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Les « chroniques » de Giono (résumé & analyse)

Publié le 13/12/2018

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giono

Les « chroniques »

 

Après la Seconde Guerre mondiale, le style de Giono devait résolument changer, pour des raisons pratiques d’abord : la nécessité d’écrire vite des œuvres plus courtes, essentiellement narratives, dont la traduction et la publication éventuelle à l'étranger poseraient moins de problèmes. A partir de 1946, l’œuvre de Giono va donc se scinder en deux : d'une part, les « chroniques », suite de récits aux modes narratifs variés qu’il poursuivra jusqu'à la fin de sa vie; d'autre part, la geste du Hussard, vaste cycle romanesque qu’il mènera parallèlement à d'autres activités « gratuites » (à tous les sens du terme) : projets et compositions de scénarios, essais divers, etc. D’ailleurs, ces « chroniques » elles-mêmes devaient constituer une sorte de série plus ou moins homogène, mais le fil d’intrigues qui relie chacune d’entre elles à la première, Un roi sans divertissement (1946), allait se dénouer rapidement. Ainsi, tout en respectant l’autonomie de chaque livre, Giono fera néanmoins alterner chroniques du xixe siècle, tel Un roi sans divertissement, et récits modernes, comme Mort d'un personnage (1948). Dans leur conception, les chroniques ont au moins deux points communs qui les distinguent des œuvres précédentes : elles se veulent davantage l’histoire (au sens d'annales) d’une époque précise, et le lieu de leur action se situe dans un cadre géographiquement déterminé. Giono, dans des récits plus ramassés, proches du style elliptique d'un Stendhal, renonce donc aux créations mythiques, intemporelles, localisées dans un « Sud imaginaire », qui caractérisaient sa vision du monde antérieure à la guerre. Désormais, le protagoniste essentiel

giono

« n'est plus la nature, mais l'homme dans ses rapports interpersonnels; la violence, toujours présente, n'est plus dans le cosmos mais dans le cadre social où se joue le drame du salut, le lyrisme s'intériorisant ainsi en roman­ tisme de 1' action.

Noé, paru en 1947 aux Éditions de la Table ronde, marque une étape décisive dans l'évolution du système narra ti( de Giono, tout en en révélant la profonde origi­ nalité.

Ecrit à la première personne, ce« récit» est avant tout le roman d'un roman en train de se faire.

En ce sens, Giono y subit l'influence du Gide des Faux-Monnayeurs tout en annonçant les « audaces » du « nouveau roman » dont par ailleurs il méprisera l'absence de créativité nar­ rative (cf.

sa Préface aux «chroniques» réunies, en 1962, chez Gallimard).

Cependant, il y démontre surtout sa conception d'un réalisme spécifique, essentiellement subjectif, où le monde extérieur, pourtant si dense et si riche dans sa pesanteur matérielle, apparaît comme une création idéale, à la limite de l'onirisme : « Quoi qu'on fasse, c'est toujours le portrait de l'artiste par lui-même qu'on fait.

Cézanne, c'était une pomme de Cézanne».

Giono éclaire ainsi à la fois les personnages du roman précédent, tels Langlois, M.V., Saucisse, Delphine ...

, dont il prolonge l'existence passée et fictive en la mêlant à son propre présent de personnage-auteur bien réel ( « Or, depuis deux mois, il fait bon soleil et très calme.

Pendant que je marche à flanc de coteau, à travers les olivaies, je vois, dans la vallée, des cocons de brume qui enveloppent les grandes fermes » ), tout en remettant en question l'objectivité apparente de ses premiers récits, voire le prétendu réalisme de toute représentation tradi­ tionnellement considérée comme figurative : en faisant allusion à Cézanne peignant sa propre personnalité à travers un objet prétexte, en utilisant l'ambiguïté du pré­ sent, temps qui convient aussi bien à la description du monde extérieur qu'à la narration autobiographique, Giono abolit les frontières entre le réel et l'imaginaire et, du même coup, entre l'objet et le sujet.

Tel est finale­ ment le sens de l'ensemble de l'œuvre de Giono : la naissance d'un monde insolite sinon fantastique coïncide avec l'histoire (ou la légende) de la création littéraire.

D'où cet apparent paradoxe d'une fascination croissante pour le narratif (Giono confiait, à propos du Bonheur fou : «J'ai essayé de faire que chaque phrase raconte, que chaque phrase soit en elle-même un récit complet et qu'il y ait chaque fois des possibilités de s'arrêter sur cette phrase et de voir ses prolongements romanesques aussi bien dans une direction que dans l'autre»), liée à un débordement perpétuel du récit, suspendu, inter­ rompu, dont l'illusion est encore compromise par la dis­ continuité spatiale, par un discours immense, l'omnipré­ sence sous-jacente de l'auteur étant la rançon du besoin irrépressible de conter.

Mais le roman n'est autre que le rêve même du romancier : il est son autoportrait.

Cette peinture « en négatif», où, comme le note finement Giono, tout est décrit, sauf l'objet -qui apparaît ainsi dans ce qui manque -, s'appliquerait avec une égale pertinence à la multitude des récits hétérogènes qui constituent l'ensemble des« chroniques », depuis la bio­ graphie prétendue de l'écrivain américain dont Giono venait de traduire Moby Dick (Pour saluer Melville, 1941) au «poème>> Fragments d'un paradis (1948), sorte de journal de bord d'un navigateur fantastique.

Deux récits maritimes qui ne sont autres que le symbole de l'aventure de l'écriture, le «portrait de l'artiste par lui-même >> selon une formule chère à Giono.. »

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