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LE ROUGE ET LE NOIR (1830) - STENDHAL (Fiche de lecture)

Publié le 23/06/2011

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stendhal

 

Comme il mettait la dernière main aux Promenades, Stendhal, rentrant de Catalogne, eut à Marseille, dans la nuit du 25 au 26 octobre 1829, « l'idée de Julien n. Il jeta sur le papier la première ébauche du roman et opta en mai 183o pour ce titre énigmatique : Le Rouge et le Noir. L'écrivain se trouvait à un carrefour sentimental. Pendant la rédaction de son itinéraire il avait aimé « à la fureur «, mais pour peu de temps, Alberte de Rubempré. Giulia Rinieri de' Rocchi lui avait flatteusement déclaré son amour et avait tenu parole. De sorte qu'il s'estimait « fort passablement heureux en 1830 «. Cette première esquisse était un peu maigre, mais Stendhal s'en remit toujours au moment de la rédaction définitive du soin d'étoffer sa première version. D'ordinaire une anecdote lue, un fait divers lui servent de tremplin ; mais ils ne sont bientôt qu'une armature accessoire tant il accumule de détails pour la vraisemblance, tant il « cristallise « autour de caractères qu'il veut légitimer, expliquant intarissablement la naissance et l'évolution des sentiments et des pensées. Trois mois plus tard, enrichissant le thème, Stendhal voit dans son héros « le jeune provincial, un élève de Plutarque et de Napoléon «. Il partit pour Trieste abandonnant derrière lui cette bouteille à la mer, sans se douter qu'il venait d'écrire le plus important roman du siècle et de se classer le premier psychologue de son temps.

stendhal

« et rêva d'écrire le Rose et le vert.

Serait-ce une allusion aux hasards du destin comparés aux jeux de hasard ? Leféminin, semble-t-il, eût été de rigueur : la rouge et la noire ? Ces couleurs symboliseraient-elles le prêtre et lebourreau, ou le sang qui souillera la soutane du séminariste ? S'agirait-il, vu l'importance de l'élément politique dansce roman, de la lutte entre les libéraux et la Congrégation ? De l'aveu de l'auteur, d'après Emile Forgues, le sensserait que s'il eût vécu sous l'Empire, Sorel eût été soldat ; sous la Restauration, il n'est d'exutoire à son ambitionque dans les ordres.

Plus que le républicanisme de Julien, disciple de Plutarque, le Rouge exprimerait donc lanostalgie des temps héroïques.Le Rouge représente l'époque de la Révolution et de l'Empire avec tout ce que ces mots signifient pour une jeuneambition sûre de sa valeur, de son audace, et qui ne craint pas les coups, et qui ne craint pas la mort.

C'est laglorieuse carrière des armes, où le mérite éclate aux yeux de tous, où le courage s'impose, où la clairvoyance et lesang-froid se taillent leur place au soleil ; c'est l'âge de l'action, supérieure au verbe, ennemie du verbe, et qui n'ade mesure qu'elle-même et de juges que ses pairs.

C'est l'âge des décisions immédiates et irrémédiables, des visionsclaires suivies d'effet, des paris où l'on risque tout, les autres et soi-même ; des obstacles réels qu'il faut franchir,des revers qu'il faut surmonter, des victoires qu'il faut conquérir.

C'est le temps des responsabilités et de lapuissance pour qui commande, pour qui mène des hommes, sûr de soi et sûr de ses soldats : c'est le temps dessensations fortes où l'homme s'éprouve lui-même et se juge ; c'est le temps où l'on est mêlé à des événements quiimportent, aux quatre vents de l'Europe, au lieu de vivoter sous cloche, au sein d'une poussière de circonstances,dans un monde anémique, factice, sans passions ; c'est le temps des grandes chevauchées et des ambitionsdéchaînées où « l'on est tué ou général à trente-six ans ».

Le Noir représente l'époque de la Restauration avec toutce que ce mot sans prestige implique de renoncements et de reniements liminaires pour une jeune ambition qui a vuse fermer devant elle la carrière des armes, et qui trouve à la place la toute puissante Congrégation.

Le Noir, c'estla carrière ecclésiastique, désormais seule ouverte aux appétits ; l'ambitieux qui ne rêvait que plaies et bosses,gloire et action violente, doit rengainer un courage inutile ; il doit renoncer au bonheur de l'action, se résigner auxfades satisfactions des mesquines pensées, des petits avantages lentement gagnés, longuement médités,silencieusement savourés.

L'art de diriger ou contenir la parole succède à celui de manoeuvrer les armées.

Cetteprovision d'audace qu'il avait en lui ne lui servira qu'à être prudent ; ce besoin de se dépenser physiquement etmoralement ne lui servira qu'à se montrer impassible ; cet élan héroïque de tout son être, il devra le comprimer ; lebrillant uniforme deviendra soutane, l'allure militaire deviendra onction ecclésiastique, le ton de commandement tonde la prière, la physionomie martiale fausse physionomie de sainteté.

Le jeune ambitieux, qui voulait devenir généralou mourir, deviendra évêque avec cent mille francs de rentes, et le bras fait pour brandir franchement l'épéerépandra d'hypocrites bénédictions. Tel est le contraste que Stendhal a voulu marquer en créant Julien Sorel.

La critique contemporaine s'est longtempscomplue à voir en lui le type de l'ambitieux et du déclassé.

Mais le mérite de l'écrivain est moins d'avoir su opposerl'esprit de deux époques, que d'avoir recréé le drame de fond en comble par l'intrusion constante de sa proprepersonnalité Plus encore que le roman de moeurs ou le roman politique, qui sont de grande classe dans ce livre oùl'auteur reprend le thème satirique d' Armance, étendant son enquête à la province pour dresser un réquisitoire pluscomplet contre le régime abhorré, c'est le roman psychologique de l'ambition et de l'amour qui nous passionne.Stendhal, reconstruisant librement le drame en imagine tous les rouages, montrant à nu le ressort des grandespassions, et respectant la logique des caractères.La peinture des divers milieux et des comparses n'est ni moins juste, ni moins suggestive.

Stendhal, autant que dansson imagination et dans ses rêves, a puisé dans ses observations et dans ses souvenirs.

Nous sommes souvent enprésence d'images composites.

L'invraisemblance apparente de certaines situations, de certains caractères (celui deMathilde de la Mole en particulier) disparaît devant la vérité des détails et le don de vie qui soutient tout l'édifice.

Envain chercherait-on le défaut de la cuirasse dans les analyses.

Au reste, peut-on oublier l'humeur fantasque de MmeAzur, le perçant de son esprit, l'énergie de ses propos et son mépris des convenances ? Peut-on oublier le grandcaractère que masquait la fragile silhouette de Giulia, son audacieuse franchise et la téméraire offrande dont elle fitlargesse à Stendhal au temps du Rouge — peut-être parce qu'elle venait de lire Vanina Vanini., où l'héroïne se donneau carbonaro poursuivi ? Peut-on oublier, enfin, le scandale qui émut alors l'aristocratie française, l'enlèvement parEdouard Grasset de la nièce d'un ministre de Charles X, Mary de Neuville, leur fugue à Londres, puis le retour danssa famille de l'héroïne de cette équipée qui refusa d'épouser son ravisseur ? Stendhal s'intéressa à l'aventure, ainsiqu'en témoigne une lettre à Mareste du 17 janvier 1831 « Cette fin me semblait bonne en l'écrivant, j'avais devantles yeux le caractère de Méry, jolie fille que j'adore.

Demandez à Clara si Méry n'eût pas agi ainsi.

Les jeunesMontmorency et leur famille ont si peu de force de volonté qu'il est impossible de faire un dénouement non plat,avec ces êtres élégants et effacés...

Cette vue du manque de caractère dans les hautes classes m'a fait prendreune exception ; c'est un tort ; est-il ridicule ? C'est bien possible.

Le comment, c'est que j'ai pensé à Méry.

Je nesaurais que faire dans un roman d'un jeune Rohan-Chabot réellement de bon ton ».

Le cas de Mary de Neuville futdonc pour Stendhal un exemple révélateur et décisif.Le Rouge et le Noir prend toute sa valeur quand on le lit en quelque sorte au compte-goutte ; chaque nouvelle lec-ture apporte sa moisson de trouvailles.

L'ensemble est beau et puissant : le dédale nuancé des replis psychologiquesest plus attachant encore.

Sans rien sacrifier à la description, ni au beau style, Stendhal écrit un roman tout nerfs,qui n'est qu'analyse et monologue intérieur ; et par la force de cette sèche analyse, il anime des caractères neufs,robustes, dramatiques bien moins par les circonstances extérieures que par leur propre contenu ; des caractèresfaits pour les passions et pour le renversement des passions.

Et sans doute, ce livre tendu est-il d'un abord difficile.L'auteur l'admet en 184o, sur l'exemplaire de Civita-Vecchia : a For me abréger, ajouter de temps à autre une lignepour faciliter l'intelligence...

Il manque la description physique des personnages...

Faute de trois ou quatre motsdescriptifs par page et de deux ou trois mots aussi par page pour empêcher le style de ressembler à Tacite,plusieurs pages qui précèdent ont l'air d'un traité moral.

Le lecteur est toujours vis-à-vis de quelque chose de tropprofond.

» Notons que le Rouge et le Noir est contemporain de Notre-Dame de Paris.

Le lecteur moyen de 1831. »

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