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Mort et résurrection de Léopoldine Hugo dans Les Contemplations

Publié le 16/01/2011

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hugo

En 1856, Victor Hugo publie Les Contemplations qui se donnent à lire comme une autobiographie universelle. Le poète y conte les joies et les peines forgeant une destinée non pas individuelle mais commune à l'ensemble du genre humain. Le recueil se scinde en deux volumes: « Autrefois « et « Aujourd'hui «. La première partie s'étend de 1830 à 1843, l'auteur y retrace sa jeunesse, ses combats littéraires ainsi que ses rêves. Puis, le fil narratif se brise illustrant une rupture dans la vie de Hugo. Lors d' une promenade en barque, la fille aînée du poète, accompagnée de son époux, se noient dans la Seine. L'impensable se produit le 4 septembre 1843. Le tombeau de Léopoldine est figuré dans la coupure partageant Les Contemplations en deux parties. Le temps se déchire, « Aujourd'hui « est circonscrit entre 1843 et 1856 ,et se décrit comme le livre du deuil où l'énonciateur attend une mort porteuse d'un renouveau. Notre travail consistera à analyser la représentation de la mort de Léopoldine ainsi que la mise en scène de sa résurrection à travers différents poèmes. Puis, nous nous interrogerons sur l'orchestration du décès et de la renaissance à travers l'architecture du recueil. Enfin, nous observerons de quelles manières la perte de l'enfant influe sur la figuration même du « je « des Contemplations.

 

Dans Les Contemplations, Hugo ne fait qu'implicitement référence à sa fille. Seuls quatre poèmes lui sont directement adressés, sans pour autant que son prénom n'apparaisse sous la plume du poète. Il s'agit de : « A ma fille «, « 15 février 1843 «, « Demain dès l'aube « ainsi qu' « A celle qui est restée en France «. Cependant, l'ombre de Léopoldine plane en filigrane sur de nombreuses pièces du recueil comme dans « Claire P. «. Ce texte fait partie d' « Aujourd'hui «, le livre du deuil, il a pour fonction de rappeler au lecteur la mort de Léopoldine. Le décès de la fille de Juliette Drouet évoque immanquablement le drame similaire vécu par Hugo. De plus, il y a rapprochement entre les défuntes de par leur extrême jeunesse et également par les adjectifs dont le poète use pour les décrire : toutes deux sont blanches et gaies. Nous remarquerons encore que Victor Hugo et sa maîtrese adoptent la même attitude face à leur enfant qui n'est pas considéré comme mort mais endormi. Ainsi, Juliette Drouet s'adresse en ces termes à sa fille: « Claire, tu dors. (...) je ne puis pas réveiller mon enfant. «[1] Nous retrouvons des propos identiques dans « A celle qui est restée en France « où Hugo interroge Léopoldine : « Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure / que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais? «[2]. Le rapprochement se poursuit lorsque Hugo mentionne la mort du père de Claire. Si James Pradier est réellement décédé, le poète l'est symboliquement parce qu'il se voit exilé mais surtout car sa fille a emporté le coeur paternel dans le tombeau. Ainsi donc, la mort de Léopoldine se reflète dans celle de Claire.

 

Si « Aujourd'hui « a pour fonction de remémorer le décès de Léopoldine, « Autrefois « le prédit. « Le revenant « met en scène la douleur d'une mère en deuil. Celle-ci loge à Blois, village où le père de Hugo a vécu. Outre le détail biographique qui ancre le poème dans la réalité, nous observons une relation métonymique entre Hugo et cette femme puisque « sa maison touchait à celle de mon père. «[3] Tous deux sont donc unis par un lien qui s'amplifie au fil du poème et finit par prophétiser la mort de Léopoldine. Nous découvrons la même stratégie que précédemment, le petit garçon a les pieds roses annonçant ici l'incipit de Pauca meae,VII: « Elle était pâle et pourtant rose «[4] . Par ailleurs, les deux enfants ont les mêmes lectures. Ainsi, la mère faisait épeler l'Evangile à son fils tout comme Léopoldine qui, « le soir prenait la Bible / Pour y faire épeler sa soeur. «[5] Nous noterons également que le jeune garçon meurt du croup engendrant alors une asphyxie, une mort ainsi comparable à la noyade. Le poème a donc, à ce stade du recueil, un effet d'annonce qui se voit redoublé dans les paroles du garçonnet : « On m'oublie « [6] prophétise l'angoisse que le poète prête à sa fille : « Est-ce que mon père m'oublie / Et n'est plus là que j'ai si froid? «[7] En outre, la date du quatre septembre 1843 se voit anticipée par l'exclamation de Hugo : « Nous avons tous de ces dates funèbres! «[8]. « Le revenant « est fictivement daté d'août 1843, cette stratégie permet de faire du texte l'ultime parole du père à l'aube de la mort de Léopoldine.

 

Hugo, en usant de dates fictives et de rapprochement symbolique entre les morts et sa fille, se mue volontairement en prophète. En outre, l'annonce du deuil se construit également à travers le procédé de la double lecture dont témoigne «15 février 1843 «. Le poème, réellement rédigé en février 1843, a été composé à l'occasion du mariage de Léopoldine. Cette indication nous est fournie dans le manuscrit des Contemplations. Or, Hugo modifie sciemment le texte afin d'en effacer les éléments susceptibles d'entraver à sa lecture funèbre. Le mariage n'est nullement mentionné accordant ainsi au poème une dimension polysémique. Par leur indétermination, les formules: « Aime celui qui t'aime « et « Sois heureuse en lui «[9] peuvent renvoyer à deux destinataires bien distincts, il s'agit, en effet, soit de Charles Vaquerie, soit de Dieu. D'un point de vue syntaxique, les tournures de ces phrases évoquent clairement l'écriture biblique. De plus, l'ambiguïté est cultivée par un système d'opposition entre les adverbes « ici « et « là-bas « ainsi qu'entre les verbes de déplacement « sortir « et « entrer « décrivant alors le changement d'état de Léopoldine, qui, de fille devient épouse mais suggère surtout le voyage métaphysique qu'elle s'apprête à effectuer. Le poète se voit donc détenteur d'une parole annonciatrice, la séparation irrémédiable du père et de la fille est anticipée dans le second vers du poème: « -Adieu!- Sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre! «[10]

 

Si les mots font sens dans l'oeuvre de Hugo, l'absence de mots apparaît plus significative encore. La singularité de « 4 SEPTEMBRE 1843 « est dûe à son contenu: une unique ligne de pointillés évince le récit de la noyade. Seule la date du drame est mentionnée avec la froideur, la rigidité des indications gravées sur la pierre tombale. Le poème introduit donc un silence, il se présente comme une figuration de l'indicible. Les points de suspenscion expriment l'émotion tout en dramatisant l'absence de mots. Il y a ici un véritable défaut d'image et de parole traduisant à la fois l'initelligible de la mort et l'insoutenable souffrance du père en deuil. L'idée d'indicible est matérialisée dans le poème IV des Pauca meae où Hugo s'exclame: « Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom? «[11] Le poète se réfugie dans le mutisme, aucun mot ne pouvant décrire l'indescriptible, l'impensable qu'est la mort de son enfant. Le souvenir de la noyade se perpétue en filigrane au sein même des Pauca meae où cinq poèmes sont respectivement datés du quatre septembre 1852, 1844, 1845, 1846 et 1847 commémorant ainsi le funeste anniversaire. Il s'agit de poèmes du souvenir mettant en scène l'enfance de Léopoldine mais Hugo évoque également le chemin parcouru depuis le deuil, allant de la révolte et de l'indignation à la soumission devant la volonté divine. Le dernier poème de la section s'intitule « Charles Vacquerie «, le poète brise son silence: « Il ne sera pas dit que je me serai tu, (...)/ Et que je n'aurai pas devant son noir tombeau / Fait asseoir une strophe sombre. «[12] Hugo retrouve l'usage de la parole afin de rendre hommage à son gendre et de lui faire ses adieux. Dans le recueil, nous observons qu'il n'y a pas de poème d'adieu directement adressé à Léopoldine, hormis l'adieu équivoque prononcé lors de la cérémonie de mariage. Ce manquement s'explique par le refus obstiné de la perte de l'enfant. La mort est omniprésente dans Les Contemplations néanmoins elle ne renvoit jamais explicitement à Léopoldine. Il est, en effet, question des morts et des enfants morts qui se rattachent par métonymie à la défunte. Cependant, Hugo, en s'abstenant de nommer sa fille et en refusant sciemment de la représenter dans la réalité de la mort, rejette catégoriquement son décès. Le poète orchestre ainsi la négation du tombeau de Léopoldine.

 

Le déni se manifeste sensiblement dans « Demain, dès l'aube (...) «. La première stropne du poème établit une relation de co-présence entre Victor Hugo et sa fille en entrelaçant les pronoms personnels de première et deuxième personne: « Vois-tu, je sais que tu m'attends. «[13]

Rien ne laisse présupposer que l'interlocutrice est décédée puisqu'elle est figurée en position d'attente,- certes passive mais qui n'en demeure pas moins propre au vivant. Par ailleurs, les verbes de déplacement conjugués au futur (je partirai, j'irai ) évoquent le voyage, préude nécessaire à une rencontre qui n'a que trop tardé: « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. «[14] Hugo, à travers ce premier quatrain ressuscite sa fille. Or , la deuxième stophe inverse le processus, la mort semble gagner l'énonciateur qui ne perçoit plus le monde: il n'entend pas et ne voit pas. L'abandon des sens s'accompagne d'une posture qui ne cesse de l'assimiler à un défunt. Son dos courbé penche ostensiblement vers le sol, et par extrapolation, vers sa propre tombe. Quant aux mains croisées, elles illustrent le retrait hors du réel, le poète abandonne l'écriture. Le vers huit ancre définitivement Hugo dans l'éternité de la mort puisque « Le jour sera pour (lui) comme la nuit. «[15] La mort paraît ici la seule solution envisageable pour réunir les deux êtres. Cependant, la troisième strophe met en scène le discours du vivant à la morte. Il y a donc un revirement, un retour au réel. Nous comprenons alors que le voyage du premier quatrain constitue le pélerinage du père en deuil sur le tombeau de sa fille. Un vice logique apparaît néanmoins. Le trajet du pélerin doit s'effectuer le 4 septembre 1847 mais cette datation est factice car le poème a été rédigé en 1856. Or, à cette date, Hugo est exilé, il ne peut donc physiquement pas se rendre au cimetière d'Harfleur mais il se situe surtout dans une impossibilité émotionnelle. Le décès de Léopoldine s'oppose à toute logique, la mort des enfants apparaît comme contre-nature car elle hypothèque toute notion d'avenir. Ceci pourrait transparaître dans l'organisation même du poème: dans le premier quatrain Léopoldine semble vivante comme son père, mais le second quatrain développe une autre structure, le père meurt car sa fille est morte. Dans les deux cas, la séparation est niée. Le dernier quatrain illustrerait alors l'incohérence de la mort de l'enfant. Il y a une impossibilité, un hiatus traduisant le refus du décès.

 

Par ailleurs, le déni du décès s'accompagne du fantasme de la résurrection particulièrement mit en scène dans le dernier poème des Contemplations: « A celle qui est restée en France «.

Le titre est équivoque, à nouveau Léopoldine n'est pas représentée dans la réalité de la mort. Elle est celle qui n a pas subi l'affre de l'exil, celle qui a pu demeurer au sein de la patrie. La morte semble alors plus vivante que le proscrit, symboliquement mort. De plus, Hugo use de nombreux euphémismes, Léopoldine est figurée dans le sommeil à travers les expressions « l'enfant qui dort «[16] , « ma douce endormie «[17] ainsi que dans l'interrogation pathétique: « Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure / Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais? «[18] Hugo mise alors sur la force de la parole pour réveiller son enfant. Lazare ressuscite en écoutant le Christ, la puissance du verbe est telle qu'elle peut rendre la vie. Le « je « hugolien devient hyperbolique, il prétend concurrencer Dieu en exhortant à la résurrection: « Mets- toi sur ton séant «[19] fait écho au « Lazare, lève-toi! « de Jésus. Mais le retour à la vie ne s'opère pas, Hugo s'en étonne avec une irrévérence extraordinaire: « Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela; / Quand je lui parle, hélas! Pourquoi les ferme-t-elle? / Où serait donc le mal (...) / Quand ce qu'un Dieu fit, un père le ferait? «[20] Dès lors, à l'impossible réveil se substitue le don des Contemplations: « Prends ce livre: il est à toi «[21] L'usage du démonstratif indique une convergence du « je « et du tombeau. La relation entre les deux entités se voit accentuée par l'entrelacement des pronoms personnels « je « et « tu «. Par ailleurs, l'énonciateur du poème est un mort au même titre que Léopoldine. Hugo meurt avec sa fille le 4 septembre 1843 or cet exil intérieur se conjugue avec l'exil imposé par Napoléon III. La vie du proscrit s'est alors réfugiée dans le livre qui contient « (son) âme, le spectre de (sa) vie «[22]. Le transfert de la vie dans le recueil s'opère par l'écriture car c'est uniquement lorsque le poète « (eut) terminé ces pages que le livre se mit à palpiter, à respirer, à vivre «[23]. Plus Hugo s'éloigne de lui-même, plus les Contemplations s'animent si bien qu'au terme du recueil, le récit est assumé par un mort. « A celle qui est restée en France « constitue un écho à la Préface qui demandait au lecteur de lire l'oeuvre comme celle d'un mort. Le recueil est destiné à Léopoldine, c'est un « don de l'absent à la morte «[24] , un obscur messager qui, en tombant dans le tombeau, réunit le proscrit et la défunte. Cette réunion a symboliquement lieu le 2 novembre 1855, jour des morts.

 

Après avoir observé la figuration de la mort et de la résurrection, nous nous proposons d'analyser leur construction dans l'architecture de l'ouvrage.

 

Dans la « Préface «, Hugo commente l'organisation de son recueil. Les Contemplations se composent de deux volumes séparés par un tombeau, un abîme. La mort de Léopoldine Hugo scinde la vie du poète en deux parties: « Autrefois « (1830-1843) et « Aujourd'hui « (1843-1856) se confondant avec le présent de l'écriture puisque Hugo achève et publie l'ouvrage en 1856. Nous ajouterons que chacun des deux volumes se subdivise en trois livres obéissant ainsi à une rigoureuse symétrie. « Autrefois « comprend des poèmes relatant l'enfance et la jeunesse du poète. Cette partie traite par ailleurs des querelles littéraires de l'époque. Cependant, la première partie n'est pas détachable de la seconde; s'agissant des « mémoires d'une âme «[25] il y a une continuité évidente entre le passé et le présent du « Je «. De plus, la convergence est assurée par le biais d'artifices, « Autrefois « est déjà teinté d' « Aujourd'hui «. En effet, en multipliant les effets d'annonce, la mort et l'exil se voient anticipés. Ainsi, « A ma fille « se donne à lire comme une prophétie édifiante. Le poème transcrit le discours du vivant à la vivante. L'énonciateur affirme se soumettre et conseille à sa fille de s'éloigner de la société. L'idéé de soumission semble particulièrement révélatrice, elle évoque la résignation de Hugo suite à la mort de son enfant. Si la révolte s'estompe uniquement dans les Pauca meae, XV,: « Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste / Que mon coeur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu! «[26], elle est déjà amorcée en ouverture même des Contemplations. De plus, l'exhortation à vivre loin du monde sera scrupuleusement respectée, Léopoldine, en se noyant, et Hugo, en subissant l'exil, seront tous deux privés de la société.

 

Le processus inverse s'observe dans « Aujourd'hui «. Une majorité des poèmes constituant les Pauca meae s'organise autour du souvenir de la disparue. Le passé investit le présent. Nous devons, par ailleurs, aborder la question du tombeau de Léopoldine. Hugo le situe entre « Autrefois « et « Aujourd'hui « cependant nous pourrions postuler que celui-ci se trouve plutôt dans l'absence de mots et d'images du « 4 SEPTEMBRE 1843 «. Au-delà de la ligne de pointillés, aucun poème n'est daté de 1843. Il semble donc y avoir deux coupures dans l'organisation du recueil, l'une distinguant l' « Autrefois « et l' « Aujourd'hui «, l'autre, plus discrète, déchirant le temps à partir du 4 septembre. La mort s'impose implacablement, la plupart des poèmes du livre V sont, en effet, datés du 2 novembre, le jour des morts, auquels s'ajoute la série de poème commémorant l'anniversaire de la noyade. Tout est savamment orchestré pour que le présent d' « Aujourd'hui « se confonde avec la mort, celle de Léopoldine anticipant celle de son père. Hugo se positionne dans de nombreux textes en attente d'une délivrance ne pouvant que prendre la forme de la mort: « O ma fille! J'aspire à l'ombre où tu reposes / Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu. «[27]

 

La mort se rapproche du poète dans le livre V relatant l'exil à Jersey puis à Guernesey. Dépossédé de son statut social, le proscrit se définit par la perte de son pays, de sa langue natale ainsi que de son identité. Il est alors comparable aux défunts. L'énonciateur se décrit lui-même comme une « vision «[28], silhouette évanescente quittant peu à peu le monde des vivants. Frappé d'ostracisme, Hugo habite désormais « l'ombre «[29] d'où il réclame le droit de s'adresser à ses semblables: les morts. Le livre VI figure le poète en contemplateur voyant dans la mort une naissance. « En frappant à une porte « daté du 4 septembre 1855 met fin à la série de poèmes dédié au décès de Léopoldine, la mort de la fille entraîne inexorablement celle du père. Le poème s'achève sur ce vers emblématique: « Ouvre, tombeau «[30]. « Aujourd'hui « apparaît donc comme un exil hors de soi doublé d'une attente interminable de la mort.

 

La stucture des Contemplations retrace donc l'itinéraire du poète s'effectuant de l' « Aurore « au « Bord de l'infini «.Ce parcours constitue une métaphore de la mort. Celle-ci est, en effet, envisagée comme un voyage. Léopoldine doit quitter l' « ici «[31] terrestre pour un « là-bas « céleste, telle est la leçon de « 15 février 1843 «. Or, ce même trajet s'opère dans l'architecture du recueil. Le moi hugolien se vide peu à peu de sa substance, il s'éloigne de lui-même au fil des livres. Le temps de l'enfance, « des luttes et des rêves « s'efface pour laisser place au deuil. Le poète se met alors « en marche « vers la mort, une mort qui se prolonge symboliquement dans l'exil. A partir du livre V, Hugo ne se figure plus en vivant, il est le proscrit, « une vision «, l'ombre de lui-même. Le voyage s'achève avec « A celle qui est restée en France «. Ce poème succède au dernier livre, il se situe donc hors du recueil au même titre que la Préface. Un rapport étroit s'établit entre les deux textes, le dernier répondant au premier. Si Hugo a donné ses consignes de lecture dans la Préface: « Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d'un mort «[32], nous constatons qu'au terme du récit l'auteur est un mort. L'impossible résurrection de Léopoldine conduit l'âme du poète à se réfugier dans Les Contemplations qui rejoignent la tombe de la défunte. Ainsi, « A celle qui est restée en France « fait écho à la Préface, le recueil se referme alors sur lui-même.

 

Le 4 septembre 1843 brise définitivement la vie de Hugo qui ne peut se résoudre à la perte de sa fille. Le poète figure cette absence sous différentes formes. Bien que Léopoldine soit vivante, le drame se voit anticipé dans la première partie du recueil où des signes funestes préparent le lecteur à sa disparition. Les effets d'annonce auxquels se joint le procédé de la double lecture prédisent le décès et contribuent à forger l'image d'un « poète prophète «. Si le spectre de Léopoldine hante l'ensemble des Contemplations, la morte n'est jamais explicitement représentée. La date de la noyade fait place à une ligne de pointillés figurant ainsi l'indicible. La mort de l'enfant entérine toute perspective d' avenir, elle s'oppose à la survie de l'espèce. Confronté à cet illogisme, Hugo ne peut représenter l'irreprésentable. Le refus de la mort se transcrit par l'absence de récit du drame ainsi que par la volonté de ne pas nommer Léopoldine, son prénom n'apparaît jamais dans le recueil. La mort se rattache à elle par le biais de métonymies, nous devinons la morte à travers les figures de Claire Pradier ou du garçonnet décédé du croup dans le poème « Le revenant «. Le déni se manifeste également dans la description de Léopoldine endormie, niant de facto la réalité du tombeau. Dès lors, le poète entreprend de réveiller son enfant, il compte sur la puissance du verbe pour opérer une résurrection. Le réveil n'aboutissant pas, Hugo offre alors le livre à la tombe, réunissant ainsi pour l'éternité le banni et la défunte. La mort est donc omniprésente dans Les Contemplations, elle y apparaît dans le principe même de son organisation. Le voyage métaphysique effectué par Léopoldine se voit enchevêtré dans la progression des livres. La mort de la fille engendrant la mort du père, l'itinéraire de ce dernier ne peut que tendre vers le tombeau. D' « Autrefois « à « Aujourd'hui «, nous assistons à l'agonie du poète qui, au terme du recueil, se figure en mort. Hugo n'a, certes pas pu ressusciter sa fille mais il lui a offert l'immortalité à travers les vers des Contemplations.

 

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[1] Victor Hugo, Les Contemplations, Gallimard, Paris, 1973, p.271.

[2] Op.cit.,p.413.

[3] Op.cit.,p.167.

[4] Op.cit.,p.217.

[5] Op.cit.,p. 217.

[6] Les Contemplations,p.169.

[7] Op.cit.,p.213.

[8] Op.cit.,p.168.

[9] Op.cit.,p.208.

[10] Ibid.

[11] Les Contemplations, p.214. Je souligne.

[12] Op.cit., p.233.

[13] Op.cit., p.226. Je souligne.

[14] Ibidem.

[15] Les Contemplations, p.226.

[16] Op.cit., p. 413.

[17] Op.cit., p. 418.

[18] Op.cit., p. 413.

[19] Op.cit.,p. 411.

[20] Les Contemplations, p. 414.

[21] Op.cit., p. 411.

[22]  Ibid.

[23] Ibid.

[24] Op.cit., p. 415.

[25] Op.cit., p.28.

[26] Les Contemplations, p.227.

[27] Op.cit., p.224.

[28] Op.cit., p.239.

[29] Op.cit., p.253.

[30] Les Contemplations, p.356.

[31] Op.cit., p.208.

[32] Op.cit., p.27.

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