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Peut-On S'Identifier À Un Personnage Négatif ?

Publié le 22/10/2010

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Vaut-il mieux être jeune, riche, beau, intelligent et sympathique ou pauvre, laid, vieux, malade,désagréable et acariâtre pour être un héros de roman ? C'est l'étude de  l'évolution historique du roman qui pourrait permettre de répondre à la question.  Les romans du XIX ème siècle présentent  souvent des personnages négatifs. Mademoiselle Gamard  n'a rien de  Pénélope et Sidonie Rougon ne semble avoir rien de commun avec la reine Guenièvre ou la princesse de Clèves.  Comment le lecteur peut-il s'identifier avec ces personnages négatifs, médiocres, parfois nuisibles ? Que recherche  le romancier en choisissant  de tels "héros" ?  Il faudra donc, d'abord, essayer de définir ce qu'est un personnage de roman, ce que recouvre le terme "négatif". On verra ensuite quelle peut être la position du lecteur et se demander si l'intention du romancier est de permettre l'identification du lecteur à tous ses personnages.

 

I. le personnage de roman n'est plus un héros.

 

Jusqu'au dix-neuvième siècle, la plupart des personnages  de romans sont des héros, en ce sens qu'ils sont des personnages extraordinaires qui développent des qualités ou des aptitudes hors du commun. A l'origine le héros est un demi-dieu, ou le protégé d'une divinité, les obstacles qui se dressent sur sa route sont surmontés grâce à ses qualités  ( Ulysse, Achille).Il n'y a pas de héros négatif. Au Moyen-Age, le héros est avant tout un modèle de Foi, de fidélité à son idéal, à sa dame, à son roi, il est noble et sait -malgré les épreuves traversées- résister au mal. La plupart du temps il triomphe des épreuves grâce à sa vertu . C'est le modèle pour le lecteur( Lancelot dans le Roman de la table Ronde). Son contraire sera le traître, le félon, pétri de bassesse, qui connaîtra une fin atroce, et sera voué aux flammes de l'enfer et auquel il sera impossible de s'identifier.

 

Au dix-neuvième siècle, apparaissent des héros différents : leur condition simple (paysan, ex-bagnard), leur physique et leur âge en font des personnages nouveaux. Mais ils sont toujours méritants et bons et il semble que ce soit les autres, les "mauvais" qui s'acharnent contre eux. (les Thénardier, Javert, dans "les misérables "de Victor Hugo ou Bill Sikes dans "Oliver Twist"  de Charles Dickens). 

Dans ces romans les personnages négatifs ont tous les défauts et ces êtres servent de repoussoirs. D'un côté les "bons", les héros,  et de l'autre, "les méchants". Les uns s'opposent aux autres. On s'identifie aux premiers et on rejette les seconds. Le négatif est alors le contraire du positif. Mais on parle encore de "héros".

Or, certains romanciers comme Balzac, Maupassant, Stendhal ou Zola vont nous présenter des "personnages" et non plus des héros.  Ces "personnages" ne sont  plus des modèles, ils deviennent complexes comme des personnes. Sont-ils négatifs ? Ils ne sont, en tout cas, pas attirants. Ils ne sont pas vertueux, ils ont des défauts , ils sont souvent antipathiques. Ils ont peu de vertus, ils peuvent développer à l'extrême un vice ou une manie, ils peuvent être avares, cupides, arrivistes, âpres au gain, médisants, racornis, jaloux, envieux ou simplement bêtes. Le plus souvent leur apparence physique en dit long sur leur psychologie. Ils ressemblent à ce qu'ils sont. Ils ne sont pas complètement mauvais, pas entièrement négatifs. Ce ne sont pas des héros du Mal ni des anti-héros. Ce sont parfois des médiocres,  ils peuvent devenir malfaisants pour assouvir leur passion, mais cette passion elle-même apparaît au lecteur comme mesquine ou minable. C'est la passion de l'argent pour certains, ou une passion amoureuse qui les poussera à l'adultère, au meurtre ou au suicide. D'autres  sont pétris d'une ambition qui va les dévorer et leur faire rater leur vie.

 

Ils sont devenus humains. Le romancier va donc présenter des personnages bien humains, qui pourraient être réels,  des personnages, hommes ou femmes qui pourraient exister, des gens ordinaires ou presque.Le héros a disparu du roman.

 

.II. le lecteur peut-il s'identifier ?

 

De modèle auquel le lecteur s'identifiait presque spontanément, le personnage de roman est devenu un humain aux défauts et aux travers humains exagérés  qui n'a plus rien d'exemplaire au sens de la morale, mais qui est, en quelque sorte, sorti de son anonymat par l'écrivain qui en fait un personnage. Car c'est bien l'écrivain qui présente le personnage.  Il est présenté avant que l'histoire ou l'intrigue ne commence. Le personnage va évoluer et au fur et à mesure, le lecteur va de mieux en mieux le connaître. On peut supposer que l'écrivain va aussi l'étoffer, c'est à dire qu'à partir de la présentation de ses travers, de ses aspects négatifs, vont apparaître ses quelques qualités , peut-être ses manies ou ses passions seront-elles expliquées ou justifiées, ou au contraire le personnage se révèlera-t-il encore bien pire par la suite.

Il y a peu de chances, en tout cas, que le lecteur s'identifie au personnage et qu'il le prenne pour modèle. Toutefois, il n'est pas exclu que le lecteur, retrouvant amplifiés, certains de ses défauts, ou traits de caractère ne prenne conscience de ceux-ci.

S'il ne s'identifie pas, que va éprouver le lecteur ? Sans doute de la pitié, de l'empathie, de la compassion mais surtout de la compréhension.

Balzac et bien plus, Zola, amènent le lecteur à considérer autrement, en mettant si possible de côté la morale, des personnages qu'on condamnerait de prime abord. Leur situation sociale (pauvre, mineur, alcoolique, prostituée) font d'eux des êtres éloignés de nous mais que le romancier tente de nous rendre compréhensibles. Le  lecteur prend pitié de leur vie ratée, de leur déchéance. Les romanciers sont presque les avocats de leurs personnages, les justifiant auprès du lecteur. D'autres, comme Maupassant, vont créer des personnages qui vont rater leur vie alors que tout n'était pas joué d'avance, il s'agira plutôt d'un ensemble de malchances, de circonstances, de coup du destin ou de faiblesse (Une vie, Pierre et Jean). Le lecteur assistera à la lente descente aux enfers du personnage dela première et au "naufrage" du second. 

Enfin, au XXème siècle, les romanciers vont écrire des romans où aucun des personnages n'est   positif. Il s'agit alors d'hommes ordinaires ou carrément négatifs (comme dans "la mort est mon métier"  de Robert Merle, fausse  "autobiographie" du concepteur des chambres à gaz).

 

Conclusion 

Il apparaît donc qu'il existe deux types de romans . Ceux dont le personnage est un "héros", un personnage positif auquel le lecteur s'identifie, et qui est confronté à un ou plusieurs personnages "négatifs". Il s'agit de romans qui ont une portée morale et qui proposent un idéal incarné par le héros. Ceux dont le personnage plus ou moins négatif, qui ne peut , en tout cas, être pris pour modèle de conduite, incitent le lecteur- sinon à s'identifier- du moins à réfléchir sur la condition humaine, sur la société. Ces romans conduisent le lecteur à éprouver de la compassion pour les personnages, à envisager le monde autrement, à comprendre et à vivre à travers eux  des expériences qu'ils n'auraient jamais vécues autrement ou dont ils n'auraient pas eu même connaissance.

 

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