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Rabelais, Gargantua (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Rabelais, Gargantua (extrait). Dans ce Prologue de Gargantua, l'auteur donne le ton de son oeuvre : que le lecteur ne se méprenne pas sur l'apparente bouffonnerie de l'ouvrage, ni sur la grossièreté de certains titres qu'il a pu commettre (« la Dignité des braguettes «). En effet, on ne saurait juger trop vite un livre à son « enseigne extériore «, pas plus qu'il ne faut juger le moine à l'habit. Rabelais, par cet appel au lecteur, mêle donc le sérieux et le comique, deux tons constitutifs d'un texte où sens littéral et « plus haut sens « s'entrecroisent constamment. Gargantua de François Rabelais Buveurs très illustres, et vous, Vérolés très précieux (car à vous, non à autres, sont dédiés mes écrits), Alcibiade, au dialogue de Platon intitulé le Banquet, louant son précepteur Socrate, sans controverse prince des philosophes, entre autres paroles le dit être semblable ès Silènes. Silènes étaient jadis petites boîtes, telles que voyons de présent ès boutiques des apothicaires peintes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs limoniers et autres telles peintures contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire (quel fut Silène, maître du bon Bacchus) ; mais au dedans l'on réservait les fines drogues, comme baume, ambre gris, amomon, musc, civette, pierreries et autres choses précieuses. Tel disait être Socrate, parce que, le voyant au dehors et l'estimant par l'extérieure apparence, n'en eussiez donné un coupeau d'oignon tant laid il était de corps et ridicule en son maintien, le nez pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fol, simple en moeurs, rustique en vêtements, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inepte à tous offices de la république, toujours riant, toujours buvant d'autant à un chacun, toujours se guabelant, toujours dissimulant son divin savoir ; mais, ouvrant cette boîte, eussiez au dedans trouvé une céleste et impréciable drogue : entendement plus qu'humain, vertu merveilleuse, courage invincible, sobresse non pareille, contentement certain, assurance parfaite, déprisement incroyable de tout ce pourquoi les humains tant veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent. À quel propos, en votre avis, tend ce prélude et coup d'essai ? Pour autant que vous, mes bons disciples et quelques autres fols de séjour, lisant les joyeux titres d'aucuns livres de notre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des pois au lard cum commento, etc., jugez trop facilement n'être au dedans traité que moqueries, folâtreries et menteries joyeuses : vu que l'enseigne extérieure (c'est le titre), sans plus avant enquérir, est communément reçue à dérision et gaudisserie. Mais par telle légèreté ne convient estimer les oeuvres des humains : car vous-mêmes dites que l'habit ne fait point le moine, et tel est vêtu d'habit monacal, qui au dedans n'est rien moins que moine, et tel est vêtu de cape espagnole, qui en son courage nullement affiert à l'Espagne. C'est pourquoi faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est déduit. Lors connaîtrez que la drogue dedans contenue est bien d'autre valeur que ne promettait la boîte. C'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont tant folâtres comme le titre au-dessus prétendait. Et, posé le cas qu'au sens littéral vous trouviez matières assez joyeuses et bien correspondantes au nom, toutefois pas demeurer là ne faut, comme au chant des Sirènes ; ains à plus haut sens interpréter ce que par aventure cuidiez dit en gaieté de coeur. Crochetâtes-vous onques bouteilles ? Réduisez à mémoire la contenance que aviez. Mais vîtes-vous onques chien rencontrant quelque os médullaire ? C'est, comme dit Platon, lib. II de Rep. la bête du monde plus philosophe. Si vu l'avez, vous avez pu noter de quelle dévotion il le guette, de quel soin il le garde, de quel ferveur il le tient, de quelle prudence il l'entomme, de quelle affection il le brise, et de quelle diligence il le suce. Qui le induit à ce faire ? Quel est l'espoir de son étude ? Quel bien prétend-il ? Rien plus qu'un peu de moelle. Vrai est que ce peu plus est délicieux que le beaucoup de toutes autres, pour ce que la moelle est aliment élabouré à perfection de nature comme dit Galen. III Facu. natural. et XI De usu parti. À l'exemple d'icelui vous convient être sages, pour fleurer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers au pourchas et hardis à la rencontre. Puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle, c'est-à-dire ce que j'entends par ces symboles pythagoriques, avec espoir certain d'être faits escors et preux à la dite lecture, car en icelle bien autre goût trouverez, et doctrine plus absconse, laquelle vous révèlera de très hauts sacrements et mystères horrifiques, tant en ce qui concerne notre religion que aussi l'état politique et vie économique. Source : Nony (Daniel) et André (Alain), Littérature française : histoire et anthologie, Paris, Hatier, 1990. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. 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