dit\"). Ce « on » qui ne désigne personne mais conclue l’argumentation du loup marque bien la fausseté d’une logique néanmoins présentée comme implacable et marquée par la succession serrée de liens logiques aux vers 22, 23 et 24 : « donc », « donc », « car ». Les hypothèses et les rectifications successives que le Loup s'obstine à apporter (\"ton frère\", \"quelqu'un des tiens\" ou un membre du prétendu pacte anti-Loup, \"vous, vos bergers et vos chiens\") ne sont pas le signe que le Loup est aux abois (menacé) - loin de là. La résistance inouïe de l’agneau l'exaspère et ne fait que renforcer son désir d'en finir avec lui. On remarque que c'est lorsque ses accusations sont le plus dénuées de fondement qu'il est le plus catégorique, multipliant les liens de cause à conséquence (\"donc\" à deux reprises, \"car\"). Transition

Sous les apparences d’une logique implacable, c’est bien à la démonstration la plus parfaite de la mauvaise foi que nous avons affaire. Rien ne saurait entraver l’argumentation ridicule du loup, pas même un plaidoyer solide et rigoureux fondé sur la raison.

 

III.             Le plaidoyer de l’agneau (ou l’inefficacité de la raison)

L'argumentation de l'Agneau est à l'opposé de celle du Loup. En nombre de vers, elle équivaut à peu près à celle du Loup mais la répartition des répliques est bien différente. L'Agneau essaie de répondre à trois reprises aux menaces du Loup.

1) Une petite plaidoirie, des éléments à décharge La première fois (v.10-17), il construit une vraie plaidoirie. Sans agressivité, avec une politesse respectueuse, il s'adresse au Loup à la 3e personne, reconnaît sa toute-puissance (\"Sire\",\"Votre Majesté\"). Il n'aborde pas la question immédiatement mais essaie de calmer le jeu. Puis, à partir du vers 14, il fait appel naïvement à l'objectivité du Loup pour qu'il reconnaisse que les lois de la physique le disculpent. Il énumère tous les éléments à décharge (\"dans le courant\", \"plus de vingt pas au-dessous\") ; il en tire enfin fermement les conclusions, en redoublant le lien de conséquence (\"Et que par conséquent, en aucune façon\").Ses dernières paroles : \"troubler sa boisson\" font écho à l'accusation du Loup (\"troubler mon breuvage\") et il pense avoir ainsi démontré clairement son innocence. 2) Protestation d'innocence vaine Sa deuxième réplique est beaucoup plus courte : deux vers seulement. Peut-être sent-il déjà l'inutilité de sa résistance ? Il donne à sa protestation d'innocence la forme d'une question - sûrement pour ne pas braquer davantage le Loup contre lui. L'impossibilité matérielle lui constitue pourtant un alibi imparable : \"je n'étais pas né\". Et en rappelant son extrême jeunesse, \"je tète encore ma mère\" (v.21), il met en avant, implicitement, sa complète incapacité de nuire. Sa dernière réplique, sous la forme de quatre monosyllabes, « Je n’en ai point »,  est à peine esquissée. L'Agneau ne cherche plus à construire son plaidoyer, il perd pied devant les attaques hargneuses du Loup qui lui confisque la parole.

CONCLUSION

Il s’agit donc dans cette fable de déployer une histoire dont l’issue est connue d’emblée (dès le début). L’argumentation logique et sincère de l’agneau est broyée par la mauvaise foi du loup et la morale initiale prend tout son sens. La raison  du plus fort ne représente pas la logique du plus brillant mais les motifs ultimes du puissant qui ne sont pas littéralement les meilleurs mais qui triomphent de tout.

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