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Sartre, Huis clos (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Sartre, Huis clos (extrait). Avec Huis clos, Sartre pose la question des relations entre individus et de l'impossibilité d'y échapper, autrement dit lorsque « l'enfer, c'est les Autres «. L'action se déroule dans le salon d'une chambre d'hôtel, où sont tenus enfermés pour l'éternité deux femmes et un homme, tous trois réprouvés : Inès la perverse, Estelle l'infanticide et Garcin le déserteur. Ces trois personnages, condamnés à l'enfer, ne peuvent échapper au néant de la mort, et pourtant ils conservent la psychologie des vivants, entretenant des rapports de désir, de jalousie et de haine. Huis clos de Jean-Paul Sartre (scène 5) INÈS. -- Tu as rêvé trente ans que tu avais du coeur ; et tu te passais mille petites faiblesses parce que tout est permis aux héros. Comme c'était commode ! Et puis, à l'heure du danger, on t'a mis au pied du mur et... tu as pris le train pour Mexico. GARCIN. -- Je n'ai pas rêvé cet héroïsme. Je l'ai choisi. On est ce qu'on veut. INÈS. -- Prouve-le. Prouve que ce n'était pas un rêve. Seuls les actes décident de ce qu'on a voulu. GARCIN. -- Je suis mort trop tôt. On ne m'a pas laissé le temps de faire mes actes. INÈS. -- On meurt toujours trop tôt -- ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée : le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n'es rien d'autre que ta vie. GARCIN. -- Vipère ! Tu as réponse à tout. INÈS. -- Allons ! allons ! Ne perds pas courage. Il doit t'être facile de me persuader. Cherche des arguments, fais un effort. (Garcin hausse les épaules.) Eh bien, eh bien ? Je t'avais dit que tu étais vulnérable. Ah ! comme tu vas payer à présent. Tu es un lâche, Garcin, un lâche parce que je le veux. Je le veux, tu entends, je le veux ! Et pourtant, vois comme je suis faible, un souffle ; je ne suis rien que le regard qui te voit, que cette pensée incolore qui te pense. (Il marche sur elle, les mains ouvertes.) Ha ! elles s'ouvrent, ces grosses mains d'homme. Mais qu'espères-tu ? On n'attrape pas les pensées avec les mains. Allons, tu n'as pas le choix : il faut me convaincre. Je te tiens. ESTELLE. -- Garcin ! GARCIN. -- Quoi ? ESTELLE. -- Venge-toi. GARCIN. -- Comment ? ESTELLE. -- Embrasse-moi, tu l'entendras chanter. GARCIN. -- C'est pourtant vrai, Inès. Tu me tiens, mais je te tiens aussi. (Il se penche sur Estelle. Inès pousse un cri.) INÈS. -- Ha ! lâche ! lâche ! Va ! Va te faire consoler par les femmes. ESTELLE. -- Chante, Inès, chante ! INÈS. -- Le beau couple ! Si tu voyais sa grosse patte posée à plat sur ton dos, froissant la chair et l'étoffe. Il a les mains moites ; il transpire. Il laissera une marque bleue sur ta robe. ESTELLE. -- Chante ! Chante ! Serre-moi plus fort contre toi, Garcin ; elle en crèvera. INÈS. -- Mais oui, serre-la bien fort, serre-la ! Mêlez vos chaleurs. C'est bon l'amour, hein Garcin ? C'est tiède et profond comme le sommeil, mais je t'empêcherai de dormir. Geste de Garcin. ESTELLE. -- Ne l'écoute pas. Prends ma bouche ; je suis à toi tout entière. INÈS. -- Eh bien, qu'attends-tu ? Fais ce qu'on te dit, Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l'infanticide. Les paris sont ouverts. Garcin le lâche l'embrassera-t-il ? Je vous vois, je vous vois ; à moi seule je suis une foule, la foule. Garcin, la foule, l'entends-tu ? (Murmurant.) Lâche ! Lâche ! Lâche ! Lâche ! En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas. Que vas-tu chercher sur ses lèvres ? L'oubli ? Mais je ne t'oublierai pas, moi. C'est moi qu'il faut convaincre. Moi. Viens, viens ! Je t'attends. Tu vois, Estelle, il desserre son étreinte, il est docile comme un chien... Tu ne l'auras pas ! INÈS. -- Eh bien, qu'attends-tu ? Fais ce qu'on te dit, Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l'infanticide. Les paris sont ouverts. Garcin le lâche l'embrassera-t-il ? Je vous vois, je vous vois ; à moi seule je suis une foule, la foule. Garcin, la foule, l'entends-tu ? (Murmurant.) Lâche ! Lâche ! Lâche ! Lâche ! En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas. Que vas-tu chercher sur ses lèvres ? L'oubli ? Mais je ne t'oublierai pas, moi. C'est moi qu'il faut convaincre. Moi. Viens, viens ! Je t'attends. Tu vois, Estelle, il desserre son étreinte, il est docile comme un chien... Tu ne l'auras pas ! GARCIN. -- Il ne fera donc jamais nuit ? INÈS. -- Jamais. GARCIN. -- Tu me verras toujours ? INÈS. -- Toujours. Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce. Il s'approche du bronze. GARCIN. -- Le bronze... (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres. Source : Sartre (Jean-Paul), Huis clos, Paris, Gallimard, 1947. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« Garcin, la foule, l’entends-tu ? (Murmurant.) Lâche ! Lâche ! Lâche ! Lâche ! En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas.

Que vas-tu chercher sur ses lèvres ? L’oubli ? Mais je ne t’oublierai pas, moi.

C’est moi qu’il faut convaincre.

Moi. Viens, viens ! Je t’attends.

Tu vois, Estelle, il desserre son étreinte, il est docile comme un chien… Tu ne l’auras pas ! INÈS .

— Eh bien, qu’attends-tu ? Fais ce qu’on te dit, Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l’infanticide.

Les paris sont ouverts.

Garcin le lâche l’embrassera-t-il ? Je vous vois, je vous vois ; à moi seule je suis une foule, la foule. Garcin, la foule, l’entends-tu ? (Murmurant.) Lâche ! Lâche ! Lâche ! Lâche ! En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas.

Que vas-tu chercher sur ses lèvres ? L’oubli ? Mais je ne t’oublierai pas, moi.

C’est moi qu’il faut convaincre.

Moi. Viens, viens ! Je t’attends.

Tu vois, Estelle, il desserre son étreinte, il est docile comme un chien… Tu ne l’auras pas ! GARCIN .

— Il ne fera donc jamais nuit ? INÈS .

— Jamais. GARCIN .

— Tu me verras toujours ? INÈS .

— Toujours. Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce.

Il s’approche du bronze. GARCIN .

— Le bronze… (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment.

Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer.

Je vous dis que tout était prévu.

Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi.

Tous ces regards qui me mangent… (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses.

(Il rit.) Alors, c’est ça l’enfer.

Je n’aurais jamais cru… Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie.

Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les Autres. Source : Sartre (Jean-Paul), Huis clos, Paris, Gallimard, 1947. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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