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Mme de Staël, De l'Allemagne (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Mme de Staël, De l'Allemagne (extrait). En traduisant en français l'adjectif allemand « romantisch « et en mettant à la portée du public cultivé son acception en poésie, Madame de Staël contribue à forger l'identité du courant littéraire qui va porter ce nom et à en dégager quelques grands traits thématiques (les mouvements de l'âme en particulier). Elle fonde sa réflexion sur les liens qui unissent les goûts esthétiques des nations, leur mode de pensée et leur religion. Dans cet essai, la poésie classique -- celle des Anciens -- et la poésie « romantique « -- celle du Moyen Âge -- s'opposent du point de vue esthétique comme nous opposons désormais, en utilisant les mêmes mots, le classicisme du XVIIe siècle au romantisme qui lui a succédé. De l'Allemagne de Madame de Staël (deuxième partie, chapitre 11, « De la poésie classique et de la poésie romantique «) Le nom de romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. Si l'on n'admet pas que le paganisme et le christianisme, le nord et le midi, l'Antiquité et le Moyen Âge, la chevalerie et les institutions grecques et romaines, se sont partagé l'empire de la littérature, l'on ne parviendra jamais à juger sous un point de vue philosophique le goût antique et le goût moderne. On prend quelquefois le mot classique comme synonyme de perfection. Je m'en sers ici dans une autre acception, en considérant la poésie classique comme celle des Anciens et la poésie romantique comme celle qui tient de quelque manière aux traditions chevaleresques. Cette division se rapporte également aux deux ères du monde : celle qui a précédé l'établissement du christianisme, et celle qui l'a suivi. On a comparé aussi dans divers ouvrages allemands la poésie antique à la sculpture, et la poésie romantique à la peinture ; enfin on a caractérisé de toutes les manières la marche de l'esprit humain, passant des religions matérialistes aux religions spiritualistes, de la nature à la divinité. La nation française, la plus cultivée des nations latines, penche vers la poésie classique imitée des Grecs et des Romains. La nation anglaise, la plus illustre des nations germaniques, aime la poésie romantique et chevaleresque, et se glorifie des chefs-d'oeuvre qu'elle possède en ce genre. Je n'examinerai point ici lequel de ces deux genres de poésie mérite la préférence : il suffit de montrer que la diversité des goûts, à cet égard, dérive non seulement de causes accidentelles, mais aussi des sources primitives de l'imagination et de la pensée. Il y a dans les poèmes épiques, et dans les tragédies des Anciens, un genre de simplicité qui tient à ce que les hommes étaient identifiés à cette époque avec la nature, et croyaient dépendre du destin comme elle dépend de la nécessité. L'homme, réfléchissant peu, portait toujours l'action de son âme au-dehors ; la conscience elle-même était figurée par des objets extérieurs, et les flambeaux des Furies secouaient les remords sur la tête des coupables. L'événement était tout dans l'antiquité, le caractère tient plus de place dans les temps modernes ; et cette réflexion inquiète, qui nous dévore souvent comme le vautour de Prométhée, n'eût semblé que de la folie au milieu des rapports clairs et prononcés qui existaient dans l'état civil et social des Anciens. On ne faisait en Grèce, dans le commencement de l'art, que des statues isolées ; les groupes ont été composés plus tard. On pourrait dire de même, avec vérité, que dans tous les arts il n'y avait point de groupes ; les objets représentés se succédaient comme dans les bas-reliefs, sans combinaison, sans complication d'aucun genre. L'homme personnifiait la nature ; des nymphes habitaient les eaux, des hamadryades les forêts : mais la nature à son tour s'emparait de l'homme, et l'on eût dit qu'il ressemblait au torrent, à la foudre, au volcan, tant il agissait par une impulsion involontaire, et sans que la réflexion pût en rien altérer les motifs ni les suites de ses actions. Les Anciens avaient pour ainsi dire une âme corporelle, dont tous les mouvements étaient forts, directs et conséquents, il n'en est pas de même du coeur humain développé par le christianisme : les modernes ont puisé, dans le repentir chrétien, l'habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes. Mais, pour manifester cette existence tout intérieure, il faut qu'une grande variété dans les faits présente sous toutes les formes les nuances infinies de ce qui se passe dans l'âme. Si de nos jours les beaux-arts étaient astreints à la simplicité des Anciens, nous n'atteindrions pas à la force primitive qui les distingue, et nous perdrions les émotions intimes et multipliées dont notre âme est susceptible. La simplicité de l'art, chez les modernes, tournerait facilement à la froideur et à l'abstraction, tandis que celle des Anciens était pleine de vie. L'honneur et l'amour, la bravoure et la pitié sont les sentiments qui signalent le christianisme chevaleresque ; et ces dispositions de l'âme ne peuvent se faire voir que par les dangers, les exploits, les amours, les malheurs, l'intérêt romantique enfin, qui varie sans cesse les tableaux. Les sources des effets de l'art sont donc différentes à beaucoup d'égards dans la poésie classique et dans la poésie romantique ; dans l'une, c'est le sort qui règne ; dans l'autre, c'est la Providence ; le sort ne compte pour rien les sentiments des hommes, la Providence ne juge les actions que d'après les sentiments. Comment la poésie ne créerait-elle pas un monde d'une tout autre nature, quand il faut peindre l'oeuvre d'un destin aveugle et sourd, toujours en lutte avec les mortels, ou cet ordre intelligent auquel préside un être suprême, que notre coeur interroge et qui répond à notre coeur ! Source : Staël (Madame de), De l'Allemagne, 1813. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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