D'UN CHÂTEAU L'AUTRE, de L.-F. Céline

D'UN CHÂTEAU L'AUTRE, roman de L.-F. Céline (1957), qui, avec Nord (1960) et Rigodon (1969), forme une trilogie qui relate son séjour en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale. De juin 1944 quand ils quittent Paris à mars 1945, date à laquelle ils arrivent à Copenhague, Céline, sa femme et leur chat, Bébert, ont vécu une aventure hors du commun. Céline en entreprend un récit, apparemment autobiographique, que son talent de narrateur, mêlant et dépassant la chronique, le roman historique et l'épopée, rend inclassable. Malgré la permanence, par des mentions rapides et souvent anodines, de certains de ses thèmes favoris d'avant-guerre, les circonstances lui offrent la matière et les conditions d'un renouvellement. Céline a choisi de ramemer l'histoire à sa trame la plus anecdotique sur laquelle il peut greffer ses fantasmes. Plutôt que de la traiter comme une entité dont il faut rendre compte avec précision, il en joue, tout à la fois comme personnage et comme narrateur, chacun tour à tour, poussant jusqu'au bout les situations les plus incongrues. Grâce au bouleversement chronologique des événements, Céline crée une impression d'improvisation qui témoigne, dans cet ultime registre, de sa maîtrise dans la composition d'une extraordinaire fresque postréaliste.

D'un château l'autre évoque principalement le séjour qu'il fit à Sigmaringen, dont le château est resté célèbre pour avoir abrité Pétain à la fin de la guerre. Céline met en scène la petite ville surpeuplée par l'afflux des réfugiés en

butte à l'hostilité des habitants et le décorum dérisoire des débris du gouvernement de Vichy. Il en « règle » l'agonie et restitue là ce que les chroniqueurs oubliant lorsqu'ils « écrivent » l'histoire.

Avec Nord, il reviendra en arrière pour raconter, à partir de son entrée en Allemagne, le > trois étapes qui précèdent son arrivée à Sigmaringen. Baden-Baden tout d'abord, où il dut attendre l'autorisation de con inuer vers Berlin, véritable théâtre à la n esure de sa vision, et enfin Zomhof dont les habitants vont sous sa plume deven r les acteurs d'un mélodrame qui anticipe la chute du Reich.

Rigodon est la suite directe de Nord ; Céline y évoqu-» son périple de Zomhof à Sigmaringen puis la traversée du pays dévasté pour gagner la frontière du Danemark. Deux voyages qui sont l'occasion pour lui de transposer sur le mode apocalyptique les événements qui marquèrent la fin de la guerre en Allemagne ; l'exode massif et les bombardements reviennent alors comme des motifs de l’œuvre qui ne sont plus là que pour ponctuer les aventures du héros, l'auteur lui-même.

Au cours de ces trois récits, Céline multiplie les digressions pour évoquer telle ou telle période de son odyssée et revient souvent à Meudon, où il écrit, pour prendre à partie le monde entier comme il avait commencé de le faire dans les Entretiens avec le Professeur Y.