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La laïcité, une querelle qui ne dort que d'un oeil, par Patrick Jarreau

Publié le 22/02/2012

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LE MONDE 08.02.08 « S'il y a un sujet de conflit politique dont il faut se méfier, en France, c'est bien la laïcité. Certes, dans le flot des reproches adressés aujourd'hui à Nicolas Sarkozy, ceux qui concernent ses déclarations sur les religions - à Rome le 20 décembre 2007 et à Riyad il y a trois semaines - ne sont pas les plus sonores. On peut être tenté de voir, dans l'obstination du président de la République à parler de la foi, une espèce de marotte personnelle dont il n'y aurait pas à se préoccuper, sauf à entrer dans son jeu, ce que personne ne souhaite. En ce moment moins que jamais. Et surtout pas sur une question de ce genre. Car quelle peut être la traduction pratique de ses propos ? Réviser la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat ? Dans son discours, au palais du Latran, à Rome, Nicolas Sarkozy a assuré vouloir en respecter "les grands équilibres". Quand on promet de ne pas modifier les grands équilibres, on a souvent en tête de s'attaquer aux petits. En l'occurrence, il s'agirait de permettre aux collectivités locales de financer la construction de lieux de culte. Or, un tel financement est possible sans remettre en question la loi et en se conformant aux règles qu'elle impose. Des municipalités, comme celle de Marseille, ont trouvé le moyen d'aider l'islam à sortir des caves et des hangars, où ses fidèles sont souvent confinés, sans contrevenir, pour autant, au principe de laïcité de la puissance publique. De toute façon, une modification de la loi ne serait pas possible sans un consensus qui, aujourd'hui, n'existe pas. Les défenseurs de la laïcité sont néanmoins vigilants. Il n'y a pas de fumée sans feu. Les positions du président sur les religions ne sont pas une nouveauté, puisqu'il les avait déjà exposées en 2004 dans un livre, La République, les religions, l'espérance (Cerf, 2004, 176 p., 17 €). L'insistance avec laquelle il y revient donne à penser que des actes suivront, un jour, ses professions de foi. Pour le moment, on peut aussi soupçonner une manoeuvre de diversion. Quand il présidait la convention pour une Constitution européenne, Valéry Giscard d'Estaing avait provoqué une querelle sur les "racines chrétiennes" de l'Europe afin de détourner les esprits de questions plus lourdes de conséquences. Avec d'ailleurs, au bout du compte, le succès que l'on sait. Les socialistes ont condamné les propos de Nicolas Sarkozy, dans lesquels ils voient une transgression de la frontière qui sépare, depuis un siècle, les institutions et la religion. François Bayrou s'est élevé, lui aussi, contre "le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'Etat et la religion". Une pétition (www.appel-laique.org) a déjà recueilli près de 15 000 signatures contre les déclarations du chef de l'Etat, pour la réaffirmation de la laïcité de la République et contre toute "modification du contenu de la loi de 1905". Le corps du délit est constitué essentiellement de deux phrases. A Rome, le chef de l'Etat a affirmé que "dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé". A Riyad, il a parlé de "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le coeur de chaque homme". Dans les deux cas, il a violé un pacte républicain tacite, qui impose aux détenteurs de l'autorité politique, dans leurs propos et dans leurs actes, une neutralité philosophique absolue sur la question du fondement de la morale. Chaque fois que la séparation du spirituel et du temporel, telle qu'elle est comprise en France, a paru menacée, dans les dernières décennies, il en est résulté un affrontement majeur, qui même, en 1984, a failli dégénérer en crise de régime. Un nouvel affrontement de ce type est bien la dernière chose que l'on puisse souhaiter aujourd'hui. »

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