Devoir de Philosophie

La Nuit De Moscou - Aragon

Publié le 24/09/2010

Extrait du document

aragon

 

LA NUIT DE MOSCOU

 

Introduction

I – Désillusions politiques

a) un poète engagé

b) le désenchantement

* souffrance physique et morale

* rêve et utopie

* passé et avenir

* égarement, doute

II – Une nouvelle forme d’autobiographie : un poème lyrique

a) un poème lyrique

* une situation d’énonciation

* un chant lyrique

b) une autobiographie

Conclusion

 

INTRODUCTION

 

« Aragon fait ce qu’il veut de sa langue, de son esprit, de sa sensibilité «, écrit René Etiemble, en 1966, dans la Préface du Roman Inachevé. En effet, né à l’aube du XXème siècle en 1897, Aragon a mêlé, tout au long de son œuvre, divers genres littéraires au service de diverses opinions. 

Il est vrai qu’il se tourna rapidement vers le surréalisme, mouvement qu’il crée avec André Breton. Toutefois son engagement fervent à partir de 1927 dans les rangs du Parti communiste, conforté par la rencontre de sa femme Elsa Triolet, l’éloigne du groupe. 

Il porte alors son écriture vers le « monde réel « à travers un grand cycle romanesque, mais continue tout de même à rester un poète à part entière ; sa poésie sera mise au service de la Résistance sous la seconde guerre mondiale, mais il la place sous le patronage de Hugo, ne rompant pas avec le lyrisme traditionnel, mais variant souvent classique et modernité. 

C’est en effet, ce que l’on retrouve dans le Roman Inachevé, comme le dit à nouveau René Etiemble : « Ce fut la surprise du Roman Inachevé ; un curieux mélange de prose, de vers libres, de vers traditionnels, de vers nouveaux mais versifiés «. Cette œuvre, publiée en 1956, apparut comme la réponse d’Aragon dans la tempête de la désillusion politique, elle introduit à la « troisième période « de la création aragonienne, tant dans son ambition que dans son souci d’explication de soi. 

On a ici un extrait de « La Nuit de Moscou «, avant dernier poème du recueil où Aragon évoque son désenchantement face à la situation politique qui règne en URSS autour du communisme (cf. titre : Moscou) à travers un poème lyrique qui s’avère être une nouvelle forme d’autobiographie.

 

I- DESILLUSIONS POLITIQUES

 

a) un poète engagé

 

En 1919, il participe à la revue littérature de Breton et Soupault. 

En 1927, il adhère au parti communisme avec Breton, signe d’un premier pas vers un engagement profond. 

Il fait la connaissance d’Elsa Triolet, auteur russe, l’année d’après, laquelle le poussera à se mettre au service de la Révolution, renforcera son orientation esthétique vers le réalisme et contribuera à l’éloigner de Breton. 

Ils séjourneront à plusieurs reprises ensemble en URSS au cours des années 30, ce qui inspirera à Aragon de nombreux écrits, car il apprendra là-bas à connaître le pays, la langue et la littérature russe. 

On peut citer Les communistes (1949 -1951), dernier roman du cycle « le Monde Réel «, dans lequel il prône la gloire du pouvoir soviétique.

Son engagement le poussera à écrire pour Combat et l’Humanité, célèbre journaux connus pour leur couleur politique : le communisme. 

Il deviendra, en 1954, membre du comité central du Parti communiste, même si certains doutes apparaissent sur le stalinisme, qui d’ailleurs sera dénoncé par le rapport Kroutchev,  présenté en 1956, lors du XXème congrès du PCUS. 

Il sera, dès lors, en proie à un dilemme entre se ranger du côté des détracteurs de Staline, ou glorifier ses actions.

Il y a une part d’indicible dans le Roman Inachevé et, plus particulièrement, dans « la Nuit de Moscou «, puisque Aragon ne dit rien explicitement, l’aveu n’est jamais formulé. 

En effet, le poète se contredit dans la mesure où il dit son déchirement politique, alors que l’homme public reste solidaire au parti communiste et à l’URSS.

 

b) le désenchantement

 

Aragon ne met pas ici en cause le communisme ou le stalinisme, mais seulement l’horizon de sa foi.

En effet le poète exprime sa vision personnelle, son désenchantement.

 

* souffrance physique et morale

 

Aragon, par le biais de son poème, exprime sa souffrance morale : on a un réseau sémantique de cette souffrance aux vers 15 « deuil «, 47 « blessures «, et 41 « brûlure «.

Il retranscrit cette souffrance morale dans le poème tant sur le plan physique que psychologique.

 

* rêve et utopie

 

Cette souffrance morale est due à la réalisation improbable d’une utopie qu’il s’était crée : le champ lexical du rêve le montre au vers 1 : « j’ai tant rêvé «, v.15 « tous songes «, v.26 « chimères «, v.30 « tant pis pour les rêveurs, tant pis pour l’utopie «, v.14 « imagine «.

On se rend compte par l’intensité de la métaphore du vers 25 « j’attendais un bonheur aussi grand que la mer «, de tous les espoirs qu’il avait placé dans cet avenir.

Par l’allégorie de la réalité au vers 28 « mais la réalité l’entend d’une autre oreille «, il met en avant l’aspect réel sur l’aspect utopique. 

Quelques métonymies (v.13 « la rétine «, v.19 « doigts «, v.3 « mains «) confèrent au rêve du poète un aspect plus réel.

 

* passé et avenir

 

En opposant réalité et utopie, Aragon contraste de la même façon passé et avenir. On peut le voir grâce aux champs lexicaux au vers 1 « marchant de l’avenir «, v.11 « ombre de mon passé «, v.14 « ce qui  vient «, v.15 « aujourd’hui «, v.20 « demain «.

De la même façon que pour l’allégorie de la réalité, il met en avant avec l’allégorie de l’avenir, aux vers 4-5 « il chantait avec moi les mêmes chansons folles, je sentais son l’haleine « le côté concret de l’avenir : un avenir qui ne lui convient pas.

 

Ainsi il emploie de nombreux temps en fonction de ce qu’il ressent. 

Il utilise l’imparfait (v.12 « échappait «, v.25 « attendait «) et le passé simple (v.17 « se perdirent «) pour le temps déjà écoulé, ce qui correspond donc à ses espérances.

Il utilise le futur, en opposition à ce passé, (v.20 « que devant ce qui fut demain dira : qu’est-ce «), avec apparition du présent juste après la métaphore au vers 19 « l’histoire entre nos doigts file à telle vitesse « qui évoque l’angoisse de la fuite du temps.

Cette fuite du temps, d’ailleurs, le tourmente et le fait douter de ce qu’il  pense au moment présent.

De plus, on pourrait penser qu’il y a deux hommes dans ce poème : l’un jeune, plein d’illusion, l’autre, plus mûr, qui porte un regard nostalgique sur ce jeune homme qu’il était et qui incarne son passé.

 

* égarement, doute

 

En effet, comme on peut le voir avec le champ lexical de l’égarement, (v.8 « égarée «, v.9, 17, 46 « perdre «, v.14 « confondu «, v.43 « trompé «, v.44 « doute «) le poète accorde de l’importance au doute et à la perte auquel il est en proie. 

Il insiste d’ailleurs sur le côté répétitif et indéfini de cet égarement par l’anaphore aux vers 7-10 « tant de fois « repris ensuite au v.43 « cent mille fois «, qui reprend la même idée. 

Cet égarement se traduit par un long cheminement tout au long du poème, ce qui donne l’impression que le poète marche pour faire le bilan de sa vie. En effet le poète se remet en question, c’est une sorte de mise à mort, l’aveu des erreurs passées. 

On a d’ailleurs deux occurrences du terme « chemin « v.9, 45 et v.11 « pereoulok «. Ce cheminement est balisé de souvenirs, mais des souvenirs dépassés comme le signale le vers10 « fantômes en loques «, qui contribuent, néanmoins, à sa perte. L’homme est comme enfermé dans un labyrinthe, et en cherche désespérément la sortie.

Mais on se rend compte, par la métaphore filée des vers 23-24 « nous avons appelé notre cage l’espace, mais déjà ses barreaux ne nous contiennent plus «, que le poète s’était rattaché auparavant à de fausses illusions ; il croyait avoir de réels appuis, mais aujourd’hui il prend conscience de la situation et se sent perdu sans soutient autour de lui, il est dans un monde qui ne peut l’aider et le laisse seul fasse à ses sentiments. 

En effet, le poète est perdu dans ses sentiments et d’ailleurs de nombreuses oppositions  sont là pour le souligner : on a le champ lexical de l’obscurité (v.7, 48, 49 « nuit «, v.1 « ombre «, v.51 « noir «, « obscurité «) auquel s’ajoute celui de la clarté (v. 16) contrecarré par l’obscurité, qui est le symbole de la réalité.

Cette dimension est ponctuée par les termes « flamme « au vers 38, v.18 « feu «, v.26, 50 « aube «, v.50  « blanchir «, v.54 « soleil «, v.53 « astres «. 

L’abondance des champs lexicaux de l’obscurité et de la clarté marque le fait qu’Aragon place tous ses espoirs dans un avenir utopique, lequel est représentée par le champ lexical de la clarté mais est contrecarré et la clarté atteint son paroxysme par l’oxymore situé au tout dernier vers du poème « je porte le soleil dans mon obscurité «. 

Cependant le poète renforce le flou et on peut se demander s’il n’a pas à la fin un éclair de lucidité, qui par la métaphore des yeux crevés au vers 53 «auriez-vous crevé les yeux de tous les astres « ne renvoie pas à l’aveuglement du sujet mais à la dévalorisation des icônes.

 

On voit que le poète à honte d’avoir cru en quelque chose qui a déchu, accentué par l’anaphore vers 34, 37, 38, 42 « on sourira de nous «. Il ne veut pas qu’on se souvienne de lui comme un homme qui a prédit la grandeur d’un parti, le parti communiste, d’où la comparaison vers 34 « on sourira de nous comme de faux prophètes «.

 

II- UNE NOUVELLE FORME D’AUTOBIOGRAPHIE : UN POEME LYRIQUE

 

a) un poème lyrique

 

* une situation d’énonciation

 

Les marques de la présence du locuteur, en l’occurrence, Aragon :

Le poème est écrit à la 1ère personne du singulier : v.1 « j’ai tant rêvé «, v.54 « je porte «.

Ce « je « lui permet d’exprimer ses sentiments.

Les marques de la présence du destinataire : 

Il n’y a pas de destinataire explicite, les seules marques que l’on a sont le « nous « v.19 « nos doigts «, v.34 « on sourira de nous «, mais le poète par ce pronom personnel s’intègre à part entière.

Les vers de ce poème sont en majorité constitués de rimes féminines, ce qui pourrait nous faire penser à la présence d «une éventuelle interlocutrice. On peut également supposer que cette figure féminine est incarnée par Elsa Triolet, la femme d’Aragon, puisque « La prose du bonheur et Elsa «, dans lequel il est question de cette dernière, suit ce poème et reprend les thèmes principaux de « La nuit de Moscou «.

 

* un chant lyrique

 

On a un retour à une forme traditionnelle en vers rimés. Aragon a d’ailleurs défendu, dans la préface du recueil Les Yeux d’Elsa  en 1942, le vers français dans lequel il voit non une tradition morte et scolaire, mais « le sanglot organique dont chaque poète français est l’héritier «.

On a en effet une régularité des sizains d’alexandrins (vers couramment utilisé au XVIIIe et XIXe siècles), qui sont d’ailleurs des alexandrins classiques (6/6), on a une succession constante de rimes plates entrecoupées de deux rimes embrassées.

 

Musicalité du poème :

On  a de nombreux effets de refrains par la multitudes d’anaphores : v.1, v7 « ici « ; v.8-10 « tant de fois « ; v.34, 37, 38, 42 « on sourira de nous « ; v.30 « tant pis « et par les échos v.4 « chantais/chanson «, v.41 « brûlée/brûlure «.

L’absence de ponctuation est audacieuse et renouvelle la tradition. Ainsi, les vers portent le rythme du poème.

Aragon joue sur les sonorités notamment par de nombreuses allitérations en [r] v.1, et assonances [i] v.49-50 et des « chiasmes sonores « v.44-45 « vous chantez les vertus / vous vantez les chemins «, qui aussi de leur côté créent un certain rythme.

En effet la musique porte la mémoire du sujet et relance son interrogation.

De même qu'il renoue avec la tradition lyrique, Aragon crée un mythe nouveau à partir d'images neuves, propres au surréalisme

 

b) une autobiographie

 

Cependant, le « je « lyrique que l’on a ici peut apparaître comme un « je « autobiographique, car Aragon entreprend de nous exposer sa pensée, ses sentiments, sa vie et son histoire.

La remémoration du passé et la quête de l’identité sont des topos de l’autobiographie, que nous retrouvons ici, dans ce poème « la Nuit de Moscou «.

Dans ce recueil, l’identité du sujet est d’ailleurs remise en relation avec ce qu’il a vécu lors de son enfance puisque l’on sait que la mère d’Aragon a été présenté comme sa sœur et a eu une aventure avec le père d’Aragon, qui était un homme marié et qui, donc, de ce fait, fut considéré comme son parrain et sa grand-mère comme sa mère. 

Il assimile donc l’écriture à une quête de soi.

En effet, ici, il utilise cet écrit comme sorte d’exutoire à son mal-être, puisqu’il nous fait part de ses sentiments face aux désillusions qu’il ressent au début des années 50.

 

Aragon innove ainsi dans la mesure où il crée une biographie en vers ce qui est assez surprenant pour une autobiographie qui, de plus, est présentée, dès le titre de l’œuvre, comme une œuvre romanesque. C’est ici qu’Aragon crée une certaine habileté sur le sens du mot « roman « car à l’origine le « roman « était un livre pesant la garantie d’une trame, d’une unité et non un livre destiné à un public qui affectionne la prose.

 

CONCLUSION

 

Ce poème autobiographique, écrit à la première personne du singulier, renouvelle le genre puisque l’Histoire, en général, est décrite de façon personnelle, à travers les sensations, les souffrances et les rêves de l’homme qui les a vécus. 

Cette nouvelle forme autobiographique se compose de fragments dont le souvenir présent, nous l’avons vu, recompose une histoire plus personnelle, un roman en quelque sorte, d’où le titre du recueil.

Les deniers vers de « La nuit de Moscou «, qui sont également ceux de la fin du Roman inachevé, sont significatifs puisque Aragon y retrouve l’idéologie des Yeux et la Mémoire, écrit en 1954,  mais aussi ses cadences et ses rimes.

Le Roman inachevé peut donc être considéré comme une suite des Yeux et la Mémoire dans la mesure où il reprend la forme poétique, comme nous venons de le dire, mais approfondit aussi la forme autobiographique.

Le Roman inachevé a de multiples facettes dont la trace du christianisme (l’espoir comme devoir qui est souligné par l’allusion au Messie, à la crucifixion et au coq qui a chanté trois fois pour St Pierre), l’idéologie communiste et la mission du poète double (romantique et communiste) qui se combinent pour mettre en scène l’ineffable et donner à Aragon le statut de celui qui rend la parole, celui qui met un mot sur chaque chose.

On peut ainsi considérer qu’avec le Roman inachevé, la poésie d’Aragon de l’après guerre atteint son apogée.

 

Liens utiles