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René Chateaubriand: Levez-vous vite orages désirés...

Publié le 25/03/2011

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chateaubriand

René

Commentaire de texte

« Levez-vous vite, orages désirés ! »

 

C’est en exil en Angleterre pour échapper à la Révolution que Chateaubriand écrit René en 1802. Ce roman, inspiré de la vie réelle de l’auteur, fait le portrait d’un héros victime du « vague des passions ». Après avoir essayé d’échapper à son mal de vivre en voyageant puis en vivant en ville, René s’est réfugié à la campagne. L’extrait que nous allons étudier évoque ses promenades dans la nature.

Nous allons montrer que ce texte réunit tous les éléments qui ont permis aux romantiques du XIXème siècle de s’identifier à René. Nous verrons, dans un premier temps, qu’il présente les caractéristiques du héros romantique tourmenté. D’autre part, ce sont les images de la nature qui permettent d’exprimer le malaise intérieur du héros. Enfin, ce texte évoque la mort et l’au-delà comme seuls horizons possibles.

 

 

            Cet extrait met en scène un héros jeune et uniquement préoccupé de lui-même. Il est écrit à la première personne. Le narrateur dit « je » dans presque toutes les phrases : « j’éprouvais », j’entrai », « je m’égarais ». Quand il n’est pas sujet de l’action, il en est son complément d’objet ou de circonstance: « L’automne me surprit », « il fallait peu de chose à ma rêverie », « une feuille que le vent chassait devant moi ». Quand le « je » n’apparaît pas, c’est qu’il s’agit d’une phrase de généralisation qui englobe le « je » de René mais aussi celui du lecteur qui s’identifie ainsi plus facilement à lui. C’est ce procédé qui est utilisé dans la proposition  « on en jouit mais on ne peut les peindre ». Le pronom impersonnel renvoie à René  mais aussi au lecteur. C’est le même effet qui est produit avec le « nous » de la phrase : « Notre cœur est un instrument incomplet… ». Le fait d’être ainsi totalement centré sur soi renvoie à la situation historique des jeunes aristocrates. En exil, ils ne pouvaient rien faire d’autre que de s’occuper d’eux-mêmes.

            D’autre part, René est seul. Chateaubriand utilise la métaphore filée d’un « cœur solitaire…dans le silence du désert ». Même quand il croise un autre être humain, le pâtre, il reste en retrait et ne communique pas. Cette solitude, qui renvoie également à l’exil, est un thème important des héros romantiques : ils sont seuls face à un mal de vivre inexprimable.

            Le champ lexical des sentiments (éprouver, passion, foule de sensations, ravissement…) montre que René est un personnage exalté. Cela est aussi rendu par plusieurs procédés stylistiques. Chateaubriand utilise des phrases exclamatives (Qu’il fallait peu de choses à ma rêverie ! …où le jonc flétri murmurait ! …dans les espaces d’une autre vie !). Il commence ce passage par une question oratoire (Mais comment exprimer…dans mes promenades ?). Cette exaltation culmine dans le dernier paragraphe. Chateaubriand commence par une prosopopée (« Levez-vous vite…) et poursuit par une accumulation de participes présents et passés (disant, enflammé, sifflant, sentant, enchanté, tourmenté, possédé).

            Tout cela évoque un personnage survolté qui ressent trop « de sensations fugitives » et ne peut ni les trier ni les identifier. De ce fait, il ne sait pas ce qu’il veut. René hésite entre la noblesse du « guerrier errant » et l’humilité du « pâtre [réchauffant] ses mains à l’humble feu de broussailles ». Cette incertitude est à rapprocher de celle qu’éprouvaient les jeunes aristocrates en exil.

            Plus encore, René se laisse envahir par l’extérieur. Ce sont les éléments du paysage qui provoquent ses rêveries. Dans une même phrase, Chateaubriand accumule cinq exemples : une feuille, une cabane, la mousse, une roche, un étang. Ne dominant plus rien, le héros se perd. Chateaubriand écrit : « je m’égarais sur de grandes bruyères ». L’imparfait de répétition brouille les limites du temps. Perdu dans l’espace et dans le temps, ce héros romantique n’a plus de repère. Cela renvoie à la situation historique : la Révolution avait détruit l’ordre de l’Ancien Régime et en 1802, la première République en était déjà à son troisième régime, le Consulat.

         Enfin, René souffre et se complait dans ses tourments. Le champ lexical de la souffrance couvre tout le texte ( vide d’un cœur solitaire, chants mélancoliques, chant triste, soupirs, tourmenter…) et se croise avec celui de la jouissance (jouir, ravissement, envier, orages désirés, enflammé, enchanté, possédé…). Perdu dans l’espace et dans le temps,  ce héros romantique se raccroche au seul point fixe qui lui reste, sa souffrance. C’est à travers elle qu’il sent le monde et cela devient son seul plaisir.

         Les adolescents romantiques se sont retrouvés dans ce héros centré sur lui-même, solitaire, insatisfait, exalté, ne sachant plus ce qu’il veut ni où il en est et tourmenté par « le vague des passions ». Ce nouveau type de héros correspond bien aux jeunes aristocrates désœuvrés qui se sont retrouvés en exil en Angleterre et que Chateaubriand côtoyait en écrivant son roman. René a rencontré son public.

 

         Ce héros « égaré » a du mal à mettre des mots sur ce qu’il ressent. C’est pourquoi il utilise des métaphores et c’est la nature qui lui fournit les images dont il a besoin.

Dès le premier paragraphe, le narrateur établit un parallèle entre ses sensations et la nature. Il passe de l’imparfait de répétition dans la première phrase au présent de vérité générale dans la comparaison. Ainsi le « vide d’un cœur solitaire » devient sans hésitation possible « le silence du désert ». Cette métaphore filée oppose le son et le silence, le plein et le vide. Elle est bâtie sur un parallélisme entre les deux termes de la comparaison (les sons que rendent les passions dans…//le murmure que le vent et les eaux font entendre dans…). Elle est rythmée par des assonances (sons, passions, font et rendent, ressemblent, vents, entendre, dans silence) et des allitérations (sons, passions, solitaire, silence). « Solitaire » à la fin du premier terme de comparaison rime avec «désert » à la fin du deuxième terme de comparaison. L’écriture de Chateaubriand devient imagée, musicale et poétique. Ce lyrisme provoqué par la nature suggère l’inexprimable.

Au paragraphe suivant, l’automne renvoie aux tempêtes intérieures et à la mélancolie de la fin de vie. René y entre « avec ravissement ». L’automne lui parle de lui-même et entretient la tristesse dont il se délecte. La description de la nature devient morbide. Les éléments naturels qui déclenchent sa rêverie sont tous qualifiés par des termes qui renvoient à la solitude, à la décomposition et à la mort. La feuille est « séchée », la cime des arbres « dépouillée », la mousse « tremble », la roche est « écartée », l’étang « désert », le jonc « flétri». Cette nature est donc placée  sous le signe de la mort, thème cher aux romantiques et qui a marqué aussi les aristocrates réfugiés en Angleterre pendant la Révolution.

 

 

Ce thème de la mort nous permet d’aborder le troisième centre d’intérêt de ce texte. En proie au « vague des passions », René sent l’appel de l’au-delà.

L’important champ lexical de la mort, évoqué ci-dessus, montre que le narrateur est attiré par la mort et envisage le suicide comme solution à son désespoir. Puis, il utilise la métaphore des « oiseaux de passage » pour évoquer la condition humaine. Cette image des oiseaux migrateurs suggère la migration de l’âme vers Dieu après la mort. La religion apparaît avec l’image du clocher, seul élément vertical du paysage. Attiré vers le haut, René entend la voix de Dieu qui lui promet les « régions inconnues que [son] cœur demande ». De plus,  le texte utilise largement le champ lexical du vent ( vent dans le silence du désert, guerrier errant au milieu des vents, tempêtes, vent chassant la feuille, souffle du nord, vent de la mort, orages, vent sifflant dans la chevelure). Cette image omniprésente du vent fait allusion au souffle divin de la Bible qui transfigure tout.

Le dernier paragraphe commence par la célèbre exhortation : « Levez-vous vite, orages désirés... » Le narrateur, ayant rencontré Dieu, retrouve une énergie débordante. Il parle de lui-même à la troisième personne ( « qui devez emporter René ») comme s’il était sorti de lui-même pour aller à la rencontre du divin. Dans la dernière phrase, il devient enfin sujet de ses actions. «  Ainsi disant, il marchait à grands pas… » Il marche dans les éléments naturels et ne se laisse plus envahir par les suggestions précédentes (« ne sentant ni pluie, ni frimas »). C’est donc Dieu qui permet à ce héros en proie au « vague des passions » de repartir dans la vie.

 

 

En conclusion, René incarne bien les souffrances du héros romantique, souffrances qui s’expriment dans l’évocation lyrique de la nature et trouvent leur solution dans une vision religieuse. Victime du « vague des passions », comme les jeunes aristocrates exilés en Angleterre sous la Révolution, toute une génération d’adolescents romantiques s’est retrouvée dans ce héros au point que Chateaubriand, lui-même, dans Les Mémoires d’Outre-Tombe a regretté de l’avoir créé.

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