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Jehan de Saintré d'Antoine de La Sale (analyse détaillée)

Publié le 21/10/2018

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Jehan de Saintré. Roman en prose d'Antoine de La Sale (1385-1460 ?), composé en 1546, conservé par dix manuscrits et édité quatre fois à Paris dans la première moitié du xvie siècle.

 

Commencé sur le mode courtois -l'éducation chevaleresque et sentimentale d'un jeune homme bien né qui se couvre de gloire pour mériter l'amour de sa dame -, ce roman sonne pourtant le glas d'un certain idéal en relatant la trahison de l'amie, qui préfère les plaisirs bien tangibles que lui offre un robuste abbé velu aux joies raffinées de la fin'amor.

 

À la cour du roi Jehan de France [jean II le Bon] vit un jeune page, âgé de treize ans, que ses dons naturels distinguent entre tous, Jehan de Saintré. Une jeune veuve, la dame des Belles-Cousines, très proche de la reine, décide de faire de ce garçon un chevalier accompli et renommé. Après lui avoir montré les bienfaits du service d’amour et exposé les devoirs de la chevalerie, elle s’offre à être celle pour qui il s'illustrera par les armes. Grâce aux dons somptueux de la dame des Belles-Cousines et à ses conseils, le jeune homme éblouit la cour par son élégance vestimentaire, sa largesse, et accroît sa faveur auprès du roi.

 

Vient alors le temps de se distinguer par les armes. Conformément au plan de « Madame », Saintré va d'abord éprouver sa prouesse en Espagne, à la cour du roi d’Aragon, où, en dépit de sa jeunesse et de sa frêle constitution, il est reconnu vainqueur. Il affronte ensuite, à la cour de France, toujours guidé par « Madame », et en compagnie de Boucicaut devenu son ami, un chevalier polonais : il remporte la victoire. Puis, à la demande de sa bienfaitrice, il se mesure aux Anglais et

connaît un nouveau succès, renforcé par celui qu'il remporte quinze mois plus tard sur deux nobles lombards à Paris, toujours en compagnie de Boucicaut Le couronnement de cette carrière sera le « voiaige de Prusse » où Saintré combattra pour la foi chrétienne contre les Sarrasins, après avoir été fait chevalier par le roi de Bohême, honneur qu’il avait jusque-là refusé. Chacun de ces exploits est récompensé par une secrète rencontre avec « Madame » où s'exprime toute la force de leur amour.

 

Quinze mois après son retour de Prusse, Saintré se lance, de son propre chef, dans une nouvelle entreprise héroïque. Le terrain de ces nouveaux exploits sera la cour de l'empereur d’Allemagne. La dame des Belles-Cousines et le roi de France n'apprécient guère cette initiative. Après le départ du héros, la dame sombre dans une profonde langueur et la reine la laisse partir sur ses terres.

« indigeste -l'auteur ne juge-t-il pas bon d'étayer la clémence de Saintré, au moment où sa hache va s'abattre sur l'abbé, de citations latines de la Bible ? -, le roman contient un ensei­ gnement plus subtil, qui ressort de l'intrigue.

Il met en garde contre les apparences : car la dame des Belles­ Cousines s'est longtemps montrée à Saintré sous les traits de la dame cour­ toise; contre l'abandon à une sensua­ lité primaire : rien de moins alléchant que la liaison entre « Madame >> et son moine ; et surtout contre le despotisme de la femme, en donnant comme ori­ gine à la rupture entre l'amant et la dame la décision de Saintré, enfin adulte, de choisir lui-même les modali­ tés de sa carrière héroïque.

Le choix de l'époque dans laquelle se déroule l'action contribue aussi à ren­ forcer un autre aspect du message.

Reporter au siècle précédent, au règne de jean le Bon, la cassure entre le rêve chevaleresque d'amour et de gloire et la réalité, c'est dire clairement au lec­ teur du xve siècle que tout est depuis longtemps consommé.

Visée démons­ trative que corrobore la désinvolture avec laquelle est traitée la perspective historique du récit.

Car « la royne Bonne de Bouesme >> n'a jamais été reine, l'épouse de Jean le Bon étant morte avant que le fils de Philippe VI de Valois soit couronné.

Et la croisade de Prusse n'a jamais existé sous la forme que lui donne Antoine de La Sale, d'un affrontement entre chrétiens et infidèles venus d'Orient et d'Afrique.

Mais ce sont là des vétilles, l'enjeu est ailleurs.

Car en prolongeant la vie de Bonne de Luxembourg aux côtés de jean le Bon, La Sale rappelle la noble et royale origine des ducs d'Anjou et de Bourgogne, lui qui dédie son roman à son ancien élève, jean de Calabre, fils du duc d'Anjou, et se trouve depuis quelques années dans la mouvance de la cour de Bourgogne.

Et cette dernière n'est probablement pas étrangère au travestissement du « vma1ge de Prusse>>, si l'on se rappelle qu'en 1453 le duc de Bourgogne et ses chevaliers de la Toison d'or, répondant à l'appel du pape après la chute de Constantino­ ple, ont fait vœu de se croiser.

Roman de formation, roman histori­ que, Jehan de Saintré est aussi, sous le clinquant des armes et des parures, un roman du désenchantement.

On peut alors savoir gré à La Sale d'avoir raconté la fin de l'idéal courtois, la fail­ lite d'une prouesse qui tourne à vide, sur un ton qui laisse une large place au rire ou au sourire.

À cet égard, le récit, souvent cité, de la rencontre de «Madame >> et de « Damp Abbé >>, avec les pressions de pied qui s'exercent sous la nappe, est exemplaire.

Mais l'intertextualité peut également entrer dans le jeu, par exemple quand on exhume, en« faisant [la] sépulture>> de Saintré, un «brevet >> [billet] qui déclare : « Cy reposera le corps du plus vaillant chevalier de France, et plus, que lors sera.

>> Dérisoire avatar des somptueuses tombes qui scandaient, de son vivant, le destin de Lancelot, dans le *Chevalier de la charrette ou le Lancelot en prose, ce « brevet >> n'est plus qu'un certificat de bonne conduite.

Il est vrai que Jehan de Saintré ferme à jamais certaines voies romanesques.

Mais il en ouvre d'autres, comme le montre un rapprochement avec le Dit du Prunier.

Partant d'une trame simi­ laire -l'éducation sentimentale et che­ valeresque d'une jeune noble par une dame de haute condition -, cet ouvrage, probablement composé au début du xve siècle, ne laisse planer aucun doute sur la grandeur morale de la bienfaitrice et de son protégé.

Le compilateur du Roman de Jean d'Aves­ nes (composé vers 1465 pour la cour de Bourgogne et s'inspirant dans sa pre­ mière partie du Dit du Prunier) ne laisse pas davantage de place à l'ère du soup-. »

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