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père réel, père imaginaire, père symbolique.

Publié le 07/04/2015

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père réel, père imaginaire, père symbolique. Registres différents sous lesquels se présente la paternité, dans la mesure où on la rapporte à la fonction complexe qui est la sienne.

Si le complexe d'CEdipe*, posé par S. Freud comme constitutif pour le sujet humain, semble d'abord s'ordon­ner comme triangulation, l'enfant pre­nant comme objet d'amour le parent du sexe opposé et rivalisant avec le parent du même sexe, il est certain que les positions de la mère et du père ne sont pas équivalentes.

Comment concevoir en effet ce qu'il en est du père ? A la fois objet d'une identification* primaire, pris d'emblée comme idéal, il apparaît en même temps, au moins chez le garçon, comme le rival, lorsque l'enfant tente de s'approprier le premier objet

d'amour, la mère. Chez la fille, les choses se compliquent encore du fait que dans un premier temps cet objet d'amour est le même, et que, au moins pour Freud, ce n'est qu'au terme d'une histoire que le père peut être choisi comme objet. Mais surtout on ne peut manquer de s'apercevoir qu'il y a une distance importante entre la figure du père dans le mythe oedipien et la per­sonnalité du père telle qu'elle apparaît dans la réalité familiale. Ce n'est pas dire qu'un de ces deux termes doit être disqualifié au profit de l'autre, mais cela oblige à distinguer les niveaux et les fonctions de nos références au père, d'autant que ces distinctions sont essentielles dans l'expérience de la cure.

Appelons, dans un premier temps, père réel le père concret, celui de la réalité familiale, celui qui a ses parti­cularités, ses choix, mais aussi ses diffi­cultés propres. Sa place effective dans la famille varie, à la fois en fonction de la civilisation, qui ne semble pas tou­jours lui laisser les coudées franches, mais aussi en fonction de son histoire singulière, qui ne va pas sans impasses ou inhibitions. Or c'est de ce père, pourrait-il sembler, qu'il est attendu beaucoup : qu'il fasse valoir la loi sym­bolique, qui est d'abord prohibition de l'inceste, qu'il ménage un accès tem­péré à la jouissance sexuelle. En ce sens, «il faudrait, souligne J. Lacan (le Mythe individuel du névrosé, 1953), que le père [...] représente dans toute sa plénitude la valeur symbolique cristallisée dans sa fonction.« Or, dit-il, «ce recouvre­ment du symbolique et du réel est absolument insaisissable. Au moins dans une structure sociale telle que la nôtre, le père est toujours, par quelque côté, un père discordant par rapport à sa fonction, un père carent, un père humilié comme dirait M. Claudel. «

Cette discordance a des consé­quences essentielles. Dès 1938, dans un article sur la Famille: le complexe,

facteur concret de la psychologie familiale; les Complexes familiaux en pathologie, Lacan voit dans la carence du père par rapport à ce qu'implique sa fonction le « noyau « de «la grande névrose contemporaine «. C'est en effet lorsque l'enfant rencontre dans le père un obs­tacle un peu consistant que se ren­forcent «l'élan instinctif« et la «dialectique des sublimations «. Autre­ment, c'est «l'impuissance et l'utopie, marraines sinistres installées au ber­ceau du névrosé «.

Sans doute cependant n'est-il pas satisfaisant de présenter la question de la carence du père comme si elle pou­vait être représentée sur une échelle de valeur unique, le père réel ayant à se mettre à la hauteur exigible du père symbolique. La fonction paternelle ne peut être exposée dans sa complexité que si l'on spécifie ce qui relève du symbolique, de l'imaginaire et du réel, comme trois ordres différenciés.

Le père symbolique, c'est celui auquel renvoie la loi, l'interdit étant toujours, dans la structure, proféré au Nom-du-Père*. On peut ajouter que c'est le père mort: si Freud, dans Totem et Tabou (1912-13), fonde l'interdit sur la culpabilité des fils après le meurtre du père de la horde primitive, c'est sans doute que dans l'inconscient de chacun la Loi est référée avant tout à une ins­tance idéalisée, ou mieux encore à un pur signifiant. C'est en tant qu'il y a un signifiant du Nom-du-Père qu'il peut y avoir castration*, c'est-à-dire cette opé­ration qui limite et ordonne le désir du sujet. Cette castration n'est bien sûr pas une mutilation réelle. Elle ne se confond pas davantage avec les repré­sentations fantasmatiques de démem­brement, d' éviration ou d'éventre-ment. Pourtant cet imaginaire est présent chez le sujet, et d'autant plus encombrant que la castration symbo­lique a mal fonctionné. Quant au père imaginaire, qu'il apparaisse comme terrible ou comme débonnaire, ce qui

lui est attribué, c'est la castration, ou mieux la privation* de la mère, le fait qu'elle ne possède pas le phallus sym­bolique auquel l'enfant s'est d'abord identifié. Dans la logique de la théorie freudienne, c'est parce qu'il bute contre le manque de la mère que l'en­fant est introduit à la question de sa propre castration.

Dans cette perspective il faut faire, avec Lacan, une place à part à la notion de père réel. La fonction du père réel n'est pas de proférer l'interdit, qui résulte finalement de la prise du lan­gage sur le sujet humain, et qui s'orga­nise autour du Nom-du-Père. Le père réel est celui qui permet à l'enfant d'avoir accès au désir sexuel, celui qui permet notamment au garçon d'avoir une position virile. Pour cela, il convient que le père réel puisse faire la preuve qu'il possède l'atout maître, le pénis réel: l'interdit ne peut faire passer le sujet à une position sexuée qu'à la condition que la mère, interdite pour lui, ne soit interdite que parce que le père la possède, non parce que la sexualité serait en général activité vul­gaire ou inconvenante. Si le père de la réalité peut être dit carent, c'est en tant qu'il ne soutient pas la fonction du père réel pris en ce sens. On veillera cepen­dant à ne pas prendre tous ces énoncés comme des normes proposées à l'homme contemporain: pas plus qu'elle ne prêche pour la loi (par exemple dans les institutions psychia­triques où l'on a trop confondu le règle­ment avec la loi symbolique), la psychanalyse ne commande au père réel un comportement déterminé par rapport à ce qui serait son rôle viril. Elle se contente de démontrer les consé­quences de la structure.

Dans son séminaire sur la Relation d'objet et les structures freudiennes (1956­57), Lacan a donné une illustration sai­sissante du « détriplement « du père, à propos du cas du petit Hans*. Le père réel, bien gentil, bon fils lui-même mais

époux discret, est carent malgré sa pré­sence constante et attentive auprès de Hans. Freud intervient alors comme père imaginaire, presque comme divi­nité, proférant l'interdit de l'inceste «du Sinaï«. Ce qui a valeur symbolique à partir de cette intervention, ce sont les «mythes«, les fantasmes que Hans va peu à peu forger et qui vont per­mettre à cet enfant de faire finalement l'économie de son symptôme pho­bique.

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