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La métamorphose de Narcisse A partir du XIX ème siècle, des artistes s'intéressèrent à de nouveaux aspects de l'esthétisme ; ils entreprennent des actions nouvelles ou expérimentales dans les arts.

Publié le 22/11/2015

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La métamorphose de Narcisse A partir du XIX ème siècle, des artistes s'intéressèrent à de nouveaux aspects de l'esthétisme ; ils entreprennent des actions nouvelles ou expérimentales dans les arts. Ces artistes s’apparentent avec un mouvement rompant avec la tradition : le surréalisme. Laissant libre cours à l'imagination, au rêve et à l'inconscient. La métamorphose de Narcisse de Salvador Dalí en est un parfait exemple. C'est en 1937 que Dalí présente son œuvre, celle-ci est également accompagnée d'un poème qui vient compléter la toile. Cette production est directement inspirée du mythe de Narcisse prenant place dans le livre Les Métamorphoses d'Ovide. La notion de métamorphose prendra d'ailleurs toute son importance dans l’œuvre du peintre et nous plongera dans une réflexion qui côtoiera la psychanalyse. En effet, La métamorphose de Narcisse est le premier tableau engendré par la méthode « paranoïaque-critique », mise au point par Dalí. Elle a pour but de représenter des images oniriques en organisant la rencontre d'éléments disparates. Tout ceci nous amène à nous poser la question suivante : « La Métamorphose de Narcisse est-elle une représentation du mythe ou du propre inconscient de Dalí ? ». Pour y répondre nous allons séparer le tableau en deux, où chaque parties reprendra la représentation de Narcisse qui y est faite, ce qui nous permettra d'interpréter la transition entre les deux Narcisse et, pour finir, nous les mettront en relation. « Quand l'anatomie claire et divine de Narcisse se penche sur le miroir obscur du lac ». L’œuvre de Dalí représente les deux aspects de Narcisse : un Narcisse vivant et un Narcisse rongé par la mort. Nous allons, dans cette première partie, nous pencher plus particulièrement sur le premier aspect de Narcisse. Quand nous regardons le Narcisse de gauche, notre œil est automatiquement attiré par les couleurs chaudes qui s'en émanent. En effet, nous pouvons constater une dominance de beige et de marron, ces couleurs trouvent leur intérêt dans le contraste qu'elles entraînement entre le corps de Narcisse et du décor qui l'entoure. Elles nous permettent également d'attirer notre attention plus particulièrement sur son corps, du fait que celui-ci possède des teintes plus vives que le reste du décor. Nous pouvons interpréter cette focalisation sur le corps comme un désir de l'artiste de nous montrer qu'à ce moment précis Narcisse est encore dans toute sa splendeur et que son corps est encore la chose la plus importante. Nous pouvons tout de même noter quelques couleurs froides, comme par exemple le bleu glacial qui habite le ciel se reflétant dans le lac, ceci relevant à nouveau l'importance du corps à ce moment précis. En plus d'utiliser des couleurs naturelles pour représenter le corps, Dalí a également fait jouer les ombres, créant et accentuant ainsi des muscles. Narcisse nous paraît ici immobile, comme sculpté dans de la pierre, seuls ses cheveux flottant montrent un signe de vie. Sa posture montre parfaitement sa mélancolie, sa lassitude et vient trouver son reflet sur l'eau dans laquelle l’extrémité de ses membres sont immergés. En plus du corps de Narcisse, nous pouvons remarquer le reflet de la montage, une montage grande et majestueuse très proche de Narcisse. Cette montagne pourrait symboliser Écho, nymphe qu'il a jadis éconduite. Nous l'avons vu dans cette première partie, ici la représentation de Narcisse met un accent particulier sur son corps, que soit par les couleurs ou par son emprise sur le décor. Nous l'avons vu précédemment, le tableau appartient au mouvement surréaliste, cette première représentation du jeune homme nous permet déjà de l'affirmer. Contrairement aux représentations classiques du mythe, ici le décor est assez réduit. Nous pouvons marquer cette opposition avec d'autres représentations plus anciennes où le jeune homme était systématiquement représenté dans un décor champêtre idyllique. De plus, pour revenir à la posture de Narcisse, contrairement aux représentations habituelles où le jeune homme est allongé sur la rive, il est ici assis dans l’eau. Une interprétation est possible concernant cette posture, en effet nous pourrions également penser que le jeune homme ne regarde pas son reflet comme il est écrit dans le texte d'Ovide mais son sexe. Dans son poème Dalí nous dit clairement « Quand l'anatomie claire et divine de Narcisse se penche sur le miroir obscur du lac, quand son torse blanc plié en avant se fige, glacé dans la courbe argentée et hypnotique de son désir », « son désir » pourrait s’apparenter à cela. Narcisse n’est pas penché sur l’eau, ses jambes sont repliées, ses cuisses s’insèrent entre les yeux du personnage et son reflet. Sa tête inclinée ne montre que le dessus de son crâne, ce qui pourrait nous indiquer que son regard plonge entre ses cuisses. Par ailleurs, son avant-bras gauche - contrairement au droit - nous est caché par sa cuisse. En plus de regarder son sexe, Narcisse le touche également. Cette notion de masturbation ne fait qu'accentuer la focalisation que celui-ci semble éprouver pour son corps. Le fait qu'il tourne le dos à Écho pourrait également signifier qu'il se suffit à lui-même. « Narcisse s'anéantit dans le vertige cosmique au plus profond duquel chante la sirène froide et dionysiaque de sa propre image. ». Après le Narcisse vivant nous allons maintenant nous pencher sur le Narcisse après la transformation. Ici, les couleurs sont glaciales et même fantasmagoriques, s'apparentant à l'image de l’homme artificiel, cadavérique. Ce « double » de Narcisse nous donne une version cauchemardesque de l'image de gauche. Ici le décor est beaucoup plus riche, marquant ainsi parfaitement le décalage entre les deux Narcisse. Une des premières choses frappantes est la position de la montagne ; celle-ci nous est beaucoup plus distincte car en retrait : Narcisse n'est plus le sujet central. Jadis le fruit de toutes les attentions il a, désormais, perdu toute sa splendeur et ne trouve plus grâce à nos yeux. Autre élément du décors, la statue posée sur un damier ; c'est un corps d'homme nu, nous pourrions penser qu'il s'agit de Narcisse du fait que la statue est en hauteur, mettant ainsi en valeur ce corps parfait. Cette statue que nous pouvons apparenter à Narcisse tourne le dos au corps inerte du jeune homme, peut être représente-elle l'ancien lui, le seul souvenir désormais figé - à l'image de la statue dans nos esprits. L'eau est beaucoup plus sombre et verdâtre, elle pourrait nous faire penser aux eaux du Styx, fleuve des enfers où les âmes des défunts venaient s'y plonger. Ces connotations, plutôt macabres, se voient complétées par un élément à gauche de Narcisse. Nous pouvons y voir un chien plutôt miteux en train de déchiqueter ce qui pourrait être une charogne. Malgré cette opposition flagrante entre les deux Narcisse la symétrie est parfaite. Nous pouvons voir une ligne invisible – que nous pourrions délimiter par la montagne de gauche et de son reflet – marquant ainsi la métamorphose. Si les deux éléments sont différents, il y a pourtant bel et bien un point commun aux deux Narcisse ; la présence d'un groupe de personnages entre les deux images. Selon Dalí, il s'agit des « hétérosexuels », ceuxci sont composés d’un Indou, d’un Catalan, d’un Allemand, d’un Russe, d’un Américain, d’une Suédoise et d’une Anglaise. Ils représenteraient les prétendants éconduits de Narcisse. Nous pourrions également penser qu'il s'agit des Naïades, sœurs de Narcisse. Il est difficile aux premiers abords de comprendre que le corps de Narcisse n'est pas seulement un corps. En effet, l’œil étant automatiquement attiré par le décor riche et précis, nous ne faisons que survoler le corps de Narcisse. Pourtant, lorsque nous le regardons de plus près, nous pouvons voir qu'il s'agit en réalité d'une main tenant une sorte d’œuf entre ses doigts, duquel sort une narcisse. Cet effet d'optique trouve son intérêt du fait qu'il apporte une fin logique à la transformation. Il y a plusieurs moyens d’interpréter cette main. Si nous poursuivons nos arguments précédents sur la masturbation, nous pourrions dire que la main tiendrait les « parties » invisibles de Narcisse et que la fleur sortant représenterait sa semence corporelle. Dalí nous dit d'ailleurs dans son texte « La semence de ta tête vient de tomber dans l'eau. ». Cette idée est accentuée par le fait que nous pouvons observer entre le doigt et « l’œuf » la présence d'un serpent, représentation la tentation, le plaisir de la chair (même si cette idée n'a jamais été clairement exprimée dans le texte de la Genèse). Faire le lien entre le poème de Dalí et notre interprétation n'est pas forcément chose évidente tant l'artiste joue sur l’ambiguïté. Certains éléments peuvent tout de même nous laisser penser que la métamorphose de Narcisse passe par la sexualité : « Mais, toi, Narcisse, formé de timides éclosions parfumées d'adolescence transparente, tu dors comme une fleur d'eau. Voilà que le grand mystère approche, que la grande métamorphose va avoir lieu. », ce passage reprend la notion d'adolescence, d'innocence et de timidité en proie de se métamorphoser pour devenir fécond, d’où l'apparition de la fleur. « Il ne reste de lui que l'ovale hallucinant de blancheur de sa tête, sa tête, chrysalide d'arrière-pensées biologiques… ». Après transformation, l'idée « d'arrière-pensées biologiques » peut nous conforter dans notre idée et dans nos affirmations précédentes. Pour finir ce commentaire composé et pour appuyer une fois de plus nos arguments nous allons nous plonger sur la notion « d’autoérotisme ». Le 19 juillet 1938 à Londres, Dalí rencontre une personne qu'il admire considérablement : Sigmund Freud. Le peintre apportera sa toile Les métamorphose de Narcisse, premier tableau issus de son tableau de la « paranoïa-critique » - mais celle-ci ne retiendra pas spécialement l'attention du père de la psychanalyse. Dans cette peinture, Dalí met avant tout l'accent sur le drame humain de l'amour, de la mort et de la transformation, le tout renvoyant au terme utilisé en psychanalyse comme étant le « narcissisme ». Dans son introduction à la psychanalyse, Freud définit ce terme comme « le déplacement de la libido de l'individu sur son propre corps, vers le « moi » du sujet », le « moi » étant le sujet et l'objet du désir. Il ajoute plus loin « [...] une satisfaction ayant pour source le corps même du sujet, et que c’est l’aptitude à l’autoérotisme qui explique le retard que met la sexualité à s’adapter au principe de réalité inculqué par l’éducation. C’est ainsi que l’autoérotisme fut l’activité sexuelle de la phase narcissique de la fixation de la libido. ». La métamorphose de Narcisse serrait-elle une représentation de l'adaptation de Narcisse à la fixation de sa libido ? La fin du poème de Dalí pourrait nous le faire penser : « Quand cette tête se fendra. Quand cette tête se craquellera, ce sera la fleur, le nouveau Narcisse, Gala – mon Narcisse », contrairement à la version d'Ovide, la mort de Narcisse prend des tournures de renaissance : « nouveau Narcisse », ceci pourrait nous faire penser que cette métamorphose n'est pas mort mais transition. Cette dernière phrase ne peut que conclure nos idées, « Gala – Mon Narcisse », Gala était la femme de Salvador Dalí, elle est désormais « son Narcisse », ce qui veut bien dire que Dalí a subit la même transformation que Narcisse, l'autoérotisme n'est plus, sa libido est fixée. En conclusion nous pouvons dire que l’œuvre de Dalí s'inspire presque intégralement de la psychanalyse et plus particulièrement de la théorie de Freud sur la théorie de la libido et du narcissisme. Même si certains faits liés au texte d'Ovide y sont insérés (Écho, l'eau…), cette représentation a pourtant un lien avec la propre libido de Dalí - il citera notamment son épouse Gala à la fin du poème. Cette œuvre n'est donc pas seulement une représentation du mythe mais plutôt d'une interprétation que Dalí en a faite et qu'il a ensuite mise en relation avec son propre inconscient.

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