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Le Théâtre - Une Bonne Tribune Pour Défendre Les Idées ?

Publié le 30/09/2010

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Le théâtre apparaît tout d’abord sous forme de tragédies joués en Grèce antique, pendant les fêtes organisées en l’honneur du dieu Dionysos. Depuis, le théâtre a acquis de plus en plus d’importance dans la littérature pour devenir un outil aussi important que le roman, l’essai ou la poésie dans la défense des idées. Mais un dramaturge peut-il se fier complètement à une pièce de théâtre pour transmettre ses opinions à son public? Après avoir vu en quoi le théâtre constitue une bonne tribune pour défendre les idées, nous en verrons les risques avant de récapituler en examinant les fonctions principales du théâtre. 

 

Dans cette première partie, nous verrons en quoi un dramaturge peut espérer faire passer ses messages par le biais du théâtre. Nous nous attaquerons d’abord à l’accessibilité de celui-ci, ensuite au processus d’identification avec les personnages qui se fait quand on assiste à une pièce, et finalement à la puissance du dialogue, omniprésent au théâtre. 

Le théâtre a l’avantage d’être facilement accessible à tous, surtout lorsqu’il est représenté sur scène. En effet, alors que nombre de personnes peuvent être découragés à l’idée de lire un roman épais, personne ne rechigne à aller voir, par exemple, une comédie de Molière, celle-ci étant considérée comme un moyen de divertissement agréable. Ainsi, au XVIIème siècle, même les paysans peu éduqués et souvent analphabètes pouvaient assister à l’Amour médecin, au Médecin malgré lui ou au Malade imaginaire avec l’espoir d’être diverti et amené à rire. Or Molière utilisant ces pièces notamment pour critiquer violemment les médecins de l’époque, on ne peut douter que ces critiques aient eu sur les spectateurs l’effet de ridiculiser la médecine à leurs yeux. Ainsi la pièce, en plus d’avoir diverti, a apporté à son spectateur une idée qu’il n’avait pas avant de l’avoir vue, on pourrait dire qu’elle a doublement réussi dans sa tache. Cette réussite peut souvent être l’œuvre d’une bonne caractérisation d’un personnage, qui aura aidé le public à s’identifier avec lui. 

En effet, le théâtre a la propriété, plus qu’aucune autre forme de littérature, de faire s’identifier le spectateur avec les personnages de la pièce. Il peut ainsi mieux comprendre et sympathiser avec les membres de la société que les personnages représentent. C’est ainsi, que dans sa pièce engagée Les Justes, Albert Camus encourage le spectateur à éprouver de la compassion pour le sort de révolutionnaires russes violents, qu’autrement il aurait sans doute condamné pour leur utilisation de la violence à l’encontre des citoyens. Ainsi, en cherchant à rendre les personnages identifiables pour tout le monde, le dramaturge parvient à faire subtilement changer d’opinion son spectateur, qui risque de ne pas s’en apercevoir lui-même. 

Le théâtre a également l’avantage d’inclure beaucoup de dialogue. Celui-ci est parfois l’occasion pour le dramaturge de faire passer ses mots à travers l’intermédiaire d’un personnage.  En effet, on en verra souvent un dans une pièce expliquer une idée ou une opinion à un autre personnage, ce qui permet au public de comprendre en même temps. Des intermèdes de théâtre didactique existent dans la plupart des pièces que nous connaissons, mais le spécialiste de ce genre est sans nul doute Bertold Brecht. Auteur aux idées communistes, il fait dans son La Mère, une pièce à vocation presque purement instructive, la critique spirituelle de la société capitaliste dans laquelle il vit. Ceci est très susceptible, sinon de transformer les croyances du spectateur, au moins de provoquer chez lui la réflexion qui pourrait mener à l’atténuation des ses opinions, ce qui est sans nul doute ce que recherche ces auteurs.

 

Ayant vu en quoi le théâtre constitue une tribune importante pour l’exposition et la défense des idées, nous allons maintenant nous attarder sur les risques liés à cette utilisation du théâtre comme occasion de transmettre ses opinions. Tout d’abord, nous rappellerons que le théâtre n’est avant tout qu’une forme de divertissement, ensuite nous verrons que les pièces trop critiques courent le danger d’être censurées et enfin qu’elles risquent d’être mal comprises par le public.

Ce qui peut jouer en faveur du théâtre tribune peut cependant aussi jouer en sa défaveur. Ainsi la fonction distrayante d’une pièce, aussi bien que d’attirer un public considérable, peut également complètement détourner le spectateur de la réflexion. C’est ainsi qu’en allant voir Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, le spectateur pourrait être tellement enchanté et amené à rire qu’il en oublie le thème plus profond de la pièce, en l’occurrence le bouleversement de l’ordre social du XVIIIème siècle amené par les hypothétiques unions entre maître et serviteur. Bien sûr, ces unions n’ont finalement pas lieu, mais elles sont tout de même destinées à mettre le doute dans les cerveaux de l’époque; et peut-être même à quelque peu provoquer les autorités. 

Ce qui nous amène à un autre danger que court une pièce de théâtre lorsqu’elle est utilisée comme tribune pour exprimer les opinions de l’auteur: la censure. Très présente jadis, elle l’est moins aujourd’hui, mais elle existe toujours, dans une forme spécialisée: l’interdiction de publier toute œuvre à caractère diffamatoire ou injurieux. Ceci étant, nous allons ici nous intéresser à une autre œuvre du XVIIIème siècle, puisqu’il s’agit du Mariage de Figaro, de Beaumarchais. Cette pièce est sans doute un des meilleurs exemples de la répression au théâtre, puisque Beaumarchais, avant de la voir créer, a dû affronter successivement six censeurs, atténuer quelques audaces, vaincre l’opposition royale en mobilisant les milieux éclairés de la cour et se livrer à une campagne active de lectures privées, le reproche principal des autorités envers la version originale de la pièce étant qu’elle les critiquait assez ouvertement. Les dramaturges doivent (ou devaient) donc tempérer le jugement qu’ils portent pour qu’il ne soit pas trop évident à la censure. 

Malheureusement, si les idées sont trop subtilement proposées par l’auteur, celui-ci court le risque d’être mal compris par le spectateur. En particulier avec l’utilisation de l’ironie, le dramaturge doit faire attention à ne pas trop déguiser son message, pour ne pas créer de malentendu avec le spectateur. Ainsi, dans la scène d’exposition du Tartuffe de Molière, bon nombre de spectateurs pourraient ne pas relever l’ironie dont Molière use pour critiquer Madame Pernelle. Ce manque de compréhension pourrait porter sérieusement atteinte à l’intérêt de ses interventions, d’où le besoin pour l’auteur de ne pas être excessivement subtil. Ce danger, qui était très présent au temps de la censure, est cependant de nos jours d’une moindre importance. 

 

Maintenant que nous avons passé en revue les aptitudes du théâtre à être utilisé comme tribune où défendre les idées ainsi que les risques que cette utilisation comporte, nous pouvons récapituler en analysons les fonctions principales du théâtre, à savoir l’instruction dont nous bénéficions en assistant à une pièce, le divertissement que celle-ci est sensée nous apporter, ainsi que la critique qu’elle peut fournir. 

Une des fonctions principales du théâtre est d’instruire le spectateur. En particulier, au Moyen-Age, le théâtre était religieux et servait de moyen d’éducation. Le théâtre instruit également lorsqu’il porte une morale. L’exemple de Rutebeuf, clerc et jongleur du XIIIème siècle, et de son Miracle de Théophile, s’impose évidemment ici. Ces miracles sont tirés de la vie de la Vierge et de celle de St. Théophile d’Adana, d’où sa fonction instructive. De nombreuses petites pièces comme celle-là, jouées en toute informalité, souvent commandées par le clergé, instruisaient les gens du peuple tout en les divertissant.

En effet, l’autre rôle principal du théâtre, c’est de divertir. N’oublions pas, en effet, que le théâtre, à l’origine, en Grèce, était joué lors des Dionysies, tradition perpétuée à Rome. La commedia dell’arte confirme qu’une pièce de théâtre se doit de divertir son spectateur. Au Moyen-Age, avec la Farce du Maître Patelin (XVème siècle), on aurait pu penser que le théâtre se résume en réalité à ce rôle de distraire, et ici, de faire rire. Cependant, d’autres fonctions vont peu à peu se matérialiser.

L’une d’elle, la critique de la société, est présente dès le XVIIème  siècle et le Classicisme. En effet, on n’oubliera pas cette phrase de Molière, ‘castigat ridendo mores.’ Ce principe, il l’utilise lui-même très souvent, comme on voit dans la plupart de ses pièces, qui ont chacune leur objet de critique: souvent, il y décrit un aspect humain négatif en particulier, sinon, il se livre au rabaissement de la médecine. Ainsi, dans le Misanthrope, il nous dépeint un homme, lui-même haïssable, qui déteste l’humanité, d’une façon ironique et destinée à faire rire. Moraliste, il utilise ici un moyen sans doute très efficace pour dénoncer les défauts de notre espèce. 

 

Ayant ainsi vu que malgré son adaptabilité à être utilisé comme tribune pour la défense des idées, cette opération comporte des risques de taille, et ayant examiné les fonctions principales du théâtre, nous pouvons conclure que globalement, et surtout vu que la censure n’est plus pratiquée à très grande échelle aujourd’hui, le théâtre constitue une tribune très influente pour exposer des opinions. Cela dit, il serait intéressant de voir si d’autres formes de littérature, telles le roman, la poésie ou l’essai, ne sont pas plus efficaces pour propager plus amplement les idées qu’on défend?

 

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