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LA FONTAINE : LE SAVETIER ET LE FINANCIER

Publié le 25/07/2010

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fontaine

 

Introduction : "Le Savetier et le Financier" est une oeuvre de La Fontaine, poète français du 17ème siècle et le plus grand fabuliste de l'époque classique. Ses fables ont un aspect didactique et en même temps philosophique. "Le Savetier et le Financier" parle d'un Savetier qui chantait toute la journée, ce qui exaspérait le financier lorsqu'il souhaitait dormir. Ce dernier plutôt riche convoqua alors le Savetier. Ils parlèrent d'argent puis le Financier offrit cent écus au Savetier. Mais de retour chez lui, le Savetier se croyait riche et ne chantait plus, il avait alors perdu sa voix, son sommeil et avait des soucis. Il retourna alors voir le Financier pour lui demander de lui rendre ses chansons et son sommeil contre les cents écus.

Texte :

Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir : C'était merveilles de le voir, Merveilles de l'ouïr ; il faisait des passages, Plus content qu'aucun des sept sages. Son voisin au contraire, étant tout cousu d'or, Chantait peu, dormait moins encor. C'était un homme de finance. Si sur le point du jour parfois il sommeillait, Le Savetier alors en chantant l'éveillait, Et le Financier se plaignait, Que les soins de la Providence N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, Comme le manger et le boire. En son hôtel il fait venir Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire, Que gagnez-vous par an ? - Par an ? Ma foi, Monsieur, Dit avec un ton de rieur, Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière De compter de la sorte ; et je n'entasse guère Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin J'attrape le bout de l'année : Chaque jour amène son pain. - Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? - Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ; (Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,) Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chommer ; on nous ruine en Fêtes. L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le Curé De quelque nouveau Saint charge toujours son prône. Le Financier riant de sa naïveté Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin, Pour vous en servir au besoin. Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre Avait depuis plus de cent ans Produit pour l'usage des gens. Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre L'argent et sa joie à la fois. Plus de chant ; il perdit la voix Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Le sommeil quitta son logis, Il eut pour hôtes les soucis, Les soupçons, les alarmes vaines. Tout le jour il avait l'oeil au guet ; Et la nuit, Si quelque chat faisait du bruit, Le chat prenait l'argent : A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus ! Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, Et reprenez vos cent écus.

Plan :

I. Construction et visée des deux portraits; II. La présence du fabuliste dans l'apologue.   I - Construction et visée des deux portraits   A. La construction On a ici deux portraits en action de deux personnages types car il y a une majuscule pour "Le Financier" et "Le Savetier"; et ceci pour généraliser la situation. De plus, notons qu'ils ne sont pas désignés par un nom mais par leur métier respectif. Ces portraits en action nous renseignent donc sur le caractère type des deux personnages; et les éléments des portraits sont présents à la fois dans les parties narratives et les parties discursives. 1. Le Savetier. a. Un portrait d'abord élogieux caractérisé par : son chant (vers 1 à 4); sa gaîté, sa joie de vivre (vers 17-18) : "rieur", "gaillard"; son insouciance car il gagne sa vie au jour le jour et ne compte par l'argent; l'humour avec lequel il critique la religion (vers 24 à 29) : il se plaint des jours chômés mais en est-il vraiment mécontent? : reprise du terme "le mal est que" et utilisation du lexique de la charge "on nous ruine", "l'une fait tord", "charge toujours", "il faut" (qui renvoie à une charge, une obligation). Le Savetier sous-entend qu'il n'y a plus de logique dans les fêtes religieuses puisque les célébrations sont multipliées. b. Un portrait plus critique : sa naïveté est soulignée (vers 30, 34, 36) : "Le Financier, riant de sa naïveté", "Le Savetier crut". il devient semblable au Financier lorsqu'il est soumis au pouvoir de l'argent (vers 34 à 46). 2. Le Financier. a. Il est d'emblée dévalorisé par des éléments négatifs : métaphore du vers 5 : "étant tout cousu d'or"; l'emploi au vers 5 du connecteur logique "au contraire"; comparatif d'infériorité au vers 6 : "dormait moins encor"; périphrase au vers 7 : "c'était un homme de finance". En apparence, cette périphrase traduit le respect pour son métier, mais c'est en réalité une moquerie sous-jacente; c'est un grincheux, vers 10 : "il se plaignait"; il voudrait pouvoir tout acheter et pense que l'argent donne du pouvoir sur tout (vers 12) : infinitif substantivé : "le dormir", "le manger", "le boire"; il profite de la naïveté , de l'ignorance du Savetier pour le duper (vers 30 jusqu'à la fin). b. Un portrait négatif accentué par le dialogue : c'est lui qui questionne (vers 16 et 23) : cela montre qu'il est sûr de lui; c'est lui qui impose sa volonté (vers 31) : "je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône"; c'est lui qui ordonne (vers 32). Le verbe à l'impératif placé entre deux hémistiches reproduit le ton autoritaire et rapide du Financier.   B. La visée des deux portraits : argumentative 1. Les portraits sont présentés de façon antithétique. Pour le Financier, tous ses traits nous sont antipathiques, tandis que le Savetier n'a que des qualités jusqu'à ce que l'argent vienne le tranformer. L'opposition entre les deux personnages est soulignée par le connecteur logique "au contraire" au vers 5. 2. Des portraits qui mettent chacun en évidence un paradoxe. Le Savetier vit dans la joie malgré un métier non rémunérateur. Ce Savetier s'oppose au Financier, son voisin, qui ne parvient pas à dormir et à trouver la paix, la tranquilité, alors qu'il est riche. Ce paradoxe permet d'anticiper la transformation du Savetier : c'est à dire le fait qu'il devienne muet et insomniaque après que les cents écus aient été enserrés dans sa cave. L'antithèse entre les deux portraits ainsi que les paradoxes soulevés permettent, sans aller jusqu'à la lecture de la fin de la fable, de commencer à démontrer implicitement une morale, à savoir que l'argent ne fait pas le bonheur, et procure des soucis.   II - La présence du fabuliste dans l'apologue   A. Les marques de sa présence dans les parties narratives 1. Ces marques : "c'était merveilles de le voir, Merveilles de l'ouïr" (attention à la diérèse à ou-ïr) (vers 2 et 3) : répétition de "merveilles" qui traduit l'enthousiasme du fabuliste; "plus content qu'aucun des sept sages" : il compare le Savetier qui est plus heureux que les sept sages. Cela sous-entend que le bonheur peut venir de choses beaucoup plus simples que la philosophie; "nos peines" : le "nos" généralise en plus de l'utilisation du présent de vérité générale et met alors en cause l'humanité tout entière (ceci est une périphrase); "dit, avec un ton rieur, le gaillard Savetier" (vers 17-18) : "gaillard" et "rieur" sont des subjectifs qui montrent que le fabuliste évalue; "les alarmes vaines" : point de vue du fabuliste; "le pauvre homme" : jugement du fabuliste. 2. Les fonctions des interventions du fabuliste : Opposer les deux types sociaux, donner des explications, des justifications, orienter le lecteur par la fonction argumentative et la touche d'humour ajoutée au texte. Ces interventions couplées avec le récit pur forment ce qu'on appelle l'apologue, d'après lequel le lecteur va déduire une morale. 3. Ces marques ont une portée didactique : En effet, elles soulignent le jugement du fabuliste. Elles complètent les informations fournies par les deux portraits et permettent de faire l'économie de la morale qui reste implicite.   B. Une tonalité humoristique 1. En ce qui concerne le naïf Savetier, c'est un humour atténué par de l'indulgence avec de la sympathie de la part de La Fontaine. 2. En contraste, l'humour est beaucoup plus acéré, plus mordant à l'égard du Financier, et plus généralement de la richesse et du pouvoir. L'allusion à l'Eglise met en évid ence l'incohérence des fêtes religieuses et l'expression "sur le trône" est irrespectueuse; et sous-entend que le Financier a conscience que l'argent donne le pouvoir. 3. Les fonctions de l'humour : aide à faire accepter la critique; permet d'instruire le lecteur tout en ne l'ennuyant pas trop; permet d'éviter les condamnations de la censure; permet de laisser le lecteur se faire lui-même sa conclusion des sous-entendus.   Conclusion : C'est un apologue qui prend totalement en charge l'argumentation car La Fontaine réussit à "plaire en instruisant" (son but); et qui, sans passer par une moralité explicite, démontre clairement l'idée que défend l'auteur.

 

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