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L'or de Blaise Cendrars

Publié le 27/02/2011

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Blaise Cendrars publie L'Or en 1925. Il s'agit d'un roman dans lequel le narrateur évoque la mythique ruée vers l'or en racontant l'histoire de Johan Suter. Le passage se situe au moment où, fermier paisible du Missouri, Suter est intrigué par ce que les gens de passage lui racontent de l'Ouest.   Ce texte se présente comme un monologue intérieur dans lequel le personnage exprime une curiosité avide. Peut-on y voir les formes classiques du roman d'aventure ?   Nous nous attacherons à préciser d'abord les formes que prend la rêverie de Suter avant d'analyser comment le texte met en œuvre une représentation mythologique de l'Ouest.

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  La rêverie du personnage suit une progression notable, que soulignent la syntaxe, l'organisation du texte et le vocabulaire.   Sur le plan syntaxique, on est d'abord frappé par la masse des interrogations. Particulièrement denses dans le dernier paragraphe, comme si la curiosité du personnage devenait insoutenable, ces questions demeurent sans vraie réponse. La seule réponse est aussi l'une des rares interventions du narrateur et elle reste liée à une interprétation subjective : \"voici la notion qu'il en a\". Nous comprenons ainsi que nous nous situons à l'intérieur d'un discours indirect libre qui permet d'en rester au point de vue du personnage, de ne pas excéder son niveau de connaissances et donc de permettre au texte de communiquer toutes les attentes ou toutes les énigmes. Le passage du \"il\" au \"je\" à la fin du texte (\"ceux qui passent chez moi\") confirme bien la nature de ce discours, mais déjà dans le début du texte certaines formes typiques du débat intérieur le laissaient apercevoir : ainsi les énumérations du premier paragraphe soulignées par l'acharnement du \"tous, tous, tous\", mais aussi les questions de plus en plus pressantes du dernier, où   Suter recule de plus en plus sa rêverie vers la question à laquelle il ne pourra pas répondre.   En outre, le texte est tout entier régi par une tension qui consiste à alterner paragraphes courts et longs. Cela consiste, pour les premiers, à laisser au mot tout son poids de mystère (\"l'Ouest\") ou à poser une question essentielle dont la réponse est différée (\"Qu'est-ce que l'Ouest ?\", \"Mais après, mais derrière ?\"). Le procédé ménage les attentes et dramatise le texte. Dans les plus longs paragraphes, la phrase, au contraire, s'enfle d'énumérations comme pour témoigner de la tension du personnage et de son envie de résoudre une énigme. Le premier paragraphe est ainsi composé d'une galerie de personnages typiques dont l'inventaire confirme pour le héros l'universalité de la ruée vers l'or ; le dernier fait s'accumuler en cascade les questions vers les plus lointains confins géographiques, jusqu'où la raison ne pourra plus répondre.   Cette progression de l'imaginaire est enfin rendue sensible par la nature du vocabulaire. Celui-ci subit en effet un glissement de la réalité à l'imaginaire : dans le premier paragraphe, les termes désignent des familiers de Suter, \"les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs\". Au fur et à mesure que la rêverie du héros se focalise sur le mystère de l'Ouest, ils sont remplacés par \"les tribus de peaux rouges\", \"les femmes qui n'ont qu'un sein\". Cette mythification est aussi sensible sur le plan géographique : d'abord localisée \"de la vallée du Mississipi jusqu'au-delà des montagnes géantes\", la curiosité de Suter gagne \"la prairie\", dont une phrase nominale dit l'immensité, puis les \"villes d'or\", ces \"pays merveilleux\" où \"les fruits sont d'or et d'argent\".   Le texte évoque donc un fourmillement de représentations qui doivent plus à l'imagination qu' au réel, et il est animé de ce mythe de l'Ouest qui est un des grands souffles qui ont soulevé l'inconscient collectif de l'homme moderne.

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