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A la recherche du temps perdu de Proust (résumé & analyse)

Publié le 27/11/2018

Extrait du document

temps
A la recherche du temps perdu
 
On trouvera dans l’article de synthèse les dates de publication des différents volumes.
 
A la fin de 1909, Proust abandonne donc le Contre Sainte-Beuve (refusé par l’éditeur Alfred Vallette) et commence à rédiger les premières pages d'A la recherche du temps perdu. Il n’a pas, cependant, le sentiment d’entrer dans un monde nouveau : au départ du moins, il s’agit surtout de lier et d’organiser ce qui a déjà été esquissé depuis plusieurs années, dans Jean Santeuil ou dans les textes du Contre Sainte-Beuve. On ne peut nier, d’ailleurs, que ces œuvres contiennent souvent des scènes essentielles, des personnages reconnaissables qui se précisent peu à peu et s’enrichissent. Reste évidemment que toute cette préhistoire n’explique pas la Recherche : celle-ci n’est pas la simple mise en ordre d’éléments épars. D’où la tentation (très Sainte-Beuve!) de chercher dans la vie de Proust une origine, un déclic qui aurait tout engagé, tout permis. Dans la préface qui devait ouvrir le Contre Sainte-Beuve, Proust évoque cette magie de la réminiscence involontaire qui saisira plus tard le narrateur de la Recherche : en l’occurrence, la madeleine aurait été une biscotte de pain grillé, trempée dans du thé, et Painter date précisément cette expérience du 1er janvier 1909! Sans aller aussi loin, et de manière plus littéraire, il est évident que la Recherche est bâtie justement sur ce jeu de la mémoire et du temps, qu’il y a là une des structures profondes qui organisent l’œuvre et qui apparaissent moins dans les textes antérieurs. Inventée ou transposée, la trouvaille est décisive : le plan général de la Recherche est tracé; il reste bien sûr à l’écrire.
 
On a vu comment la structure s’était progressivement dilatée pour aboutir à la Recherche telle que nous la connaissons (organisée avec rigueur, mais, bien sûr, inachevée dans les parties posthumes). A un autre niveau, ce développement proliférant est caractéristique du travail de Proust sur son texte, de son écriture : pour autant qu’on puisse reconstituer le processus, tout part de ces cahiers qu’on a entrepris de publier. Y sont accumulés tous les éléments du grand puzzle en train de se composer. Intervient ensuite un premier manuscrit, qu’il faut dactylographier : on en arrive alors au « tapuscrit », qui sera nourri de nombreux ajouts. Enfin, sur les épreuves mêmes, Proust corrige, biffe et ajoute encore, un peu comme Balzac, jamais satisfait, désespoir des imprimeurs. Ainsi remaniée, illustrée et enrichie, l’œuvre, peu à peu, se construit, et c’est sans doute là-dessus qu’il faut insister : malgré son ampleur, à cause justement de cette ampleur (qu’il faut maîtriser), la Recherche vise d’abord à la cohérence. Œuvre d’art, elle doit être plus belle que le réel, et surtout plus signifiante : d’où ce travail sur le texte, ces pages faites et refaites en quête d’une impossible perfection.
 
Quelques éléments permettront peut-être de mieux comprendre l’organisation interne du livre. Un premier effet de structure et de symétrie tient évidemment à l’opposition Temps perdu-Temps retrouvé, et l’on sait que la dernière section de l’ouvrage fut écrite, pour une bonne part, en même temps que la première (Du côté de chez Swann). De plus, toute l’œuvre joue sur des oppositions complémentaires entre l’art et la réalité, le monde et son

temps

« image, l'enfant et le regard de l'adulte.

Mais ces symé­ tries sont rapidement perverties par de subtiles varia­ tions : elles ne se réduisent pas à un jeu de miroirs ou à un simple rythme binaire.

Peut-être faudrait-il imaginer alors une sorte de parcours circulaire qui nous ferait revenir à notre point de départ, mais plus haut, selon une sorte de figure spiralée ramenant périodiquement des composantes similaires mais non identiques.

A la manière d'un thème modulé dans toutes les tonalités, situations et personnages se dédoublent ou évoluent, à moins encore qu'ils ne coïncident plus avec eux-mêmes, une fois que le temps a passé.

En réalité, chaque élément est aussi indépendant que solidaire du reste de l'œuvre : Swann existe en soi, c'est un livre achevé, mais qui renvoie aussi à J'achèvement et à la circularité de la Recherche.

Une lecture attentive de la Recherche ne cesse de révéler de ces constructions complexes (ampli­ fications, annonces, rappels, oppositions ...

); le plan général, par exemple, combine harmonieusement les par­ ties heureuses du début à la noirceur de Sodome, à la Prisonnière et à la Fugitive : une structure dont on découvrirait souvent l'équivalent dans J'équilibre (insta­ ble) qui gouverne chacune des sections.

Pour reprendre une de ces métaphores musicales que Proust utilisait souvent, le chant provoque un contre-chant, les voix s'opposent, et Je tout devient polyphonie : l'art fait oublier J'art, et les métamorphoses débouchent sur l'émotion.

le Narrateur proustien.

-1 ns ta nce narrative de la pre­ mière personne qui dirige la Recherche du temps perdu.

cette voix annyme mais non impersonnelle « raconte et dit je» (lettre à R.

Blum.

1913).

voi t tout, sait tout et fait de l'ensemble· « une espèce de roman » (ibid.).

Car si la Recherche es1: bien un roman (et il suffit de comparer p ou r s'en convaincre le passage de certains fragments autobio­ graphiques tels que «Journées» qui, au présent dans le Contre Sainte·Beuve, sont repris au passé dans « Com­ bray»}, c'est que le Narrateur n'est pas Marcel Proust lui­ même: pas plus qu'il ne se confond avec le héros: si ce dernier vit de croyances (voir l'abondance de termes appar­ tenant à ce ch3mp séman tique dans l'ouverture de Du côté de chez Swar•n).

celui -là au contraire est détenteur d'un savoir absolu.

Oui est donc le Narrateur? Peut-être ce «Marcel » dont le nom est del x fois prononcé par Albertine (la Prisonnière).

e n co re qu'un des deux exemples soit particulièrement ambigu : « ...

ce qui en donnant au narrateur le même pré­ n om qu'à l'au·:eur de ce livre.

eût fait "Mon Marcel"».

En fait.

pas plus ·�u'il n'a de no m .

le Narrateur n'a de visage; double trait d stinctif qui.

dans une fresque de plusieurs centaines de personnages où les noms et les descriptions jo uen t un rôle primord ial, contribue à mettre l'accent sur ce qui définit en propre le Narrateur : sa voix ou.

pour repren­ dre l'expression d'E.

Benveniste.

«sa subjectivité dans le langage».

Dè�; lo rs , il importe moins de savoir qui est le Narrateur que quel il est.

Pour le lecteur, le Narrateur est d'abord celui qui voit: c'est en effet par son rega rd que tout nous est livré.

ou.

plus exactement.

par la position ambiguë qu'il adopte.

à mi-chemin de la «naïveté» du héros et du sa•toi r ultérieur, que nous suivons la lente matu· ration des divers signes qu'il croise (amour.

mondanité.

es th éti que .

langages).

Contrairement à ce que l'on affirme trop souvent.

'omnipotence du Narrateur ne se manifeste pas dans la R11cherche par une dilatation du point de vue narratif.

mais au contra ire par une re stric tio n de champ : en f ei gnan t de ne pas anticiper sur le présent du héros.

et de ne pas lui surJstituer sa propre expérience.

le Narrateur crée ainsi une structure gigogne dans laquelle les diver s je v ie nne nt s'emboîter comme autant d'étape s d'une expé­ rience en fait unique.

Car c'est bien d'expérience qu'il s'agit.

et la Re-:herche.

de ce point de vue.

n'est pas sensi­ blement différente de certains récits initiatiques {voir.

par exemple.

l'Aurélia de Nerval.

qui suppose la même disjo nc­ tion d'une instance narrative unique) qui conduisent.

au­ delà des ap p aren ces.

à une vérité essentielle.

Le Narrateur est donc aussi celui qui sait; d'où la double in fr act io n à la règle générale de focalisation sur le héros : dans certains cas.

le Narrateur modalise les pensées du héros de manière à faire ressortir l'inanité de ses déduc- tions (voir le rôle des «comme si», des «peut-être», des verbes d'apparence.

toutes formes par lesquelles se crée une « profondeur spirituelle» où Leo Spi tz e r voit «la dis­ tance entre le moi narrateur et le moi de l'a cti on »), ainsi qu'en témoigne ce reproche tiré de Swann : "Ne savais-je donc pas que ce que j'ép rou vais .

moi.

pour elle.

ne dépen­ d ait ni de ses actions ni de ma volonté?» Autr e infraction.

autre infidélité au héros : le Narrateur.

délaissant pour un temps le point de vue initial, s'insinue dans les pensées de personnages annexes (Mm• de Cam bre me r à l'Opéra.

l' h ui ss ier chez les Guermantes, les derniers instants de Ber­ gatte.

etc.) Cet te incohérence apparente.

que Gérard G ene tte baptise " po ly mod alité "·risquerait de briser l'unité d'ensemble du récit, si le Narrateur ne récupérait.

par sa voix, in extremis, toutes ces données pour en faire le grand chant du hasard devenu savoir.

Car.

en premier et dernier lieu, le Narrateur est tout entier contenu dans un souffle qui lui est propre « et qui est à la fois un mod e d'appréhen­ sion du monde et du moi.

et l'expression littéraire de cette saisie» (Jean Milly).

D'où précis éme nt le rôle assumé par les célèbres métap ho res .

dont le mécanisme est démonté à la fin du Temps retrouvé : elles sont le lien entre le savoir et la vision et.

en tant que telles.

appartiennent au seul Narrateur.

La tri ch erie de ce dernier à l'égard de so n héros n'est donc ni psychologique ni sentimentale, mais litté­ raire : même s'il feint de s'effacer derrière le protagoniste.

le Narrateur ne peut empê ch er celui-ci de voir, de sentir.

de parler avec les tics qui sont le fait de l'homme engagé dans sa création.

En témo ignent «les clochers de Martinville "· si difficiles à saisir pour le héros.

dans le même temps que le Narrateur peut pré cisé ment rendre compte de leur ess en ce alors insoupçonnée.. »

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