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Mon Rêve Familier

Publié le 10/10/2010

Extrait du document

 

Au XIXe siècle, en France, triomphent l’idéologie bourgeoise, la révolution industrielle et le culte du progrès. S’opposant au conformisme bourgeois et rejetant le réalisme, de nombreux poètes symbolistes comme Verlaine (1844 – 1896) montrent l’existence sous son aspect mystérieux, en prenant compte de ses contradictions irrésolues. Le sonnet « Mon rêve familier « (1866) relate la rencontre en songes d’une femme idéale, mais insaisissable, une femme aux contours flous et indéterminés, révélateurs de la vie intérieure ambivalente du locuteur.  Cette ambivalence se manifeste dans les caractéristiques doubles et oppositionnelles de cette femme avec qui il partage sa tristesse et qu’il semble vouloir rejoindre jusque dans la mort. 

 

La dualité de la femme aimée se perçoit dans son caractère inconnu et familier et dans le fait qu’elle est présente et absente à la fois. En effet, comment peut-elle être inconnue du locuteur et l’aimer en même temps? Une des propriétés du rêve est de mettre en présence des impossibilités logiques de façon toute naturelle. Le poème s’ouvre sur ces vers : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime« (v 1 et 2). Dès le départ, une antithèse fait ressortir le contraste entre le désir d’aimer du locuteur et sa privation d’amour, puisque la personne rêvée demeure une étrangère, renforçant ainsi le caractère ambigu et énigmatique de celle-ci. En fait, l’idée d’une présence enveloppante et réconfortante contribue même à amplifier le sentiment de solitude du poète. Au vers 5, le  mot « transparent « suggère que la communication est presque totale. Pourtant, au vers suivant, l’interjection « hélas! «, jointe à l’anaphore « elle seule «, exprime que l’unique personne susceptible de le comprendre ne vit que dans ses rêves. L’examen lexical met donc en relief le fait que le poète est irrémédiablement seul.  On s’en rend compte, le fait que la femme rêvée soit une inconnue et qu’elle n’ait pas de véritable existence lui  donne une aura mystérieuse et montre la solitude profonde qui habite le locuteur. 

 

Le poète partage sa tristesse avec une femme certes réconfortante, mais qui est, paradoxalement, inaccessible. D’une part, le locuteur trouve un grand soulagement dans le partage de ses souffrances. Lorsqu’il est en proie à la mélancolie, cette femme « rafraîchi[t], en pleurant « « les moiteurs de [s]on front blême « (v. 7 et 8). Le pléonasme « rafraîchir, en pleurant «, mis pour éponger, suggère efficacement l’idée d’une communion symbiotique puisqu’elle éprouve les mêmes souffrances que le poète. Mais le poète ne s’illusionne guère, car il sait que son rêve de communion totale est impossible. En effet, cette compagne idéale est irréelle. La comparaison  « Son regard est pareil au regard des statues « (v. 12) a pour effet de souligner sa nature froide ou distante. Les statues étant souvent des représentations de divinités ou de reines, son côté inaccessible et supérieur s’en trouve renforcé. Bref, le poète montre une âme tourmentée lorsqu’il fait le souhait d’une communion totale avec l’autre tout en reconnaissant l’impossibilité de réaliser celle-ci. 

 

Finalement, le caractère insaisissable de la femme trahit une certaine attirance vers la mort chez le locuteur, ce qui se révèle non seulement dans liens entre celle-ci et l’autre monde, mais dans la structure du poème. D’abord, le nom de cette amie aimante qui console le locuteur mieux que quiconque résonne comme celui d’une morte : 

Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore 

Comme ceux des aimés que la Vie exila (v 10 et 11).

 

Un euphémisme, précédé d’une comparaison, atténue le caractère dramatique du décès et suggère même une certaine plénitude grâce à l’antithèse « doux et sonore «, soulignant le désir qu’éprouve vraisemblablement le poète de la rejoindre là où elle se trouve. La structuration du poème en deux parties concourt à mettre en évidence une certaine attirance pour l’autre monde.   En effet, le poète rêve d’un amour total dans les deux premières strophes, mais il rattache celui-ci à la mort dans les deux dernières, comme si, conscient de ne pouvoir trouver dans cette vie ce dont il rêve, il faisait le souhait de le trouver dans la mort. L’euphémisme du dernier vers,  les « voix chères qui se sont tues « (v 14) suggère la possibilité qu’un être appartenant au monde des défunts visite le poète dans ses rêves. En somme, l’association des thèmes de l’amour et de la mort exprime une certaine attirance pour l’autre monde. 

 

Le poème « Mon rêve familier « appartient bel et bien à l’esthétique symboliste parce que Verlaine y exprime, par le caractère évanescent de son personnage féminin, une vie intérieure ambivalente. On l’a vu, le locuteur semble fasciné par les figures de femmes au caractère double et énigmatique, figures maternelles et consolatrices, auprès desquelles on trouve l’apaisement, mais aussi figures idéalisées et inaccessibles. De plus, cette idéalisation de la femme trouve sa correspondance dans un thème inusité : l’attirance pour la mort. Verlaine n’a pourtant pas été le premier à mettre de l’avant ce thème; Baudelaire l’a fait avant lui, et ce, dans des poèmes des Fleurs du mal (1857) tels « L’Invitation au voyage « et « Le Voyage «. Il faut dire que la poésie de Baudelaire est à la source de la modernité littéraire et que de nombreux poètes ont été influencés par ce précurseur du symbolisme qui a aussi fait de la dualité humaine un de ses thèmes de prédilection.

900 mots

 

Bibliographie

 

VERLAINE, Paul, « Mon rêve familier «, Poèmes saturniens suivis de Fêtes galantes, présentées par L. Ferré, Paris, Le Livre de poche, 1961, 191 p.

 

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