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Le roman de Renart

Publié le 15/03/2012

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Après l'épisode de son jugement, Renart a regagné sa demeure, Maupertuis, ainsi que sa famille. Il s'y fait dorloter et retrouve la santé, mais c'est sans compter la vengeance du roi qui l'assiège avec toute la cour dans la branche I a Le siège de Maupertuis. Après avoir subit plusieurs mois d'assaut, Renart, le « trompeur universel », décide de se jouer à nouveau de ses congénères en les attachant pendant leur sommeil et en abusant sexuellement de la reine, dans cet extrait allant du vers 1765 au vers 1832. Cette aventure s'effectue en plusieurs mouvements : d'abord, le piège que tend Renart en attachant la cour, puis, son « entrevue » avec la reine, ensuite, le réveil des barons et enfin la capture de Renart. On parle de « renardie » lorsque l'on fait référence au comportement rusé et trompeur de Renart et à son art du langage, mais ne peut-on pas considérer que la « renardie » est aussi propre aux auteurs du roman de Renart? Dans cet extrait, nous verrons en premier lieu une critique de la société féodale, de la cour du roi. Elle est mise en avant par la mise en scène du mauvais tour du rouquin inspirée par les fabliaux du Moyen-Age. Cependant, dans cet extrait, nous pourrons aussi observer que Renart déroge aux règles de son comportement habituel.

 

 

Les congénères de Renart sont montrés tels des imbéciles naïfs et ils se font à nouveaux dupés par lui. En plein siège de Maupertuis, « Chascuns se jut soürement », et personne ne surveille les alentours et ainsi, ils laissent le champ libre au mauvais tour de Renart. L'auteur tente malgré tout de justifier leur bêtise par la fatigue due aux assauts et avec la répétition de l'adjectif « molt » :

« Un soir furent molt travellié

Et d'asaillir molt anuié,

Chascuns se jut soürement

En sa loge molt longement. »

De nouveau, il insiste sur l'opposition entre le fait que les barons ne soupçonnent pas ce qui les attend et le tour que leur fait Renart :

« Renart […] Vit les dormir soürement,

Chascun gisoit dessoz un cesne,

ou fou, ou tremble, ou charme, ou fresne. »

Il y a ici une accumulation des noms d'arbre qui montre tous les éléments foisonnant autour de Renart qui lui permettent d'agir comme si c'était lui qui aurait été stupide de ne pas commettre cet acte. L'auteur se choisit un bouc émissaire en la personne de Tardif le limaçon. Il fait de lui un pseudo héros puisque c'est ce dernier qui capture Renart. Mais à quel prix le devient-il? Il aura fallu qu'il libère d'abord les autres et non sans mal. Ces derniers sont aussi ridiculisés dans leurs veines tentatives de se libérer de leurs liens, comique de situation accentué par la répétition de « sache et tire » et l'anaphore « Par pou », ils sont tous incapables de se libérer eux-même:

« Mis dire Nobles en piez saut,

Et sache et tire : ne li vaut

Par pou la coue n'a ronpue »

« Et li autre sachent et tient,

Par pou li cul ne lor descirent. »

Ici, anaphore prémonitoire et ironique: ils n'ont pas osé trop tirer sur leurs liens de peur de s'arracher la queue ou l'arrière train, mais Tardif le fera pour eux par excès de zèle :

« Cil cort les autres desloier,

Tret l'espee, si les desnoe,

A chascun coupe ou pié ou coue :

Del desloier s'est si hastez

Qu'asés i ot des escoëz. »

Et à l'auteur d'ajouter cette touche satirique pour se moquer du limaçon qui se voit déjà chevalier : «  Molt se contient bien conme sire. »

Le Roman de Renart est ainsi une satire des autorités. La cour est tout d’abord visée. C'est une satire de la société du Moyen Âge avec un éloge de la ruse contre la force. La société où Renart accomplit ses exploits est calquée sur la société féodale, avec le roi, Noble le lion et les barons avides et brutaux. Autour du roi, les courtisans cruels, hypocrites ou parvenus sont légion.

Le Roman de Renart a plusieurs inspirations comme celles de la chanson de geste, le roman, tels ceux relatant les histoires du roi Arthur, les aventures chevaleresques donc, mais aussi les fables, les bestiaires, et dans le cas présent les fabliaux. Genre littéraire surtout du XIIIème siècle, il prend naissance aux alentours de 1160 avec des auteurs comme Bodel, Rutebeuf ou Jean de Condé. Ce sont des textes courts à morale, mettant en scène des gens du peuple. Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont leurs similitudes avec cet épisode des aventures de Renart. On y retrouve le jeu du témoignage, comme si l'auteur avait vu de ses propres yeux ce qu'il nous raconte, et qui participe au comique de situation, avec les interventions de ce dernier : « Molt par a fait grant dïablie », « Or poëz oïr grant merveille ». On remarque l'obscénité, propre aux fabliaux, lorsque Renart se glisse dans la couche de la reine : « La ou ele gisoit sovine; Entre les janbes li entra. » Et celui qui est habituellement le trompeur/trompé dans les fabliaux sera ici le tompeur/attrappé puisque à la fin de cet extrait Tardif le limaçon, simple porteur de l'étendard royal, saisit Renart et le ramène au roi.

Le fait étonnant dans cet extrait, est que Renart ne fait pas appelle à son art habituel, celui du langage, pour tromper son adversaire. Le seul discours est celui des barons à leur réveil criant: « Levez, levez, Et cel privé laron pernez! » Tout se passe dans un silence plutôt inhabituel à l'exception de « grant bruit » lorsqu'ils vont réveiller le roi et des cris de la reine. Renart agit donc en douce, sans bruit, sans discours, sans mensonge. Fait contraire à son habitude. Qui plus est, Renart se fait attraper par le limaçon, porteur de l'étendard, être inférieur donc, qu'il avait oublié d'attacher. Or, là non plus, il n'est pas dans les habitudes du rouquin de se faire capturer. Renart était depuis environ six mois enfermé dans son château, et bien qu'il riait du roi et de la cour, il ne put s'empêcher de sortir pour leur jouer un mauvais tour. Quitte à se faire attraper. D'autant plus qu'il ne lésine pas sur les moyens : il ridiculise la cour, le roi, et va jusqu'à abuser de la reine. Renart tente le diable jusqu'au plus haut point. Et bien qu'il se fasse attraper, il réussit ensuite à s'échapper. Il se sort toujours des mauvaises situations même les plus risquées. Non seulement, l'auteur nous met face à une cour vue comme ridicule, mais aussi à un goupil plus que kamikaze, et c'est un véritable virtuose de la fraude.

Dans ce recueil de plusieurs aventures du goupil et de la cour du roi Noble le lion, cet ensemble comique, satirique, héritage régulièrement parodié des genres littéraires du Moyen Age, il est clair que Renart est un être insaisissable. Il ment, il fuit, il trompe, il s'échappe, il fascine. Il a aussi et surtout une fonction critique car il rend visible le vice et le mal chez ses congénères. Les auteurs du Romans de Renart se servent de l'allégorie qu'ils ont créer pour eux aussi critiquer, et eux aussi sont insaisissables. La quasi totalité de ces auteurs est anonyme, les branches n'ont pas été écrites chronologiquement, ni d'une seule traite, et chacun y ajoute sa touche. Ils inventent des histoire, en se servant des éléments qui les entourent et ils réussissent toujours à sortir Renart de toutes les situations. Alors, s'ils ne sont pas eux même Renart, il est assuré qu'ils ont en eux une grande part de « renardie ».

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