De l'amour de Stendhal
Publié le 06/04/2013
Extrait du document
«
Stendhal eut unjour
ce mot fort éclairant :
«L'amour a toujours
été pour moi la plus
grande des affaires et
plutôt la seule
», lui qui
prescrivit
de graver sur
sa tombe :
Amo, c'est
à-dire
«j'aime ».
«Aimer, c'est avoir du plaisir à voir, toucher,
sentir par tous les sens,
et d'aussi près que
possible,
un objet
aimable et qui nous aime.
»
~------- EXTRAITS
La formation de l'amour
ou la cristallisation
Laissez travailler la tête d'un amant pen
dant vingt-quatre heures,
et voici ce que
vous trouverez :
Aux mines de sel de Salzbourg, on jette,
dans les profondeurs abandonnées de la
mine, un rameau d'arbre effeuillé
par
l'hiver ; deux ou trois mois après on le retire
couvert de cristallisations
brillant,~§.
: les
· • .
• plus petites branches, ,..
~ :t ~.i: celles qui ne sont pas
plus grosses que la
patte
d'une mésange,
sont garnies d'une in
finité de diamants,
mobiles et éblouis
sants ; on ne peut plus
reconnaître le rameau
primitif.
Ce que j'appelle cris
tallisation, c'est l' opé
ration de l'esprit
qui 1 tire de tout ce qui se
présente la découverte
que l'objet aimé a de
nouvelles pelfections.
Le journal intime
de
l'amour déçu
Désespéré du malheur
où l'amour me réduit,
je maudis mon exis
tence.
Je
n'ai le cœur
à rien.
Le temps est
sombre, il pleut, un froid
tardif est venu
rattrister la nature qui, après un long hiver,
s'élançait au printemps.
( ...
)Ce qu'il y a de sûr, c'est que cette femme
cruelle est enragée contre moi ; c'est le mot
d'un de ses amis.
Je puis me venger d'une
manière atroce ; mais contre sa haine
je n'ai
pas le plus petit moyen de défense.( ...
)
Je cours les rues
par une pluie froide ; le
hasard, si
je puis l'appeler hasard, me fait passer
sous ses fenêtres.
Il était nuit tom
bante, et
je marchais les yeux pleins de
larmes fixés sur la fenêtre de sa chambre.
Tout à coup le rideau a été un peu entrou
vert comme pour voir sur la place et s'est
refermé à l'instant.
Je
me suis senti un
mouvement physique près du cœur.
Je ne
pouvais
me soutenir : je me réfugie sous
le portique de la maison voisine.
Mille
sentiments inondent mon âme, le hasard a
pu produire ce mouvement du rideau ; mais
si c'était sa main qui l'eût entrouvert
!
Il y a deux malheurs au monde : celui de la
passion contrariée, et celui du
dead blank.
Avec l'amour, je sens
qu'il existe à deux pas
de moi un bonheur im
mense et au-delà de
tous mes vœux, qui ne
dépend que
d'un mot,
que d'un sourire.
Des idées avant
gardistes sur
l'amour
La fidélité des fem-
.
mes dans le mariage
lorsqu'il n'y a pas
d'amour est probable
ment une chose contre
nature.
On a essayé d'obtenir
cette chose contre na
ture
par la peur de
l'enfer et les sentiments
religieux ; l'exemple de
/'Espagne et de /'Italie
montre
jusqu'à quel
point on a réussi.( ...
)
Une femme perd tou
jours dans un premier
mariage les plus beaux jours de la jeunesse,
et par le divorce elle donne aux sots quelque
chose à dire contre elle.
« La délicatesse des
femmes tient à cette
hasardeuse position où
elles se
trouvent placées
de si bonne heure, à cette nécessité de passer
leur vie au milieu
d'ennemis cruels et
charmants.
,.
NOTES DE L'ÉDITEUR
Stendhal vu par Proust
« Stendhal, qui est si matérialiste, pour qui
les choses
e_n dehors de nos dispositions,
même de nos dispositions physiques,
semblent avoir une importance réelle pour
nous ( ...
) a toujours mis au-dessus de tout
l'amour, qui pour lui semble faire un avec
la vie intérieure.
Ce qui fait qu'on aime la
solitude,
qu'on y a mille pensées, que la
nature
nous devient compréhensible et éloquente,
pour lui,
c'est l'amour.
Il semble
n'avoir connu la poésie que sous la forme
de
l'amour.» Marcel Proust,
Jean Santeuil, Gallimard, 1952.
De l'amour, ou le portrait d'un soupirant
«Tel qu'il nous apparaît ainsi,( ...
) ce livre
constitue le meilleur portrait de Beyle
[Stendhal] en posture de soupirant.
Trop
longtemps, on a voulu voir en lui un cœur
sec, un jouisseur égoïste, un libertin
cynique.
Nous découvrons tout au contraire quels
sentiments fidèles il a nourris alors
même que tout espoir d'être payé de
retour lui était refusé par la femme dont
il était épris, combien sans amertume
devant ses cruautés il a su l'adorer,
combien il a poursuivi son culte jusque
dans le tombeau, et quelle musique
1 Goldner I Sipa-lcono 2, 3 , 4 eaux-fortes de Grau Sala, éd.
Vial , Paris , 1952 / B.N.
dans la nuit il n'a cessé de tirer de son
propre
malheur.» Henri Martineau,
avertissement,
De/' amour, Classiques
Garnier, 1956.
STENDHAL06.
»
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