Devoir de Philosophie

“Le savetier et le financier” - La Fontaine

Publié le 15/09/2006

Extrait du document

fontaine

Commentaire Après la peinture de la Cour, La Fontaine s’est livré à la peinture des mœurs de la ville. Il exploite ici le contraste entre deux conditions sociales opposées. Il semble que, pour composer cette fable, il ait combiné deux sources : Le latin Horace (“_Épitres_”, I, 7) conta l’histoire du riche avocat Philippe qui, pour tenter une expérience, s’amusa à offrir une propriété au crieur public Volteius Mena, pauvre mais satisfait de son sort. Mena devint âpre au gain, s’épuisa à cultiver la terre et, se trouvant malheureux, vint supplier Philippe de le rendre à sa première existence. Au XVIe siècle, l’écrivain français Bonaventure des Périers conta l'histoire du savetier Blondeau qui «aimait le vin par sus tout« et chantait tout le long du jour jusqu'au moment où il découvrit un pot de fer contenant un trésor : «Lors il commença de devenir pensif : il ne chantait plus, il ne songeait qu’en ce pot de quincaille... “Si je le montre aux orfèvres, ils me décèleront (dénonceront) ou ils en voudront avoir leur part.... Tantôt il craignait de n’avoir pas bien caché ce pot ou qu’on le lui dérobât. À toutes heures, il partait de son échoppe pour l’aller remuer. Il était en la plus grande peine du monde ; mais, à la fin, il se vint à reconnaître, disant en soi-même : “Comment ! je ne fais que penser en mon pot ! Bah ! Le diable y ait part au pot ! il me porte malheur”. En effet, il va le prendre gentiment et le jette en la rivière et noya toute sa mélancolie avec ce pot.« La Fontaine a su fondre ces données et les enrichir pour mieux dégager la morale et réaliser un chef-d’œuvre. Il a créé une petite comédie où il présente la vie et le caractère d’un de ces financiers du XVIIe siècle en contraste avec un «_gaillard savetier_«, pour exprimer une des idées maîtresses de sa sagesse, une vérité éternelle : l'argent ne fait pas le bonheur. La fable présente une petite comédie dont l’exposition est assez longue parce qu’il faut bien établir les circonstances, bien définir les situations contrastées du savetier et du financier, afin qu’ensuite le retournement soit plus significatif, plus dramatique. Mais, ensuite, La Fontaine prouve qu’il possède l’art de faire parler chaque personnage selon son caractère et sa condition. Le financier, l’«_homme de finance_«, est peut-être l’un de ces «fermiers généraux« enrichis sous le règne de Louis XIV, parce qu’ils prenaient les impôts «à ferme«, c’est-à-dire versaient immédiatement à l’État la somme qu’il s’attendait à percevoir dans telle région, puis pouvaient se permettre d’en extraire bien plus. Ils ont été impitoyablement dépeints par La Bruyère dans le chapitre VI, ‘_’Des biens de fortune’’_, où il dénonça le scandaleux pouvoir de l’argent qui leur permettait d’édifier en peu de temps des fortunes colossales, de se loger en des hôtels fastueux («_hôtel_« signifiant «riche demeure«), d’étaler leur orgueil de parvenus, d’acquérir considération, égards, noblesse, en y mettant le prix. Mais ils menaient une existence fiévreuse, et le participe «_étant_«, qui a une valeur causale, implique que le fait d’être «tout cousu d’or« (les habits chamarrés d'or étaient la façon d’étaler sa richesse) est la cause du manque de joie et de sommeil. La rareté et la difficulté de son sommeil sont suggérées par le mot «_Si_« (la condition n’est pas toujours remplie) renforcé par le mot «_parfois_« (rareté du fait), par l’indication du «_point du jour_« (après les efforts d’une nuit d’insomnie), à quoi s’ajoute, par «_il sommeillait_«, le fait qu’il ne s’agit encore que d’un sommeil très léger. Ce riche parvenu se révèle d’abord par son ingratitude : il oublie par quel chemin il est passé quand il se plaint de l’insuffisance des «_soins de _la Providence« alors qu’il en a profité largement en acquérant sa situation. Le rythme des vers 10-13 rend son ton excédé, les vers courts (10, 11 et 13) et le découpage du vers 12 en une série de mots d’une ou deux syllabes donnant à ce passage une allure sèche, saccadée. Avec «_le dormir_«. La Fontaine a inventé un infinitif substantivé qui apporte une surprise, mais l’ensemble de ces trois infinitifs substantivés donne à ces réalités concrètes que sont le sommeil, la nourriture, la boisson, une valeur abstraite, en quelque sorte mathématique, commerciale, qui est bien celle que leur voit un financier. Il a tendance à l’accaparement, montre une vision égocentriste du monde qui le rend injuste pour son prochain, surtout lorsqu’il lui est inférieur par le revenu : il traite le savetier avec une familiarité condescendante, un certain mépris, que marque d’abord l’enjambement entre le vers 14 et le vers 15 qui met en relief la surprise du terme employé pour désigner le savetier qui n’est même pas considéré pour sa véritable fonction : il n’y a que «le chanteur« qui en lui l’intéresse. L’appelation «_sire Grégoire_«, pour un pauvre roturier, est familière et ironique à la fois. Esprit sérieux, positif, la vie, pour le financier, n’est fondée que sur des notions matérialistes : tout lui apparaît comme matière à achats, à ventes, à échanges. Cela le rend d’ailleurs assez ingénieux pour trouver un moyen décisif de remédier au mal dont il souffre. Cependant, comme il est habitué à marchander, il se livre à une véritable inquisition, imposant ses questions avec l’air de supériorité intellectuelle méprisante d’un riche bourgeois, prenant plaisir à impressionner facilement l’homme simple, ignorant et démuni qu’il a en face de lui. Sa question «_Que gagnez-vous par an?«_ traduit bien sa préoccupation constante mais aussi l’étendue de la perspective budgétaire à laquelle il est habitué. Il la réduit donc et, quand il est tout à fait rassuré sur la simplicité, la naïveté, le désintéressement, en un mot, la faiblesse, de ce partenaire en affaires, il peut, avec ostentation, faire preuve d’une apparente générosité, l’éblouir à bon compte, lui faire voir monts et merveilles («_Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône_«). Sans plus barguiner, il fait le don de «_cent écus_« mais en ajoutant cette précaution : «_Pour vous en servir au besoin_« (« en cas de besoin «) qui est importante : il faut que le savetier conserve l’argent afin que le souci l’empêche de dormir la nuit et donc de chanter le jour. Et c’est bien pourquoi le financier devient par une périphrase «_celui qu’il ne réveillait plus_«. Le savetier est un homme simple, insouciant, libre, gai («_gaillard_«), optimiste, plein d’entrain, ardent au travail sans être intéressé par le gain. Pauvre d’argent, il est riche d’une sagesse populaire qui lui fait accepter la vie telle qu’elle se présente, avec son lot de bonheur et de malheur, se soumettre au destin avec un certain fatalisme. L’auteur évoque d’abord ce bonheur en décrivant son chant pendant le jour («_il faisait des passages_«, le passage étant un ornement ajouté au chant pour passer d'une note à une autre, cette virtuosité, qui fait merveille, traduisant une application, une grande habileté due à l’entraînement et un enthousiame dû au plaisir) et son sommeil paisible pendant la nuit. L’allusion aux «_Sept sages_« de la Grèceest quelque peu paradoxale et ironique parce qu’ils jouissaient du bonheur que procure la science, tandis que le savetier jouit du bonheur de son ignorance. Homme du peuple, son langage révèle son incapacité à bien s’expliquer sur les questions d’argent mais aussi sa satisfaction de ne pas avoir à s’embarrasser de tels calculs ; aussi est-il plutôt amusé («_avec un ton de rieur_«) que rendu amer par la question du financier. L’enjambement expressif du vers 19 au vers 20 marque la précarité de ses revenus, met en relief «_un jour sur l’autre_«, c’est-à-dire le gain d’une journée qui ne vient s’ajouter à celui d’une autre : il vit au jour le jour. «_J’attrape le bout de l’année_« est une image populaire qui indique que les recettes d’une année suffisent à en couvrir les dépenses, qu’il est capable de survivre d’une année à l’autre, qu’à la fin d’une année, repère essentiel, il peut encore avoir l’espoir de pouvoir vivre au cours de la suivante. «_Tantôt plus, tantôt moins_« : il est évasif soit par ignorance véritable, soit par quelque méfiance devant les questions trop précises et insistantes posées par quelqu’un dont il ne connaît pas les intentions et dont il semble s’aviser soudain qu’il prélève les impôts. Ensuite, avec «_on nous ruine en fêtes ;_ L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône.« est exprimée une plainte du peuple du temps qui souffrait du fait qu’il y avait, par an, trente-huit fêtes chômées en plus des dimanches. Il est si pauvre qu’il s’extasie devant la somme qu’on lui propose, qui dépasse toutes ses notions habituelles, et que, soudain, investi d’une conscience économique il peut croire «_voir tout l'argent que la terre_ Avait, depuis plus de cent ans, _ Produit pour l'usage des gens_. « L’enjambement du vers 37 au vers 38 retarde habilement le mot «_argent_«, comme si le savetier hésitait soudain à le prononcer afin de ne point faire savoir que désormais il en possède. Habilement encore, par un effet de style, le poète nous révèle que la joie, elle aussi, a été enfermée dans la cave, que le savetier en est désormais dépouillé. L’argent devient par une périphrase significative «_ce qui cause nos peines_« car, au sens de «_travail_«, elles devraient être désormais finies mais qu’au sens d’«_inquiétudes_« elles ne font que commencer. L’interversion des «_hôtes_« du «_logis_« du savetier est amusante, «_le sommeil_« étant remplacé par «_les soucis, / Les soupçons les alarmes vaines_«, selon une progression de l’inquiétude (d’abord de simples pensées, des sujets vagues, une perplexité au sujet de l’utilisation de cet argent ; puis des craintes au sujet de sa conservation ; enfin, des hallucinations qui font croire à des tentatives de vol) qui n’en est pas réduite de se révéler sans objet. Les vers 44-46 sont adroitement ménagés : le vers 44 est coupé pour bien marqué les tourments qu’éprouve le savetier ; l’enjambement du vers 44 au vers 45 laisse en suspens le mot «nuit« qui est lourd de menaces ; le vers 45 est une sorte de parenthèse qui indique les circonstances et prépare le raccourci éloquent du vers 46. Le savetier fait alors penser à l’Harpagon de Molière tourmenté par le sort de sa «chère cassette«, surtout quand on pénètre dans son esprit en proie à la folie puisqu’il se dit (ce sont ses paroles en style indirect libre) : «_Le chat prend l’argent_«. Mais elle fait naître des angoisses qui sont marquées par le silence pendant le jour et l’inquiétude pendant la nuit. Mais, comme, homme du peuple, il a aussi son esprit frondeur, c’est avec décision, colère et peut-être même mépris, qu’il rend les «_cent écus_«. Pour La Fontaine, le bonheur réside dans l’acceptation sereine, par chacun, de sa condition, de sa place dans la société, du refus d’aspirations irréalisables ; dans l’accord avec sa conscience. C’est une morale simple, qui manque peut-être d’élévation, mais qui permet une sagesse facilement accessible :

fontaine

« de chanter le jour.

Et c'est bien pourquoi le financier devient par une périphrase «_celui qu'il ne réveillait plus_».Le savetier est un homme simple, insouciant, libre, gai («_gaillard_»), optimiste, plein d'entrain, ardent au travail sans êtreintéressé par le gain.

Pauvre d'argent, il est riche d'une sagesse populaire qui lui fait accepter la vie telle qu'elle se présente, avecson lot de bonheur et de malheur, se soumettre au destin avec un certain fatalisme.

L'auteur évoque d'abord ce bonheur endécrivant son chant pendant le jour («_il faisait des passages_», le passage étant un ornement ajouté au chant pour passer d'unenote à une autre, cette virtuosité, qui fait merveille, traduisant une application, une grande habileté due à l'entraînement et unenthousiame dû au plaisir) et son sommeil paisible pendant la nuit.

L'allusion aux «_Sept sages_» de la Grèceest quelque peuparadoxale et ironique parce qu'ils jouissaient du bonheur que procure la science, tandis que le savetier jouit du bonheur de sonignorance.

Homme du peuple, son langage révèle son incapacité à bien s'expliquer sur les questions d'argent mais aussi sasatisfaction de ne pas avoir à s'embarrasser de tels calculs ; aussi est-il plutôt amusé («_avec un ton de rieur_») que rendu amerpar la question du financier.

L'enjambement expressif du vers 19 au vers 20 marque la précarité de ses revenus, met en relief«_un jour sur l'autre_», c'est-à-dire le gain d'une journée qui ne vient s'ajouter à celui d'une autre : il vit au jour le jour.

«_J'attrapele bout de l'année_» est une image populaire qui indique que les recettes d'une année suffisent à en couvrir les dépenses, qu'il estcapable de survivre d'une année à l'autre, qu'à la fin d'une année, repère essentiel, il peut encore avoir l'espoir de pouvoir vivre aucours de la suivante.

«_Tantôt plus, tantôt moins_» : il est évasif soit par ignorance véritable, soit par quelque méfiance devant lesquestions trop précises et insistantes posées par quelqu'un dont il ne connaît pas les intentions et dont il semble s'aviser soudainqu'il prélève les impôts.

Ensuite, avec «_on nous ruine en fêtes ;_L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le curéDe quelque nouveau saint charge toujours son prône.»est exprimée une plainte du peuple du temps qui souffrait du fait qu'il y avait, par an, trente-huit fêtes chômées en plus desdimanches.Il est si pauvre qu'il s'extasie devant la somme qu'on lui propose, qui dépasse toutes ses notions habituelles, et que, soudain,investi d'une conscience économique il peut croire «_voir tout l'argent que la terre_Avait, depuis plus de cent ans,_ Produit pour l'usage des gens_.

»L'enjambement du vers 37 au vers 38 retarde habilement le mot «_argent_», comme si le savetier hésitait soudain à le prononcerafin de ne point faire savoir que désormais il en possède.

Habilement encore, par un effet de style, le poète nous révèle que lajoie, elle aussi, a été enfermée dans la cave, que le savetier en est désormais dépouillé.

L'argent devient par une périphrasesignificative «_ce qui cause nos peines_» car, au sens de «_travail_», elles devraient être désormais finies mais qu'au sensd'«_inquiétudes_» elles ne font que commencer.

L'interversion des «_hôtes_» du «_logis_» du savetier est amusante, «_lesommeil_» étant remplacé par «_les soucis, / Les soupçons les alarmes vaines_», selon une progression de l'inquiétude (d'abordde simples pensées, des sujets vagues, une perplexité au sujet de l'utilisation de cet argent ; puis des craintes au sujet de saconservation ; enfin, des hallucinations qui font croire à des tentatives de vol) qui n'en est pas réduite de se révéler sans objet.

Lesvers 44-46 sont adroitement ménagés : le vers 44 est coupé pour bien marqué les tourments qu'éprouve le savetier ;l'enjambement du vers 44 au vers 45 laisse en suspens le mot «nuit» qui est lourd de menaces ; le vers 45 est une sorte deparenthèse qui indique les circonstances et prépare le raccourci éloquent du vers 46.

Le savetier fait alors penser à l'Harpagon deMolière tourmenté par le sort de sa «chère cassette», surtout quand on pénètre dans son esprit en proie à la folie puisqu'il se dit(ce sont ses paroles en style indirect libre) : «_Le chat prend l'argent_».

Mais elle fait naître des angoisses qui sont marquées parle silence pendant le jour et l'inquiétude pendant la nuit.

Mais, comme, homme du peuple, il a aussi son esprit frondeur, c'est avecdécision, colère et peut-être même mépris, qu'il rend les «_cent écus_».Pour La Fontaine, le bonheur réside dans l'acceptation sereine, par chacun, de sa condition, de sa place dans la société, du refusd'aspirations irréalisables ; dans l'accord avec sa conscience.

C'est une morale simple, qui manque peut-être d'élévation, mais quipermet une sagesse facilement accessible :. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles