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Poesie, Citation de René Char

Publié le 13/04/2011

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poesie

Dans ses Feuillets d’Hypnos, René Char écrit que « l’effort du poète vise à transformer les vieux ennemis en loyaux adversaires ». Pensez-vous comme René Char que la poésie soit utile et aide à vivre ? Vous nourrirez votre réflexion des œuvres étudiées en classe ainsi que de votre culture personnelle. Etrange destin que celui de la poésie qui après avoir été longtemps le genre littéraire dominant, le genre noble servant l’épopée d’abord puis le carmen religieux et la tragédie, a peu à peu été méprisée et a perdu nombre de ses lecteurs au profit du roman. Le genre poétique a même été victime de caricatures sévères au point que certains associent la poésie au lyrisme léger et anecdotique ainsi qu’à une expression de soi facile et futile. René Char, un des rares écrivains du 20e siècle à s’être spécialisé dans le genre poétique et à s’y être toujours tenu, donne à la poésie des pouvoirs et des missions, notamment celle de « transformer les vieux ennemis en loyaux adversaires ». Faut-il, comme René Char, que la poésie soit utile, ait une place à revendiquer, et un rôle à jouer dans la vie des gens ? Pour y répondre, nous verrons d’abord qu’au sens strict, la poésie est une œuvre sans but, une technique sans fin, si ce n’est elle-même, et ce d’autant plus que bien des choses –sa forme artificielle par exemple- l’éloignent du réel ; pour autant la poésie a su utiliser sa forme inhabituelle et mettre ses possibilités multiples au service du combat politique, et devenir d’utilité publique en somme. Enfin, il n’y a pas que l’utilité et la noblesse des grandes causes : la poésie peut supporter des ambitions modestes mais pas moins valeureuses : en tant que vecteur de sens, en tant qu’affirmation d’un réel quotidien et concret, elle peut tout simplement servir de témoin et aider à vivre. La poésie, pourrait-on objecter à René Char, ne vise pas forcément à transformer quelque chose d’extérieur à elle ; si transformation il y a, c’est d’abord souvent d’elle-même. Le genre poétique est en effet un genre complexe, qui joue sur les écarts par rapport au langage normal, et s’appuie sur une forme artificielle : en vers, avec des rimes (pour la poésie versifiée, au sens traditionnel du terme), avec des façons de dire détournées car imagées (métaphores, comparaisons, etc.). Cette forme qui n’a rien de naturel peut même devenir stricte et rigide : les formes fixes (sonnet, ballade, rondeau, pantoum...) se présentent davantage, du fait des contraintes imposées, comme des exercices de style propres à plaire aux esthètes et à stimuler les auteurs, que comme les supports d’une intention qui toucherait tout le monde : les calligrammes d’Apollinaire, ou bien la variation sur les types de sonnets par Baudelaire ou Apollinaire encore n’aident personne à vivre. De même, le travail sur la métrique opéré par les Romantiques ou ensuite par les Symbolistes, ne sont utiles qu’aux amateurs éclairés de poésie, et n’ont aucune vocation à faire vivre. On pourrait également lire dans le courant hermétique illustré par Mallarmé ou dans les affirmations parnassiennes un refus d’être utile, assumé même chez Gautier qui définissant sa vision de l’art et de la poésie, affirme dans sa préface à Mademoiselle de Maupin qu’un poète ne 1 doit pas prétendre à l’utilité et ne devra jamais ressembler à un vulgaire « savetier », utile lui, de façon concrète. La poésie est limitée dans sa capacité à transmettre ou à toucher, de par sa forme complexe, difficile d’accès car artificielle, et sophistiquée, mais aussi limitée par son propre aveu de détachement assumé par rapport aux choses du monde et de la vie commune. Evidemment un tel écart entre le genre poétique et la vie des hommes, affirmé, revendiqué par certains comme personne dans d’autres arts n’a eu besoin de le faire, a suscité des polémiques, et des poètes ont eux affirmé que justement la poésie dans sa sophistication ou son recours original aux images, avait un rôle à jouer, une place à prendre dans la société. Les partisans de l’ « honneur des poètes » et donc de la poésie, revendiquent à l’inverse un devoir pour la poésie d’être utile, et du coup, la nécessité pour les poètes d’employer tous les moyens poétiques dont ils disposent pour faire de l’artifice une arme de combat efficace. La poésie engagée, celles des anciens surréalistes devenus communistes pour la plupart pendant la seconde guerre mondiale, vont même faire des contraintes formelles du poème un atout dans la littérature de contrebande des années 40 : Aragon dans son recueil Les yeux d’Elsa publié en pleine guerre (1942) utilise les motifs médiévaux, la forme du sonnet, les jeux sur des rimes inusitées (comme la rime batelée) depuis des siècles, pour faire passer ses idées contestataires en fraude dans la France de Vichy : l’aspect sophistiqué et le discours apparemment lyriques de ses poèmes dédiés à la muse omniprésente (Elsa) sont en fait une charge violente contre la France de Pétain. Aurait-il pu être si malignement polémique dans un roman (parce qu’il est aussi romancier, il aurait pu recourir à la forme romanesque) ? Probablement pas. La contrainte formelle devient avec les anciens surréalistes résistants, un moyen de déguiser du polémique en du lyrique. A partir de cet axiome lancé par Benjamin Péret, selon lequel être engagé définit le poète (il y va de son « honneur ») certains poètes parviennent même à ce tour de force : la poésie ne peut être qu’engagée, ce que défend René Char. Dans ses Feuillets d’Hypnos, celui qui était devenu en tant que résistant dans le maquis le « capitaine Alexandre », défend une poésie de la fulgurance, de la fureur, mystique et profondément politique à la fois ; en substance, René Char nous dit que le poète est utile, sinon tout meurt : le poète, la poésie, et le monde. En fait, cette vision engagée de la poésie, cette mission contestataire ne dépend pas d’une époque (car la poésie engagée existait déjà pendant les guerres de religion avec Ronsard, et dans le camp adverse, Aubigné par ex.) mais bien d’un talent, d’une compétence que l’on veut bien reconnaître à la poésie : celle de transformer, de défendre quelque chose, ou tout simplement de le faire vivre. Est-ce à dire que seules les grandes révolutions et les grandes tribunes sont du ressort de la poésie ? Le genre poétique peut transformer, dans les faits, de façon effective même, le cas le plus extraordinaire et marquant étant le rôle actif qu’Eluard a pu jouer, par son action en zone occupée Nord, mais aussi, par l’écriture de poèmes entrés véritablement dans l’histoire, la grande Histoire ; « Liberté » est en effet ce point de rencontrer entre la vocation engagée d’un poète et la concrétisation concrète, palpable de cet engagement : le poème « liberté » est en effet, aux heures les plus noires de l’Occupation (1942), parachuté sur les alliés et sert de lien, de cri de ralliement contre l’occupant. Il est donc net que la poésie fut utile, et a certainement aidé à vivre, d’abord les résistants alliés, puis la population, qui a pu trouver dans ce poème, une exhortation à vivre et à combattre même, surtout, pendant les heures les plus sombres. Cependant cette utilité- là, universelle, cette transformation effective de quelques mots en symbole et en acte de résistance, n’est pas la seule possible. Il existe aussi une transformation plus invisible, ainsi qu’une utilité plus intime de la poésie. 2 La poésie aide d’abord à vivre celui qui la produit, et est utile d’abord, dans l’intimité de cette première énonciation, entre un auteur et un lecteur. C’est la valeur paradoxale du lyrisme qui confine là à l’autobiographique et à toute sa complexité: parler de soi et toucher les autres, pour s’aider soi-même à vivre, et aide à faire vivre les autres. C’est bien pour cela que les Contemplations d’Hugo touchent un public toujours renouvelé, même si tout le monde n’a pas perdu une fille de 19 ans : la mort, le chagrin sont des angoisses et des états suffisamment universels pour que tout le monde se retrouve dans les poèmes qu’Hugo écrit à partir d’eux. La poésie aide aussi à vivre au quotidien, en affirmant des choses simples et communes, auxquelles elle reconnaît une existence, une dignité, une légitimité dans le monde. Le poète selon Georges Perros est aussi l’artisan du point de vue formel, qui rend au quotidien sa valeur ; la poésie selon Jaccottet ne se limite pas à l’exposé d’une intériorité douloureuse ou de paysages transfigurés : le poème est le lieu où se répertorient les choses environnantes et abordables ; elle est donc le lieu de réunion de tous ceux qui vivent entourés des mêmes sons, des mêmes odeurs, des mêmes sensations ténues. La poésie si elle doit être utile, sert à consacrer voire à réhabiliter l’existence d’un monde que l’on négligeait mais qui est bel et bien là, près de nous, pour nous, en nous et qui peut-être était plus beau que ce que l’on pensait. Cette poésie utile pour dire voire embellir le monde remonte probablement à Francis Ponge, qui dès les années 50 après ses années surréalistes, s’est tourné vers le concret le plus simple et modeste (une huitre, un cageot, un morceau de pain...) pour en faire le support de son travail sur la langue et de son regard sur le monde. La poésie aide à vivre, non seulement en prenant le temps de remettre sous les yeux ce qui constitue la vie (les objets, les aliments, les animaux non plus épiques et merveilleux mais quotidiens tels que des abeilles ou des araignées) mais aussi en permettant au poète de repenser son travail de poète : partir de l’évidence simple pour reconstruire, reconstruire, rééprouver un langage commun au poète et à son lecteur. Il est aisé de soutenir René Char dans son exhortation à nous méfier des clichés : effectivement le poète, dès lors que l’on lit sérieusement un poème, n’est pas cet hurluberlu hors du monde et sans fonction ni intérêt. L’image stéréotypée de ce poète-là tombe vite dès lors que l’on évoque les poètes engagés (et pas seulement politiquement), qui sont capables, par le verbe, de transformer de simples « ennemis » en loyaux « adversaires » : les poètes sont capables de rendre du sens aux mots et aux choses, voire de leur conférer de la noblesse et de transformer comme le disait Mallarmé, « de la boue » en « or ». Mais il s’est agi de montrer, dans notre dernière partie, qu’au fond l’utilité du poète allait au-delà des dénominations habituelles et extravagantes : le poète n’est pas utile qu’en tant que mage à la Hugo ou guide ou même combattant tel que Char peut le voir. La poésie peut être utile pour voir, au quotidien, le monde concret, d’un nouvel œil et affirmer l’existence de ce qui vit. En fait René Char lui-même en était arrivé à ce constat désarmant de sobriété qui avant même de charger la poésie d’une mission, d’une fonction, ou même d’un sens, lui reconnaissait juste une aptitude à comprendre comme un constat, un état de fait: « la poésie, écrit-il, l’éloigne de sa mort » ; il ne s’agit alors même plus d’analyser en quoi la poésie peut être utile, ni d’énumérer ses différentes fonctions, encore moins de rendre hommage à sa noblesse passée - toutes ces considérations ayant disparu dans la formule brute de R. Char - mais juste de lui reconnaître ceci : la poésie ne sert sans doute à rien, sauf à vivre.

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