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Louis ARAGON, Les beaux quartiers

Publié le 01/02/2011

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aragon

LES BEAUX QUARTIERS

Sur l'autre rive débutent les beaux quartiers. Ouest paisible, coupé d'arbres, aux édifices bien peignés et clairs, dont les volets de fer laissent passer à leurs fentes supérieures la joie et la chaleur, la sécurité, la richesse. Oh! c'est ici que les tapis sont épais, et que de petites filles pieds nus courent dans de longues chemises de nuit parce qu'elles ne veulent pas dormir : la vie est si douce et il y aura du monde ce soir à en juger par le linge sorti, par le service de cristal sur une desserte. Les beaux quartiers... De tous côtés ils confinent à ces régions implacables du travail dont les fumées déshonorent leurs perspectives, rabattues quand le vent s'y met sur leurs demeures aux teintes fragiles. Ici sommeillent de grandes ambitions, de hautes pensées, des mélancolies pleines de grâce. Ces fenêtres plongent dans des rêveries très pures, des méditations utopiques où plane la bonté. Que d'images idylliques dans ces têtes privilégiées, dans les petits salons de panne 1 rose, où les livres décorent la vie, devant les coiffeuses éclairées de flacons, de brosses et de petits objets de métal, sur les prie-dieu des chambres, dans des grands lits pleins de rumeurs, parmi la fraîcheur des oreillers ! Dans ces parages de l'aisance on voudrait tant que tout fût pour le mieux dans le meilleur des mondes. On rêve d'oublier, on rêve d'aimer, on rêve de vivre, on rêve de dispensaires et d'oeuvres où sourit l'ange de la charité. L'existence est un opéra dans la manière ancienne, avec ses ouvertures, ses ensembles, ses grands airs et l'ivresse des violons. Les beaux quartiers!

Louis ARAGON, Les beaux quartiers, 1936.

1. Tissu d'ameublement à longs poils soyeux.

Dans un commentaire composé vous étudierez, en les jugeant, les moyens. dont s'est servi l'humour d'Aragon pour condamner, dans cette page, les quartiers bourgeois.

INDICATIONS

Le libellé même de ce commentaire écrit engage le candidat à une étude précise des moyens dont s'est servi l'humour d'Aragon dans cette page. On peut noter :

  • D'abord, l'opposition très nette entre ces « beaux quartiers « et les « régions implacables du travail « qui les bordent partout, régions décolorées et déshonorées par les fumées des usines;
  • Ensuite, l'ironie constante qui insiste sur la joie, la chaleur, la sécurité, l'élégance des personnes et des objets et la prétendue noblesse des pensées : grandes ambitions, rêveries pures, mélancolies, musiques distinguées.

Mais ce sont les sous-entendus évidents qui portent toutes les intentions satiriques de l'auteur : on rêve, on rêve, mais ce ne sont que des songes creux; la bonté n'est qu'une utopie, la charité n'est qu'une intention vaine.

 

 

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