Devoir de Philosophie

Les Didascalies Dans Fin De Partie (Beckett)

Publié le 10/10/2010

Extrait du document

beckett

 

Les didascalies possèdent une typographie particulière qui les rend immédiatement identifiables. Elles sont en effet imprimées en italiques. Leur énonciateur est l'auteur lui-même, qui s'adresse directement aux metteurs en scène, aux acteurs et à ses lecteurs. Le théâtre d'avant-garde leur accorde une place considérable. C'est encore plus patent chez Beckett que chez n'importe quel autre dramaturge. Quantitativement importantes, les didascalies sont essentielles à la compréhension et à la représentation du texte. L'onomastique, la plantation du décor et, ce qui peut paraître a priori surprenant, le tomber de rideau en sont les éléments fondamentaux.

 

1. Mise en scène

 

1.1: Onomastique

La première fonction des didascalies est de nommer les personnages et ainsi de répartir les rôles. Celui de Hamm joue sur plusieurs registres: en anglais ham désigne un jambon. Faut-il y voir un rapport avec le fait que le personnage possède un teint rouge et qu'il est réduit à l'immobilisme, à l'état de morceau de viande ? Hamm actor désigne également un cabotin. Or c'est bien de cette manière que se comporte Hamm lorsqu'il dit à Clov que celui-ci sert à donner la réplique. Mais Hamm peut aussi faire songer à un marteau (Hammer en anglais). Quant à Clov son nom évoque le clou. Les noms des personnages suggèrent ainsi les rapports agressifs qu'ils entretiennent. Il en va de même pour Nell et Nagg (To Nag = se plaindre) et Nagg est, des deux culs-de-jatte celui qui récrimine le plus («Il faut gueuler« répète-t-il souvent). Diminutif de Nelly, Nell peut être rapproché de nail, autre nom du clou. Quant à la mère Pegg, son nom désigne une pince à linge. Mais on peut y voir une malice de Beckett dans la mesure où Pegg est à même d'évoquer Pig, le cochon.

1.2: Décor

La deuxième fonction des didascalies est de préciser le décor. Beckett procède par des phrases nominales qui définissent à la fois l'espace scénique et l'atmosphère générale: «intérieur sans meubles/ Lumière grisâtre«. Ce vide et cette lumière crépusculaire suggèrent d'emblée une «fin de partie«. La concision de l'expression se double parfois d'un fort souci de précision. Une symétrie absolue existe entre les «murs« de droite à gauche avec leurs deux petites fenêtres et haut perchées. Cette symétrie verticale n'a toutefois pas son équivalent horizontal, puisque les poubelles sont toutes deux à gauche. Cette dernière indication est en outre volontairement lacunaire. Jusqu'à ce que Nagg soulève le couvercle de sa poubelle, le lecteur et le spectateur ignorent que ces poubelles servent de de litières à des culs-de-jatte. Les didascalies imposent ici une vision dépréciative de l'objet avant d'en donner la fonction: ces poubelles referment bien des déchets, mais ce sont des déchets humains. L'intérêt dramatique s'en trouve accru. 

1.3: Rideau

Rideau écrit en majuscule est le dernier mot de la pièce. C'en est aussi la dernière didascalie. En principe, le tomber de rideau marque à la fois la fin de la fiction, de l'intrigue, et du spectacle. Tel n'est pas ici le cas, puisqu'il n'y a pas à proprement parler de dénouement. Hamm se fige en effet dans la position qui était la sienne au début de la pièce. La fin de la pièce contient donc un possibilité de recommencement sans fin. Le mot "rideau" clôt donc le spectacle, mais il ne termine pas obligatoirement le face-à-face de Clov et de Hamm. Bien qu'il soit vêtu en voyageur, Clov reste immobile: il peut donc aussi bien partir que rester. Et s'il reste, c'est un retour au point de départ. 

 

2. Déroulement

 

2.1: Gestuelle

Les didascalies donnent des indications de jeu. certaines d'entre elles n'ont qu'une valeur générale, non impérative: Clov possède par exemple une "démarche raide et vacillante", mais c'est à l'acteur qui interprète le rôle d'évaluer le degré de la raideur et l'ampleur du vacillement. D'autres indications sont en revanche d'une rigueur toute mathématique (p.12). Certaines didascalies sont par ailleurs destinées  à produire un effet comique, comme celles indiquant que Clov braque sa lunette sur la salle ou qu'il déboutonne son pantalon. D'autres mettent un terme à une séquence en ponctuant un dialogue: Hamm soulève ainsi sa calotte pour saluer la mémoire du fou à qui il rendait visite. Tantôt, à l'inverse les didascalies précèdent l'échange de répliques ("ayant réfléchi" p.43) 

2.2: Diction

les indications relatives à la diction sont nombreuses, elles concernent le niveau sonore (bas, avec force, hurlant), le timbre de la voix (vois blanche, geignard), les changements de ton (voix de raconteur, de tailleur), les émotions (avec angoisse, élégiaque, agacé) et très fréquemment le débit de parole dans le mesure où la didascalie "un temps" impose un silence entre les répliques.

2.3: Régie

Les didascalies relatives à la régie sont beaucoup moins nombreuses. L'une d'elles concerne le bruitage (brève sonnerie du réveil en coulisse), une autre concerne l'éclairage (lumière grisâtre). Cette lumière baigne-t-elle toute la représentation ? Ou bien faut-il envisager qu'elle baisse d'intensité lorsque Clov constate qu'il fait partout "noir-clair". Il y a la une marge d'autonomie pour le metteur en scène qu'il n'a pas à propos de la diction des comédiens. On a aussi une remarque relative au bruitage quand Hamm dit que Clov marche comme "un régiment de dragon". 

 

3. Enrichissement

Jusqu'ici nous n'avons envisagé les didascalies que dans leur définition la plus étroite. Si on les comprend comme ayant une fonction de commande de la représentation. Le texte théâtral prend dès lors une nouvelle dimension.

3.1: Indications scèniques

A l'instar des didascalies, les dialogues des acteurs contient des informations sur le jeu des acteurs comme lorsque Nelle dit en substance qu'elle essayait de pleurer. Lorsque Hamm veut raser les murs et être ramené au centre, c'est dans une réplique qu'il le signifie. D'autres indications sont des commentaires de Clov que Hamm ne peut voir tandis que le spectateur en est témoin: "je suis de retour avec l'insecticide". 

3.2: Une deuxième dimension

L'ampleur des didascalies finit par modifier la nature même du texte théâtral. pendant longtemps il fut considéré comme évident qu'un texte de théâtre était avant tout destiné à être joué. On pouvait certes le lire, et même l'étudier, mais il était entendu que le lecteur devait faire l'effort de se mettre dans le peau du spectateur. Avec Beckett, ce texte théâtral se transforme, il devient un texte destiné à être lu et à être joué. Preuve en est que les didascalies sont parfois des petits portraits ne pouvant être appréciés qu'à la lecture. On peut relever un bon nombre d'adjectifs qualificatifs précis. De même que l'exclamation "quels rêves avec un s !" est à la fois compréhensible par le lecteur qui voit le pluriel et le spectateur qui entend "avec un s". L'opposition entre la lecture et l'audition disparaît. Dans le théâtre de l'absurde, les didascalies acquièrent donc leurs lettres de noblesse.

 

Liens utiles