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Chants de Maldoror de Lautréamont

Publié le 10/01/2019

Extrait du document

Chants de Maldoror
 
Le dessein des Chants de Maldoror
 
Deux lettres de Lautréamont indiquent l’orientation générale de l’œuvre, l’une des plus déconcertantes de toutes les littératures :
 
J'ai chanté le mal comme ont fait Mickiéwikz (sic), Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j'ai un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau dans le sens de cette littérature sublime qui ne chante le désespoir que pour opprimer le lecteur, et lui faire désirer le bien comme remède. Ainsi donc, c'est toujours le bien qu'on chante en somme, seulement par une méthode plus philosophique et moins naïve que l'ancienne école, dont Victor Hugo et quelques autres sont les seuls représentants qui soient encore vivants (lettre du 23 octobre 1869).
 
C'était quelque chose dans le genre du Manfred de Byron et du Konrad de Mickiéwicz, mais cependant bien plus terrible (lettre du 12 mars 1870).
 
Lautréamont, tout en situant les Chants dans le prolongement du romantisme le plus exaspéré, affirme leur nouveauté. L’obsession du mystère du Mal, la révolte, le blasphème, la solitude d’un héros dressé contre Dieu, contre les hommes et contre lui-même, l’obscure ou claire présence des puissantes figures de Satan, de Caïn et de Prométhée... tout cela semble une des dernières vagues de la marée romantique, qui avait recouvert l’Europe de 1798 à 1848. Mais l’inattendu, c’est que l’œuvre se dénonce elle-même et ne cesse de railler les personnages, les thèmes et les procédés du romantisme.
 
D’autre part, par son titre et par sa division en chants, elle se présente comme une épopée, et une épopée de la haine : « Lecteur, c’est peut-être la haine que tu veux que j’invoque dans le commencement de cet ouvrage! » (I, il). Lautréamont a conscience de sa puissance créatrice et de l’ampleur de son projet poétique, puisqu’il recourt au genre littéraire le plus ambitieux et se situe dans le sillage d’Homère et de Milton.
 
Épopée de la haine, les Chants s’opposent à l’épopée de l’amour, la Bible. Le Dieu de l’Ancien Testament ne cesse d’être pris à partie avec une violence inconnue jusqu’alors. De nombreux versets bibliques sont parodiés, « retournés ». Mais, étrangement, Maldoror oublie parfois son satanisme pour s’identifier fugitivement (comme tous les grands romantiques) au Christ. Profonde ambiguïté que celle de ce héros oscillant entre la cruauté et la pitié, une haine affichée et une tendresse inguérissable, la fureur contre le Créateur et un attrait incertain pour la figure de Jésus!
 
Un tel constat permet d’entrevoir que, sous les desseins conscients, se déploie, malgré l’auteur et à mesure que l’œuvre avance, un dynamisme inconscient dont Maurice Blanchot, dans son Lautréamont et Sade, a tenté de percer le secret.
 
Œuvre romantique qui se moque du romantisme, épopée qui parodie les procédés épiques (épithètes homériques, formules dantesques...), les Chants de Maldoror semblent défier toute réduction à un sens défini : « Une porte s’ouvrait sur la mer... » (René Crevel). Demeurer à la surface d’un pareil texte, c’est à coup sûr se perdre dans ses ironiques reflets. « L’analyse, si elle veut faire quelque chose d’utile, ne doit pas regarder à ce qu’a dit Lautréamont, mais à ce qu’il a exprimé derrière ce qu’il dit, à l’aide de ce langage nouveau que constituent le choix des images, l’amoncellement privilégié des mots, la complicité de certains thèmes » (M. Blanchot). L’ironie interdit toute synthèse sur le contenu des Chants. Il faut, pour déjouer ses pièges, aller au contenu latent, découvrir les métaphores obsédantes, restituer l’univers imaginaire du créateur, mettre en lumière les récurrences lexicales. Avec les Chants comme avec les Illuminations de Rimbaud, quasi contemporaines, « surgit le pur incon
 
scient. Pour la première fois l’inconscient surgit avec un caractère sacré ». Il faudrait assurément nuancer cette affirmation de Léon Pierre-Quint, qui néglige les romantiques allemands et Nerval; elle souligne néanmoins combien le terme de « dessein », utilisé à propos de cette œuvre, se charge d’un sens nouveau.
 
Une épopée mosaïque
 
Chant I
 
Publié d'abord isolément, ce chant s'achève par une strophe-signature : « La fin du dix-neuvième siècle verra son poète [...]. Il est né sur les rives américaines, à l'embouchure de la Plata. » Il s'agit d'une célébration du Mal : « Maldoror prend visiblement la suite des personnages maudits de toute espèce que la littérature noire a mis à la portée des imaginations» (M. Blanchot). La voix du poète s'unit au choeur des œuvres les plus illustres de l'Occident : la Bible. Homère. Dante. Shakespeare. Hugo; ou les plus cruelles, les plus aiguës : Racine, peut-être Sade. Baudelaire.
 
Strophe i : « Plût au ciel que le lecteur... » (Humour et comparaison homérique des grues).
 
Strophe n : « Lecteur, c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque... » (Ouverture épique).
 
Strophe m : «J'établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon... » (Maldoror et Néron).
 
Strophe iv : « Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements... » (« Peindre les délices de la
 
cruauté »).
 
Strophe v : « J'ai vu pendant toute ma vie... » (L'universalité du mal).
 
Strophe vi ; « On doit laisser pousser ses ongles... » (Plaisir et détresse de torturer un enfant).
 
Strophe vu : « J'ai fait un pacte avec la prostitution... » (Une variation musicale sur les apocalypses et sur Dante).
 
Strophe vm : «Au clair de lune, près de la mer...» (Les chiens hurlant à la lune : l'humour et le lugubre).
 
Strophe ix : «Je me propose, sans être ému... » (Célébrations oratoire et humoristique du « Vieil océan »).
 
Strophe x : « On ne me verra pas à mon heure dernière... » (Un rêve de mort).
 
Strophe xi : « Une famille entoure une lampe... » (Maldoror devant un univers de conte bleu).
 
Strophe xn : « Celui qui ne sait pas pleurer... » (Rencontre du nouvel Hamlet avec un fossoyeur).
 
Strophe xm : « Le frère de la sangsue... » (Maldoror et le crapaud).
 
Strophe xiv : « S'il est quelquefois logique... » (Signature et intrusion d'auteur).
 
Chant II
 
Le chant II. le plus ample, déploie et orchestre tous les thèmes de l'œuvre. Le narrateur le caractérise comme un « chant impie » : les attaques contre Dieu y sont en effet particulièrement nombreuses. L'univers de l'enfance et de l'adolescence n'y est pas moins présent.
 
Strophe i : « Où est-il passé ce premier chant... » (Maldoror et le Mal).
 
Strophe n : «Je saisis la plume... » (Le front frappé par la foudre).
 
Strophe m : « Qu'il n'arrive pas le jour où Lohengrin et moi... » (Maldoror en Job révolté).
 
Strophe iv : « Il est minuit; on ne voit pas un seul omnibus... » (La parabole fantastique de l'enfant poursuivi). Strophe v: «Faisant ma promenade quotidienne...» (La strophe de la jeune fille).
 
Strophe vi : « Cet enfant, qui est assis... » (La tentation du jeune garçon).

« Strophe xv : " Il y a des heures dans la vie où l'homme ...

» (Maldoror.

la conscience et le Créateur).

Strophe XVI : «Il est temps de serrer les freins à mon ins­ piration ...

» Chant Ill Après la variété du chant précédent.

les cinq strophes de celui-ci tournent autour du thème de la Providence divine : ce monde déréglé ne peut que refléter les dérègle­ ments de son Auteur.

Strophe 1 : « Rappelons les noms de ces êtres imaginai­ res ...

» (L e couple des deux frères mystérieux).

Strophe 11 : "Voici la folle qui passe en dansant...

" (Le viol).

Strophe 111 : "Tremdall a touché la main pour la dernière fois ...

>> (Le combat de l'aigle et du dragon).

Strophe IV: "C'était une journée de printemps ...

>> (L'ivresse du Créate ur).

Strophe v : «Une lanterne rouge ...

>> (Le cheveu.

Dieu au lupanar).

Chant IV Soudain.

les Chants vont s'assombrir.

Dans ce s ténè­ bres se meuvent les plus étranges représentations : des­ cendu aux enfers de l'inconscient.

le poète en fait remonter des images de métamorphoses et des scènes qui font pen­ ser à Bosch et à Goya.

Strophe 1: «C'est un homme ou une pierre ...

» {Maldoror en lutte contre l'humanité).

Strophe 11 : « Deux piliers, qu'il n'était pas difficile et encore moins impossible de prendre pour des baobabs ...

" (Une bombe jetée sur la littérature).

Strophe 111 : « Une poten ce s'élevait sur le sol ...

" (Le pendu et les deux femmes ivres).

Strophe IV: "Je suis sale.

Les poux me rongent...

>> (Une saisissante rêverie d'inertie et de mort).

Strophe v : «Sur le mur de ma chambre, quelle ombre ...

>> {L'obsession de la chevelure).

Strophe VI : "Je m'étais endormi sur la falaise ...

» {La méta­ morphose en pourceau).

Strophe vu : «Il n'est pas impossible d'être témoin d'une déviation ...

>> (L'amphibie).

Strophe VIII: "Chaque nuit.

plongeant l'envergure de mes ailes ...

"{Falmer et le tourbillon).

Chant V Le chant V est le chant d'un relatif effacement de l'homme.

de la présence hallucinatoire du bestiaire.

Il accentue l'enfoncement dans la nuit qui caractérise les cinq premiers chants.

avant le triomphe ambigu de la lumière dans le chant VI.

Strophe 1: «Que le lecteur ...

>> (Le vol des étourneaux).

Strophe 11 : «Je voyais devant moi un objet...>> {L'homme­ pélican.

le scarabée, la première série des « beau comme>> ).

Strophe 111 : «L'anéantissement intermittent des facultés humaines ...

>>{La strophe de l'insomnie).

Strophe IV: «Mais qui donc ...

>> (Le Créateur-python).

Strophe v : « 0 pédérastes incompréhensibles ...

>> Strophe VI : «Silence! il passe un cortège funéraire ...

, (L'enterrement de l'enfant de dix ans.

le milan royal).

Strophe v11 : « Chaque nuit.

à l'heure où le sommeil ...

>> (L'araignée, Réginald, Elseneur).

Chant VI C'est le chant de l'allégresse luciférienne, de l'aisance et de la rapidité du récit.

«L'érotisme se retire>> et l'on a affaire à « une imagination libérée de ses particules lo ur ­ des >> (M Blanchot).

Mervyn est le héros de ce que Lautréa­ mont lui-même présente comme" un petit roman de trente pages>>.

Ses dix strophes comprennent deux préambules et une succession de huit épisodes de feuilleton.

Strophes 1 et 11 : le narrateur se fait critique.

Strophe 111 (1): "Les magasins de la rue Vivienne ...

>> {Mal­ doror suit Mervyn; le retour des« beau comme >>).

Strophe IV (2) : " Il tire le bouton de cuivre ...

>> (Réplique de la scène de famille du chant 1; Mervyn se trouve mal).

Strophe v (3) : " Mervyn est dans sa chambre ...

>> {Lettre de Mervyn à Maldoror).

Strophe VI { 4): «Je me suis aperçu que je n'avais qu'un œil ...

>> {Intermède.

où prend place une nouvelle série de " beau comme >>).

Strophe v11 {5) : "Sur un banc du Palais-Royal.

.

"{Enchâsse­ ment d'un conte : le fou Aghone.

les trois Marguerite).

Strophe VIII {6) : « Le Tout-Puissant avait envoyé sur la terre ...

'' {Seconde lutte de Maldoror avec un archange.

métamorphosé en crabe- tourteau) .

Strophe IX {7): "Le corsaire aux cheveux d'or ...

» (Cruauté de Maldoror à l'égard de Mervyn, enfermé dans un sac et battu).

Strophe x {8) : «Pour construire mécaniquement la cer­ velle ...

,, (Maldoror debout au sommet de la colonne Ven­ dôme fait tournoyer autour de lui le corps de Mervyn.

comme avec une fronde.

et l'envoie s'écraser contre le dôme du Panthéon).

La captation des source s La fulgurance d'œuvres comme les Pensées de Pascal, les Illuminations de Rimbaud ou les Chants de Maldoror entraîne l'imagination vers la représentation mythique de génies solitaires, bénéficiaires de révélations, comme Moïse au Sinaï.

En fait, comme Pascal ett Rimbaud, Lau­ tréamont a énormément lu.

Il cite plus de cent écrivains dans les Poésies.

Poète à peine sorti de 1' adolescence, il n'a pas oublié les auteurs étudiés au lycée :Homère, les Tragiques grecs, du Bellay, Corneille, Racine, Pascal, La Fontaine, Bossuet...

Il est tout nourri de Chateaubriand, Senancour, Nerval, Musset, Lamartine, Gautier, Leconte de Lisle, Hugo, Bau­ delaire.

Il semble avoir fait ses délices des romans­ feuilletons d'Eugène Sue et de Ponson du Terrail (Rocam­ bole, 1859), dont il se moque tout au long du chant VI.

Latréaumont, sombre héros à l'ascendant magnétique, a donné son nom à 1' un des romans de Sue ( 1838) et fourni à Ducasse son pseudonyme.

Peut-être ce dernier a-t-il aussi lu Sade? En tout cas il a un goût prononcé pour les ouvrages scientifiques :mathématiques, médecine, et surtout scien­ ces naturelles.

Il a réfléchi sur l'essai de Naville, le Pro­ blème du mal ( 1868).

Il utilise aussi la matière que lui four­ nissent journaux et magazines.

Si son romantisme paraît cependant plu s anglais que français, c'est sans doute que- connaissant bien l'an­ glais -il possède Shakespeare et Milton, Shelley, Southey, Scott, et voue un culte à Young et à Byron.

Lautréamont admirait les Contes d'Edgar Poe.

Le roman noir d' Ann Radcliffe, et surtout de Maturin, a marqué les Chants.

Mais là ne se limitent pas ses lectures étran­ gères.

JI cite Dante, Goethe et Mickiewicz, connaît peut­ être Klopstock et Hoffmann.

Enfin, la Bible, et notam­ ment les livres prophétiques, les passages apoca­ lyptiques, Job, les Psaumes n'ont cessé de provoquer ce Job révolté.

La connaissance de leurs sources aide-t-elle à pénétrer dans les Chants? Maurice Blanchot a mis.

en garde contre « le mirage des sources ».

Le primitivisme de son imagi­ nation entraîne Lautréamont vers les grands centres d'ir­ radiation de l'inconscient collectif, déjà atteints par les autres grands visionnaires : les prophètes juifs, Homère, l'auteur de !'Apocalypse, Dante, Shakespeare, Milton, Hugo.

Dans bien des cas, qui dira si le poète retrouve ou se souvient, ou encore retrouve en se souvenant? De là vient que, pour chaque évocation un peu puissante, affluent des réminiscences dont le nombre même fait apparaître l'incertitude.

D'où procède la figure sata­ nique de Maldoror? De la Bible, de Dante, de Byron, de Mickiewicz, de Sue, de Ponson du Terrail, de Baudelaire ...

? Même quand on peut établir que le héros emprunte quelque trait, il reste qu'une puissance créa­ trice est à 1' œuvre -toute proche de la toujours fraîche source des mythes -et que cette puissance ne fait que glaner, dans sa prodigieuse odyssée, quelques expres­ sions heureuses chez les explorateurs quii ont précédé.

Pourtant la dénonciation du « mirage des sources >> ne suffit pas.

Ni Blanchot, ni Pleynet, si réticents qu'ils s'affirment à l'égard de ce type d'enquête, n'ont pu élu­ der la question de ce qu'on appelle 1' intertextualité, le jeu d'un texte avec ceux qui l'ont précédé ou qui l'ac­ compagnent.

Il existe de nombreux emprunts indubita­ bles.

Certains sont textuels, comme les six passages pris à l'Encyclopédie d'histoire naturelle du docteur Chenu.. »

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