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La neutralité irlandaise

Publié le 22/02/2012

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1er septembre 1939 -   Quand l'Allemagne envahit la Pologne le 1 septembre 1939, les deux Assemblées de l'Etat libre d'Irlande, le Dail et le Sénat, furent immédiatement réunies. La décision de rester en dehors du conflit fut prise à l'unanimité. Le gouvernement dirigé par Eamon De Valera reçut les pleins pouvoirs pour appliquer une politique de neutralité.    Le traité qui mit fin à la guerre anglo-irlandaise en 1921 conservait à l'Angleterre l'usage militaire de plusieurs bases maritimes. Le 25 avril 1938, un nouvel accord rendit les ports à l'Eire. Le retour de ces bases à l'autorité irlandaise fut considéré comme une victoire importante de la politique de De Valera. L'indépendance devenait une réalité, et la neutralité devenait possible.    La neutralité irlandaise reste au centre d'un débat dont les critères ne sont pas uniquement historiques, mais aussi politiques et moraux.    Deux grandes raisons maintiennent la neutralité au rang de souvenir " actif ". Premièrement, pour les Alliés, l'Irlande était l'une des îles britanniques, et sa place " naturelle " était à leurs côtés. Ni Churchill ni Roosevelt ne pardonnèrent à De Valera de les avoir " trahis ". Deuxièmement, la guerre aggrava la partition du pays, divisé entre ceux qui officiellement se battaient en Irlande du Nord, " fidèle sentinelle ", selon l'expression de Churchill, et les fuyards du Sud. La guerre rassemble un peuple absolument, et le divise non moins absolument.    La pression de l'Angleterre fut donc énorme, et pas seulement morale. Elle disposait de moyens économiques et militaires.    Elle voulait récupérer le droit d'utiliser les ports récemment abandonnés, considérés comme vitaux pour la défense des routes maritimes de la Grande-Bretagne. Churchill envisagea même très sérieusement l'invasion de l'Irlande dans ce but. La petite armée irlandaise fut réorganisée, mais n'offrait qu'un piètre rempart contre une invasion éventuelle. La seule résistance possible était une résistance morale et un jeu diplomatique subtil où il fallait montrer aux grandes puissances engagées dans une bataille à mort qu'une Irlande alliée ne leur apporterait rien, qu'une Irlande ennemie serait un grave danger, et que finalement le statu quo était leur intérêt bien compris.    L'Irlande laissa pourtant s'enrôler près de soixante mille hommes dans l'armée britannique, sans compter les dizaines de milliers de salariés, hommes et femmes, qui allèrent travailler de l'autre côté de la mer d'Irlande dans les usines d'armement.    Les aviateurs alliés abattus sur sol irlandais étaient raccompagnés à la frontière d'Irlande du Nord. Mais De Valera maintint une défense sourcilleuse de la neutralité, en protestant par exemple contre le projet finalement abandonné de mobilisation en Irlande du Nord, malgré la demande pressante de l'unioniste Craig, premier ministre d'Irlande du Nord.    L'Eglise catholique manifestait une sympathie officielle pour l'Etat corporatiste, italien ou français, et la France de Pétain suscitait des commentaires favorables. Pour les évêques irlandais, aussi tard qu'en décembre 1943, la guerre n'était pas un affrontement entre l'ombre et la lumière, ni entre démocratie et dictature, elle était un conflit entre deux impérialismes rivaux.    La raison officielle de la neutralité était la partition.    Comment l'Irlande pouvait-elle se battre aux côtés du pays qui l'avait dépecée ? Quand on fit miroiter à De Valera que peut-être, en échange d'un engagement militaire, on pourrait penser à la réunification, Craig, au nom des protestants du Nord, se rappela au bon souvenir de Churchill pour lui indiquer que, si l'Irlande du Nord était très attachée à la victoire alliée, elle l'était encore plus au maintien de son lien organique avec l'Empire et qu'il y aurait beaucoup plus de soldats pour se battre pour le second objectif que pour le premier. MAURICE GOLDRING Le Monde du 23 avril 1990

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