Ce jour là, Vercors
Publié le 11/03/2011
Extrait du document
C’est en 1943 que Vercors écrit cette courte nouvelle d’une forte intensité dramatique. Il y évoque la vie clandestine des Résistants sur laquelle plane constamment l’ombre du danger et de la mort.
L’écrivain débute son récit au moment de la plus grande tension, puisque le dénouement malheureux pour le père et son petit garçon est imminent. Le lecteur assiste, impuissant, à l’ultime promenade entre le père et le jeune enfant. Or, c’est la dernière fois que ce petit garçon voit son père, puisque celui-ci le conduit chez Madame Bufferand, une vieille amie, dès qu’il s’aperçoit que le pot de géranium n’est plus à la fenêtre de leur maison ; et il repart à la recherche de sa femme pour disparaître avec elle…
«
poussé ce couple à se donner un signal complice.
L'épilogue fournit une réponse, quand Madame Bufferandrencontre une amie le lendemain de ce drame et évoque la fin de cette tragique histoire.
Encore une fois, tout reste implicite, étant donné que c'est le garçonnet qui entend les paroles de MadameBufferand et de son amie.
Comme lui, le lecteur est acculé à écouter derrière la porte ce que se disent les deuxfemmes qui parlent trop bas pour que l'on puisse tout entendre distinctement.
La révélation reste donc lacunaire.
Lelecteur a cependant tous les éléments indispensables pour comprendre que le père est allé à la gare rechercher safemme et qu'il s'est fait arrêter et emmener avec elle.
Le drame se noue ainsi de manière tangible.
Et c'estjustement par l'implicite que le narrateur accentue l'horreur de ce drame humain.
Le discours direct des deux femmespeut être parfaitement sibyllin pour celui qui ignore le contexte historique de cette époque ; d'ailleurs le petit garçonn'en saisit pas tout le sens véritable même s'il en pressent le malheur.
Mais le lecteur avisé sait que la gare et lescompartiments du train sont le signe du départ pour les camps de la mort pour ce couple qui a été arrêté.
Il saitaussi qu'il peut mettre un nom et un visage sur le pronom personnel « ils » dans la phrase « ils l'ont reconnu » , alors qu'il reste indéterminé et incompréhensible pour l'enfant.
Rétrospectivement, le lecteur comprend que le père se savait menacé puisqu'il demande à son fils d'être « très, très sage avec [s]a maman » au cas où il viendrait à disparaître ; il perçoit également mieux la portée métaphysique des paroles du père sur le petit pont devant l'eau qui coule et qui « ne s'arrêtera jamais de couler » .
Avec gravité, il réfléchit à la pérennité des éléments naturels alors que lui-même est menacé à tout instant par la finitude.
L'éternité des choses face à sa situation personnelle qui le voue au transitoire estparadoxalement vue comme une « pensée reposante » .
Peut-être est-ce dû en partie à sa certitude absolue d'être entré, tel un grain de sable provisoire et éphémère, dans la lutte contre le nazisme pour défendre etsauvegarder la permanence de l'humanité.
II L'ART DE LA DRAMATISATION
Le sens reste implicite par la variation subtile des points de vue dans ce récit.
Qui parle vraiment ? Qui racontel'histoire ? L'incipit pousse à penser que la narration est à la troisième personne et qu'elle est prise en charge par unnarrateur omniscient ; mais très vite le lecteur se trouve face à un mélange savant de points de vue qui brouille les pistes.
Des indices suggèrent que la réalité est perçue par les yeux du jeune enfant afin de maintenir un sensimplicite.
Le pronom indéfini « on » qui parcourt ce récit témoigne des pensées de ce garçonnet et le style indirect libre, abondamment utilisé, laisse transparaître des réflexions naïves ainsi qu'un vocabulaire et une syntaxe propres à un enfant.
Par cette technique, la réalité du drame apparaît donc de manière confuse, le garçon n'ayant pas saisiles enjeux du drame.
Pourtant, cet enfant sent la bizarrerie de la situation.
La gradation progressive de ses sentiments le prouve.
Prêtpour la promenade, il est confiant et il sort avec son père « sans s'étonner » .
L'insouciance du début va laisser la place petit à petit à un étonnement et une vague inquiétude, car tout ne se passe pas comme d'habitude : « ça l'inquiétait que papa ne dît rien » quand le père ne le gronde pas à cause de ses pieds qu'il laisse volontairement traîner ou encore « ça l'ennuya un peu » lorsqu'il ne peut grimper sur la pente.
Comme le père déroge aux règles, le garçonnet s'interroge et a d'abord « un petit peu peur » puis il finit par éprouver de la « vraie peur » qui se transforme en malaise.
Lui-même ne s'adonne plus à ses activités favorites comme grimper aux arbres et chercherdes pommes de pin et il « commenc[e] d'avoir mal au cœur, comme le jour où il avait mangé trop de purée de marrons » .
Ce malaise physique, provenant de son angoisse morale, s'accentue encore au point d'avoir mal partout et de d'effondrer sur le tapis du salon de Madame Bufferand…raison qui fait rater au lecteur l'occasiond'entendre les motifs explicites de la précipitation du père chez cette amie.
L'attitude des personnages attire aussi bien évidemment son attention : Madame Bufferand pleure devant l'enfantmême si elle veut s'en cacher.
Quant au père, il ne lui lâche à aucun moment la main.
La première phrase de lanouvelle insiste d'emblée sur ces mains qui se joignent.
Ce geste, hautement symbolique, est noté à plusieursreprises : « Il tenait la petite main de son petit garçon bien serrée dans la sienne » ; « c'était parce que Papa lui tenait la main comme ça » ; « il s'arrêta en serrant la petite main dans la sienne » ; « papa lui serrait la main tellement fort » .
Si l'enfant ne comprend pas les paroles de son père, il sent tout de même par ce geste fort qu'il se passe un événement grave.
Et les élans de tendresse de son père, en haut de la colline et chezMadame Bufferand, entérinent ses craintes.
Ce lien physique si intense, l'enfant le perd définitivement dès que lepère part avec sa valise de chez Madame Bufferand.
Malgré la générosité de cette dernière décidée à prendre lerelais des parents, le garçon est désormais un orphelin.
Le fait qu'il soit seul dans une pièce dont la porte est ferméeen est le symbole.
Le lecteur quitte un enfant qui a perdu à tout jamais son insouciance innocente et entière.
La peinture poétique dela larme qui coule le long de son visage et qui tombe sur son jeu de cubes exprime sa solitude pathétique.
Tel le jeu de cubes avec lequel le garçon joue, le sens de cette nouvelle se met peu à peu en place.
A la fin durécit, le lecteur conscient des enjeux de ce puzzle, a réussi à replacer symboliquement l'œil et le chapeau à plumes.
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