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Amour et conscience de classe dans Le Rouge et le Noir de Stendhal

Publié le 22/01/2020

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amour

« le sourire du plaisir expira sur ses lèvres ». Symétriquement, le sentiment d’avoir gagné une victoire l’engage plus avant dans la voie d’une séduction qui présente le plaisir comme un devoir : « Cette femme ne peut plus me mépriser : dans ce cas, se dit-il, je dois être sensible à sa beauté; je me dois à moi-même d’être son amant » (p. 107). Le rôle de séducteur lui pèse affreusement : « Jamais il ne s’était imposé une contrainte plus pénible », et il lui faut faire appel à tout son orgueil pour trouver le courage d’entrer dans la chambre de Mme de Rénal : « Je puis être inexpérimenté et grossier comme il appartient au fils d’un paysan (...) mais du moins je ne serai pas faible » (p. 114). Il part n’ayant plus rien à désirer; mais son rendez-vous a été « une victoire mais non un plaisir ». Plus tard, la tension s’affaiblit, il est heureux, mais Stendhal insiste bien sur l’importance pour Julien du rang social de la femme aimée : « Son amour était encore de l’ambition; c’était de la joie de posséder, lui pauvre être malheureux et si méprisé, une femme aussi noble et aussi belle »; « le rang de sa maîtresse semblait l’élever au-dessus de lui-même » (p. 120).

Il y a donc une contradiction tragique dans l’amour de Julien : il aime Mme de Rénal parce qu’elle lui est socialement supérieure, et pourtant c’est cette différence de classe sociale qui empêche cet amour d’être complet. « Dans les premiers jours de cette vie nouvelle, il y eut des moments où lui, qui n’avait jamais été aimé de personne, trouvait un si délicieux plaisir à être sincère, qu’il était sur le point d’avouer à Mme de Rénal l’ambition qui jusqu’alors avait été l’essence même de son existence » : la sincérité parfaite serait un abandon à l’amour mais « un petit événement empêcha toute franchise » (p. 121). Songeant à son état futur, et sous le charme des « moments si doux » qu’il passe auprès de son amie, Julien se lance dans une tirade sur Napoléon « homme envoyé de Dieu pour les jeunes Français ». La réaction de Mme de Rénal l’arrête net : « Cette façon de penser lui semblait convenir à un domestique. » Il se dit : « Elle est bonne et douce, son goût pour moi est vif, mais elle a été élevée dans le camp ennemi » (p. 122). Stendhal intervient directement pour commenter l’incident : « Le bonheur de Julien fut, ce jour-là, sur le point de devenir durable. Il manqua à notre héros d’oser être sincère. Il fallait avoir le courage de livrer bataille, mais

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« de Julien n'en est pas moins réelle, ni moins sincère le «transport " qui le porte à baiser la main de Mme de Rênal.

Mais par un effet inverse, de même que les ambitions sociales de Julien se mêlaient inconsciemment à son désir, de même, une fois ce désir né, il le rationalise, en l'intégrant à sa grande bataille : « Il y aurait de la lâcheté à moi de ne pas exécuter une action qui peut m'être utile, se dit-il pour se donner le -courage de baiser cette main.

" Cette ambiguïté essentielle - désir réel, conscience de classe -régit les rapports de Julien Sorel avec Mme ·de Rênal pendant toute la première partie du roman, et les empoisonne.

Obtenir ses faveurs, ce n'est pas gagner un plaisir, c'est surtout remporter une victoire sociale.

D'où le curieux vocabulaire militaire employé, sans préciosité aucune, par Julien.

Le chapitre 9 en fournit un excellent exemple.

Julien a heurté par inadvertance la main de Mme de Rênal, qui la retire aussitôt.

« Il pensa qu'il était de son devoir d'obtenir que l'on ne retirât pas cette main.

" La cc scène d'amour " évoque aussitôt chez lui l'idée d'un duel.

« Il l'observait comme un ennemi avec lequel il va falloir se battre.

" Serrer cette main n'a donc rien d'une satisfaction sensuelle ou sentimentale, c'est se prouver que le handicap social est surmonté, que l'on n'a pas été méprisé : l'explication que Julien donnerait d'un éventuel échec de sa tentative ne serait pas son manque de séduction mais son infériorité sociale : cc L'idée d'un devoir à accomplir, et d'un ridicule ou plutôt d'un sentiment d'infériorité à encourir si l'on n'y parvenait pas, éloigna sur-le-champ tout plaisir de son cœur " (p.

77).

Ce complexe lui fait interpréter de façon stupide certaines réactions de Mme de Rênal.

Ainsi, lorsqu'après avoir subtilisé le portrait caché par Julien, elle repousse son geste tendre sous l'effet de la jalousie, il ne voit dans son acte qu'un caprice de cc femme riche "· Attentif à tout ce qui peut blesser son amour-propre, il n'essaie absolument pas d'analyser les sentiments de « l'autre >>, il lui attribue aussitôt comme mobile une réaction de classe.

Quand, sous l'empire des remords, Mme de Rênal lui cc montre une froideur gla­ ciale ,,, cc Il se souvint du rang qu'il occupait dans la société, et surtout aux yeux d'une noble et riche héritière " (p.

97).

Et de même que plus haut l'idée d'un sentiment d'infériorité éloignait sur-le-champ tout plaisir de son cœur, cette fois, - 37 -. »

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