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se borne à concevoir ces Idées étrangères à toute relation

Publié le 23/10/2012

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se borne à concevoir ces Idées étrangères à toute relation ; si, par suite, il s'arrête avec plaisir dans cette contemplation ; si enfin il s'élève, par le fait, au-dessus de lui-même, au-dessus de sa personnalité, au-dessus de sa volonté, au-dessus de toute volonté : dans ce cas, c'est le sentiment du sublime qui le remplit ; il est dans un état de ravissement (Erhebung ), et c'est pour cela que l'on appelle sublime (erhaben) l'objet qui occasionne cet état. Voici ce qui distingue le sentiment du sublime de celui du beau : en présence du beau, la connaissance pure se dégage sans lutte ; car la beauté de l'objet, c'est-à-dire sa propriété de faciliter la connaissance de l'Idée relègue à l'écart sans résistance, par conséquent à notre insu, la volonté ainsi que les relations qui contribuent à son service ; la conscience reste alors à titre de sujet connaissant pur, de sorte que de la volonté il ne survit pas seulement un souvenir ; au contraire, en présence du sublime, la première condition, pour parvenir à l'état de pure connaissance, est de nous arracher consciemment et violemment aux relations de l'objet que nous savons défavorables à la volonté ; nous nous élevons, par un essor tout plein de liberté et de conscience, au-dessus de la volonté et de la connaissance qui s'y rapporte. Il ne suffit pas que nous prenions consciemment notre essor, il faut encore le maintenir ; il est accompagné d'une réminiscence constante de la volonté, non d'une volonté particulière et individuelle, telle que la crainte ou le désir, mais de la volonté humaine en général, dans la mesure où elle se trouve exprimée par son objectité, le corps humain. Supposons qu'un acte volontaire réel et particulier se manifeste dans la conscience par l'effet d'une détresse véritable de l'individu, d'un danger que les objets extérieurs lui font courir : tout aussitôt la volonté individuelle, effectivement atteinte, reprend le dessus ; la contemplation sereine devient impossible ; c'en est fait de l'impression du sublime ; elle est remplacée par l'angoisse, et l'effort de l'individu pour se tirer d'affaire relègue à l'écart toutes ses autres pensées... L'homme est à la fois impulsion volontaire, obscure et violente, et sujet connaissant pur, doué d'éternité, de liberté et de sérénité ; il est, à ce double titre, caractérisé à la fois par le pôle des parties génitales considéré comme foyer, et par le pôle du front... Transportons-nous dans une contrée solitaire ; l'horizon est illimité, le ciel sans nuages ; des arbres et des plantes dans une atmosphère parfaitement immobile ; point d'animaux, point d'hommes, point d'eaux courantes ; partout le plus profond silence ; — un pareil site semble nous inviter au recueillement, à la contemplation, tout affranchie de la volonté et de ses exigences : c'est précisément cela qui donne à un pareil paysage, simplement désert et recueilli, une teinte de sublime. En effet, comme il n'offre aucun objet favorable ou défavorable à la volonté sans cesse en quête d'efforts et de succès, l'état de contemplation pure demeure seul possible, et celui qui n'est point capable de s'y élever demeure, à sa grande honte, livré au désoeuvrement d'une volonté inoccupée, au tourment de l'ennui. En présence d'un pareil site, nous donnons la mesure de notre valeur intellectuelle ; c'est une excellente pierre de touche, que notre plus ou moins grande aptitude à supporter ou à aimer la solitude. Le site que nous venons de décrire nous a donné un exemple du sublime, bien qu'à son plus faible degré ; car ici à l'état de connaissance pure, tout plein de sérénité et d'indépendance, se mêle par contraste un souvenir de cette volonté dépendante et misérable, toujours en quête de mouvement. — Ce genre de sublime est celui que l'on vante dans le spectacle des immenses prairies du centre de l'Amérique du Nord. Figurons-nous maintenant une telle contrée dépouillée de ses plantes elles-mêmes ; il n'y a plus que des rochers dénudés : notre volonté se trouvera aussitôt inquiétée par l'absence de toute nature organique nécessaire à notre subsistance ; le désert prendra un aspect effrayant ; notre disposition deviendra plus tragique : nous ne pourrons nous élever à l'état de pure connaissance, à moins de nous abstraire franchement des intérêts de la volonté; et tout le temps que nous persisterons dans cet état, le sentiment du sublime dominera nettement en nous. Voici un nouvel aspect de la nature qui va nous donner le sentiment du sublime à un degré encore supérieur. La nature est en plein orage, en pleine tourmente ; un demi-jour filtre à travers des nuages noirs et menaçants ; des rochers immenses et dénudés surplombent, ils nous encaissent et ferment notre horizon ; l'eau furieuse bouillonne ; le désert création des caractères ; remarquons toutefois que les situations et les caractères ne peuvent nous toucher que s'ils sont eux-mêmes d'une vérité absolue ; le manque d'unité dans les caractères, les contradictions, le désaccord avec la nature, l'impossibilité ou, ce qui ne vaut guère mieux, l'invraisemblance des situations, même dans le détail, sont aussi choquants en poésie qu'un dessin mal exécuté, une perspective irrégulière ou une lumière mal distribuée, en peinture. Nous demandons à l'art, dans l'un et l'autre cas, d'être le miroir fidèle de la vie, de l'humanité et de la réalité : il ne doit que leur donner plus de clarté par la peinture des caractères et plus de relief par la disposition des situations. L'art, sous toutes ses formes, a donc toujours pour but d'exprimer l'Idée ; ce qui distingue les différents arts, c'est le degré d'objectivation de la volonté, représenté par l'Idée dans chacun d'eux ; de là dépend aussi la matière propre à chaque art ; aussi les arts, même les plus différents, peuvent-ils s'expliquer par leur rapprochement. Ainsi, par exemple, pour saisir adéquatement l'Idée de l'eau, il ne suffit pas de la voir immobile dans un étang ou même coulant dans le lit d'une rivière ; il faut encore l'examiner dans des conditions particulières, en présence de forces contraires qui permettent d'observer toutes ses propriétés. Aussi l'admirons-nous quand elle court, gronde, écume et rejaillit, quand elle se brise dans sa chute, ou s'élance en un jet puissant, grâce à une artificieuse contrainte : c'est dans ces différentes conditions qu'elle montre son caractère sous ses différents aspects, tout en restant parfaitement une et identique à elle-même ; il n'est pas moins dans sa nature de jaillir en l'air que d'être immobile et de refléter le ciel ; elle est indifférente à ces états et s'y prête suivant les circonstances. Or, ce que l'ingénieur fait pour les liquides et l'architecte pour les solides, le poète, dans le drame ou l'épopée, le fait pour l'Idée de l'humanité. Tous les arts ont pour but commun de développer et d'éclaircir l'Idée qui constitue l' oeuvre d'art, la volonté à chaque degré de son objectivation. La vie humaine, telle que la réalité nous la présente le plus souvent, ressemble à l'eau telle que nous la voyons d'ordinaire dans l'étang ou dans le fleuve ; mais dans le roman, l'épopée, la tragédie, le poète choisit ses caractères et les place dans des situations telles que leurs SCHOPENHAUER 10

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