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Samuel Beckett, Acte sans parole I

Publié le 27/02/2008

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beckett

Acte sans

paroles

Présentation

Acte sans paroles est un mimodrame de 1957, une pièce sans paroles écrite

pour le mime. Un personnage, expulsé de la coulisse, est confronté à des objets

curieux tombés des cintres. Tentant d’attraper une carafe d’eau, l’homme doit faire

face à des objets qui tombent : cubes, ciseaux de tailleur, arbre.

Ce personnage, à la Buster Keaton, doit faire face à un monde absurde. Il

demeurera condamné à être un pantin désarticulé et électrocuté à coups de grosse

caisse. En tentant d’attraper une carafe accrochée au plafond, montée ou descendue

au gré de l’humeur du meneur de jeu qui « tire les ficelles » ( au sens propre du

terme ). La musique accompagne ponctuellement les mouvements et les

événements qui ont lieu dans les champs de vision.

Le mimodrame

Définition

Le mimodrame est genre dramatique basé sur le langage corporel des

comédiens ou danseurs et généralement sans aucun dialogue. Il peut en outre être

accompagné par la musique ou tout simplement joué en silence. Parfois, les

différentes de l’action dramatique peuvent être annoncées par un écriteau, une

projection, ou commenté par un récitant, une voix enregistrée. Le style du

mimodrame peut très différent selon les époques et l’influence des écoles de mime.

Cela peut être un solo de mime (Barrault dans Le cheval en 1956) ou encore une

action dramatique jouée par une compagnie (compagnie Marcel Marceau dans Le

manteau en 1951). Le mimodrame se différencie du pantomime essentiellement par

le caractère dramatique ou tragique de son scénario.

Un peu d’Histoire…

Le mimodrame prit naissance, lorsque l’autorité, dans le but de protéger le

théâtre royal contre une concurrence dangereuse, interdit tout empiètement sur leur

domaine aux théâtres secondaires. Tantôt le nombre des personnages qui pouvaient

occuper la scène fut limité, tantôt on ne permit la parole qu’à un seul, tantôt tous les

personnages durent rester muets et se contenter du geste, pendant qu’on déclamait

l’ouvrage derrière la toile de fond ou dans les coulisses. Parfois même ils portèrent

des écriteaux, indiquant aux spectateurs ce que le geste seul n’aurait pu leur faire

comprendre. Le mimodrame chercha des moyens, pour séduire le public, dans la

beauté des décors, la richesse des costumes, le nombre et les manoeuvres des

comparses, et l’on eut ce qu’on appelle encore aujourd’hui des pièces à spectacles.

Il a eu son plus beau théâtre au cirque Olympique de Paris.

Le mimodrame de nos jours

Dans la première moitié du XXème siècle, les réformateurs du théâtre en

Europe ouvrent des voies nouvelles à l’acteur. C’est surtout le travail du corps qui

permet de renouveler le jeu de l’acteur. En 1913, Craig veut obtenir des mimodrames

par les improvisations d’élèves à l’arena de Florence. Meyerhold nomme pantomime

les exercices sur canevas par lesquels les élèves du studio de Moscou doivent

passer (1914-1915). Chez Coppeau, on appelle « masque » les improvisations

silencieuses des étudiants de l’école du Vieux-Colombier (1923-1924). Mais il s’agit

en fait de découvertes très voisines sur une dramaturgie obtenue par des moyens

physiques sans le secours de l’auteur.

Le renouveau du mime en France, après 1930, donne lieu à des créations

dont la communication repose sur une catégorie de signes peu sollicités jusqu’à là

par les auteurs dramatiques : ceux de l’écriture corporelle. Nous pouvons citer dans

cette catégorie le premier spectacle de Decroux en 1931, La vie primitive, puis La

faim, création de Barrault en 1938 ainsi que deux solos de mimes remarquables de

Barrault en 1950, Maladie, Agonie et Mort, suivi par Le cheval et enfin les premiers

mimodrames du célèbre mime Marceau entre 1947 et 1956. L’intérêt de ces

créations a été surtout de démontrer, en marge d’une vie théâtrale majoritairement

alimentée par les écrivains, qu’une recherche sur l’auteur peut être menée hors des

textes afin de « rejeter les conventions usées du théâtre » (P.Brook ) et d’élargir le

champ des langages de la scène. Ces productions ont eu une grande influence sur

l’apparition des créations collectives et des happenings des années soixante a été,

tout autant que celle d’Artaud, déterminante.

Brook aura été de ceux qui ont « fait des expériences avec le silence » par

une remise en cause des méthodes de travail de la scène. Il aura été de ceux qui ont

le plus « travailler à trouver différents langages en dehors des mots ».

Marcel Marceau

Eléments d’analyse

Les thèmes

La condition humaine : destin d’un

être soumis

Acte sans paroles est une parabole de la naissance, de

l’évolution, de la lutte de l’homme avec le monde, la vie, la divinité.

Métaphoriquement nu dans un monde désertique, cet homme est

tout de suite appelé à agir. Et tout de suite, il connaît la douleur, la

tromperie, les séductions, les désillusions. Le monde, autour de lui,

se peuple de choses, d’objets, de couleurs, de sons qui, à première

vue, l’attirent et lui donnent de nouvelles possibilités d’existence.

Mais ils se révoltent contre lui. Cependant, à la fin de son chemin de

connaissance l’homme ne sort pas vaincu, il se dresse au centre du

monde en une position de défi, ferme, tandis que tout autour de lui se déchaîne un

monde de sollicitation qui ne peut attaquer son obstination à vivre. C’est le miroir

exact de ce que nous transmet la tragédie Winnie (Oh les beaux jours). C’est

l’introduction à la phase finale dans laquelle nous verrons Winnie enterrée jusqu’au

cou et pourtant plus que jamais attachée à défendre sa propre survie.

C’est pourtant un héros passif dans ce mime, parce qu’il est soumis à sa

condition d’être et d’être là, il incarne l’un des aspects, l’un des pôles situationnels

des figures est la position embryonnaire qui représente le mieux l’état idéal de l’être,

l’état de foetus dans le ventre maternel : l’être y est protégé. Il est hors d’atteinte.

Pourtant, soumis à sa condition d’être humain, l’homme marionnette, à qui même la

mort est refusée, doit se résigner au rôle attribué par le destin : « Sisyphe sans

larmes ».

Le mythe de Sisyphe

Le mythe de Sisyphe est sous-jacent au mime de Beckett,

de par le statut tragique et absurde du personnage.

Dans la mythologie grecque, Sisyphe était le fils d’Eole (un

mortel) et d’Enarété et devint fondateur de Corinthe. Il épousa

Mérope, fille d’Atlas, une des Pléiades, de qui il eut trois enfants :

Ornytion, Sinon et Glaucos (le père de Bellérophon). Son ascendance et sa

descendance sont citées dans l’Iliade.

Sisyphe fut surtout connu pour avoir osé déjouer la Mort elle-même

(Thanatos). Quand son heure fut venue et que celle-ci vint le chercher, il l’enchaîna

de sorte qu’elle ne put l’emporter aux enfers. Voyant que personne ne mourait, Zeus

envoya Arès délivrer la Mort. Mais Sisyphe avait préalablement instruit son épouse

de ne pas lui faire de funérailles adéquates. Ainsi, il put convaincre Hadès de le

laisser repartir chez les vivants pour régler ce problème. Une fois revenu à Corinthe,

il refusa de retourner parmi les morts. La Mort dut venir le chercher de force. Pour

avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné à rouler éternellement une pierre

jusqu’en haut d’une colline alors qu’elle retombait chaque fois avant de parvenir à

son sommet.

« On a compris déjà que Sisyphe est le héros absurde. Il l’est autant

par ses passions que par son tourment. Son mépris des dieux, sa haine de la mort et

sa passion pour la vie, lui ont valu ce supplice indicible où tout l’être s’emploie à ne

rien achever. C’est le prix qu’il faut payer pour les passions de cette terre. On ne

nous dit rien sur Sisyphe aux enfers. Les mythes sont faits pour que l’imagination les

anime. Pour celui-ci, on voit seulement tout l’effort d’un corps tendu pour soulever

l’énorme pierre, la rouler et l’aider à gravir une pente cent fois recommencée ; on voit

le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d’une épaule qui reçoit la

masse couverte de glaise, d’un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté

tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré

par l’espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde

alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d’où il faudra

remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine (…).

Si ce mythe est tragique, c’est que son héros est conscient. Où serait

en effet sa peine, si à chaque fois l’espoir de réussir le soutenait ? L’ouvrier

d’aujourd’hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n’est

pas moins absurde. Mais il n’est tragique qu’aux rares moments où il devient

conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté connaît toute l’étendue

de sa misérable condition : c’est à elle qu’il pense pendant sa descente. La

clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il

n’est pas de destin qui ne se surmonte pas par le mépris. » (« Le mythe de

Sisyphe », Albert Camus.

Le comique et la farce

Si ce Sisyphe moderne, condamné à essayer d’attraper la

carafe d’eau pour assouvir son désir de boire, est indiscutablement

tragique, il reste que l’amour de Beckett pour ses misérables

personnages et son utilisation du mime, et du comique de situation

qu’il peut engendrer, rapproche son personnage du clown.

On reconnaît ici et dans toute l’oeuvre de Samuel Beckett une

immédiateté physique très sensible de son théâtre, on y trouve des

didascalies décrivant des postures et des gestes des personnages

qui occupent autant sinon plus de place que le proprement dit ou

l’esquive complètement comme c’est le cas ici.

De ce point de vue, Beckett est indiscutablement, seul grand écrivain de ce

siècle, dans une tradition du théâtre comique. Face au personnage, on rit de ses

déconvenues pourtant tellement pathétiques. Le personnages se trouvent confronté

à un monde absurde, il se « bat » avec des objets communs comme des cubes, une

paire de ciseaux et une carafe d’eau : c’est là que réside le comique de ce mime.

Comme dans le burlesque, l’humour tient à l’extravagance de la situation bien qu’elle

pathétique. L’avantage du mime c’est que les sentiments pathétiques sont moins

explicitement exprimés. On est proche, ici de la farce.

Corps, objets et espace

Dans Acte sans paroles, Il n’y a aucun son hormis la musique

de John et les coups de sifflet qui provoquent les mouvement et les

événements du personnage, la descente d’objets des cintres ou leur

remontée : une carafe d’eau, deux cubes, une paire de ciseaux, une

corde. La musique accompagne ponctuellement les mouvements et

les événements qui ont lieu dans le champs de la vision (sur scène) ;

elle semble les gouverner, et devient intrinsèque au visuel. Le

phénomène visuel en est désémantisé et l’espace est utilisé comme

pour une chorégraphie.

L’espace est tissé par le mouvement des objets qui sont tous mobiles. Le

mouvement est ordonné par les sons et devient proche de l’espace subjectif minimal,

insensé et purement fonctionnel pour l’apparition ou la disparition d’un objet.

A l’évidence, l’une des questions qui noyautent l’écriture beckettienne et à

laquelle Belacqua prêtait déjà son visage est celle de l’espace. En effet, pour le sujet,

l’espace se structure en fonction du désir, en l’occurrence, ici, celui essentiel de la

soif. Comme le nouveau-né essaie de s’emparer du sein de sa mère, le personnage

veut devenir maître de la carafe d’eau, et il opère alors dans ce but différentes

combinaisons d’ordre syntaxique avec les autres objets. Mais la carafe demeurera

imprenable.

Concernant l’utilisation de l’espace dans le théâtre de Beckett, il semble que

celui-ci ait exploré jusqu’à leur réduction extrême les possibilités de la forme

théâtrale. Parti de la littéralité du théâtre comme morceau d’espace et morceau de

temps à remplir, il a, à l’intérieur de cette double clôture, joué avec tous les possibles

de la parole et du jeu pour les ramener à l’épure.

Beckett opère également une disjonction du corps et de la voix. Il démembre

en quelque sorte le corps de la représentation théâtrale dont il sépare les éléments.

Le langage

Avec Acte sans paroles, Samuel Beckett explore le théâtre

sans paroles comme avec Va-et-vient (1955), et d’un autre côté, il

explore également le théâtre qui n’est que parole avec des pièces

radiophoniques : Cendres (1959), Paroles et musiques (1959), Cascando (1962).

Dans ces pièces la physique du théâtre est tout entière dans la montée difficile et

spasmodique du dire, dans cette respiration des mots qui, à la limite, se confond

avec une musique.

Stéréo appartient à cette quête théâtrale qui repose sur l’exploration du

langage sous toute ses formes et plus particulièrement sur la dichotomie et la

symbiose du dire et du faire. Qui mieux que Beckett pouvait se prêter à une

recherche langagière ? On connaît les obsessions qui sont le fondement de son

théâtre de l’absurde : incommunicabilité entre les êtres, répétition et ressassement

d’une parole impuissante ou de gestes vains, entre autres.

OEuvres théâtrales et oeuvres romanesques témoignent chez Beckett d’une

même visée centrale : atteindre une nudité du langage, ou plus exactement de la

parole, qui révèlent la condition humaine. Cette visée donne à ses textes leur vérité

universelle et en même temps un dépouillement presque abstrait. Qu’il s’agisse des

pièces,des romans ou des nouvelles, la thématique est apparemment la même,

indéfiniment répétitive : le temps humain, l’attente, la quotidienneté, la solitude,

l’aliénation, la mort, l’errance, la non communication, la déchéance, et aussi plus

rarement l’espoir, le souvenir, le désir.

Peut-être que la simplicité déconcertante des textes de Beckett est le résultat

de ce dernier, qui, cherchant à résoudre l’absurdité du monde, fuit depuis toujours

une parole vaine qui sépare les hommes au lieu de les rapprocher. Beckett cherche

en vérité à abolir tout dialogue et d’user d’une didascalie envahissant le texte théâtral

afin de remplacer le langage par un autre car Beckett l’a bien compris : « Le langage

est d’abord et avant tout un système de gestes » (cf. l’anthroplogue britannique

Gregory Bateson). Il crée ainsi une véritable syntaxe gestuelle basée sur la

réitération d’actes qui deviennent prévisibles pour le spectateur. L’ensemble de

l’oeuvre de Samuel Beckett tend à montrer que toute tentative de langage, qu’elle

obéisse à une modalité kinésique (gestualité corporelle) ou prosodique (gestualité

vocale) est vouée à l’échec.

L’exploration est totale, Beckett ne privilégie pas une forme de langage à une

autre : la dernière partie de Sréréo fait l’objet, au contraire de Acte sans paroles,

d’une saturation langagière en mêlant différentes formes d’énonciation : la musique

et le chant, le discours d’un conférencier ou encore les cris et les gémissements,

anglais et français. Quelque soit le choix de Beckett, il s’agit à chaque fois d’un de

l’échec du langage et de la communication.

Un nouveau

théâtre

L’originalité de l’oeuvre théâtrale de Samuel Beckett tient avant tout à une

terrible simplicité dérangeante. Elle joue à rien. Ou plutôt, elle joue à la limite ou avec

les limites de ce que nous appelons ordinairement « le théâtre » et tous ces genres

et sous-genres qui s’y rattachent : tragédie, comédie, tragicomédie, farce, etc. Le

théâtre beckettien nous ramène vers un questionnement de ce qui est fondamental

au théâtre sans lequel il n’y aurait pas de théâtre, c’est-à-dire les relations entre voix,

corps, acteur, rôle, personnage, oeuvre et spectateur. En effet, l’acteur beckettien

n’existe que dans la mesure où il se pose vertigineusement et dangereusement la

question du statut non seulement de son propre discours, comme le font Vladimir,

Hamm, Winnie et Haddy, mais le « tout » discours théâtral. Et pourtant le théâtre

beckettien ne cède jamais au nihilisme fataliste et réducteur. Le personnage pousse

les limites de sa condition d’être humain afin d’évaluer les possibilités de son

existence, il joue avec les limites de la pensée et du corps, limites de la souffrance et

du sens, mais il joue aussi avec nos limites en tant que spectateurs et lecteurs.

Loin de se figer dans une apothéose du néant, le jeu théâtral beckettien se

situe donc aux frontières mouvantes entre être et non-être, sens et non-sens,

comédie et tragédie, voix et silence.

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