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LETTRE A D'ALEMBERT (1758) de ROUSSEAU (fiche de lecture et analyse)

Publié le 29/05/2011

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Historique. — C'est une singulière et amusante histoire que celle de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles. Lorsque Voltaire s'était installé aux Délices, son premier soin avait été d'y donner des représentations théâtrales ; et, toute la haute société de Genève était accourue pour voir jouer Zaïre ou l'Orphelin de la Chine. Les magistrats, qui n'avaient point, accordé sans peine au philosophe l'autorisation de s'établir sur leur territoire, virent d'un très mauvais oeil ces infractions aux lois de la république et cette menace de corruption dans l'austère cité de Calvin. On adressa donc à Voltaire des remontrances fort sérieuses et il fit une feinte soumission. Mais il n'abandonnait point aisément ses projets ; et quand d'Alembert vint à Genève pour y préparer l'article qu'il devait consacrer à cette ville, notre dramaturge lui demanda de protester contre l'interdiction des spectacles.

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« troupe de comédiens honnêtes ? La profession de ces gens-là entraîne une corruption nécessaire des moeurs, etpour prévenir leur déplorable influence sur le public, il n'y a qu'un moyen: supprimer la cause elle-même eninterdisant les spectacles.Enfin, tout ce que Rousseau vient de dire en général, il l'applique au cas particulier de Genève.

Dans cette villeactive et industrieuse, ces amusements d'oisifs seraient très pernicieux, et les moeurs, heureusement, y sont peufavorables.

Puis, à supposer le théâtre établi, il en résulterait des inconvénients graves : bouleversement etcorruption des moeurs, disparition des cercles qui entretiennent les habitudes viriles, appauvrissement du peuplegrâce à ces occasions de dépense, et constitution d'une aristocratie de fortune qui mettrait en péril la liberté.Genève perdrait donc trop de choses à l'établissement d'une comédie, et les 'magistrats- mit bien raison de laproscrire, Mais alors, objectera d'Alembert, vous n'autorisez aucun spectacle ? J'en demande beaucoup, aucontraire, réplique Jean-Jacques ; mais les seuls qui conviennent à une république, ce sont des fêtes utiles, quirapprochent tous les citoyens et qui ramènent ou retiennent à Genève tous ses enfants.

Il termine en conseillant àla jeunesse genevoise de ne pas 'regretter un divertissement qui coûterait si cher à la patrie et de ne pas préférerau solide bonheur qu'elle possède les vains plaisirs qui le détruiraient. Etude littéraire : la question du théâtre.

— C'est une grave question que celle de l'influence, salutaire oupernicieuse, exercée par l'art dramatique sur les esprits; et nous n'avons point la prétention de la résoudre.Bornons-nous donc à exposer quelques-uns des reproches que l'on adresse au théâtre et tâchons d'en apprécier lajuste valeur.Il est assez piquant de constater que sur cette question des spectacles, Rousseau se trouve d'accord pour le fondavec ceux qu'il appelle « les écrivains ecclésiastiques Calvin avait interdit les représentations théâtrales sur leterritoire de Genève.

Chez nous les jansénistes attaquèrent vivement le théâtre, et Nicole publia notamment unTraité de la comédie en 1658.

Puis, vers la fin de ce XVIIe siècle, que des poètes dramatiques firent si grand,Bossuet revint à la charge avec les Maximes sur la comédie, en 1694.

Fénelon lui-même, dans sa Lettre àl'Académie,' condamna le théâtre avec une courtoisie parfaite mais avec beaucoup de fermeté.

Pasteurs de l'égliseréformée, solitaires de Port-Royal, éminents prélats du catholicisme, tous évidemment, lorsqu'ils lançaient de telsanathèmes, se préoccupaient de notre salut.

Jean-Jacques, malgré ses origines protestantes et ses convictionsreligieuses, ne se place pas, lui, sur le même terrain.

Tout aussi affirmatif que Calvin, que Bossuet, et que ce Nicoletraitant « d'empoisonneurs » un Rodrigue...

et une Chimène, il argumente au nom de la morale et, désireux deramener les nations modernes à la pureté d'autrefois, il combat dans l'art dramatique ce que l'on appelle l'espritmondain.Une idée domine, en effet, toute l'argumentation de Rousseau : c'est que le théâtre est un produit artificiel de lacivilisation, et qu'il appartient en propre aux républiques corrompues.

Bien plus, c'est un plaisir antisocial; car leshommes s'assemblent dans des salles de spectacle pour s'isoler les uns des autres, par dégoût du milieu dans lequelils vivent, et aussi par remords de n'en pas remplir les obligations.

Mais, sans discuter ce paradoxe intimement lié àla doctrine de Rousseau sur l'excellence de l'état naturel, cherchons avec lui quels sont les méfaits du théâtre.

Est-ilcapable de corrompre les moeurs ?...

A considérer le genre lui-même et non la façon de vivre des comédiens, lasociété en général et non le cas particulier de Genève, on peut se demander où la preuve est fournie.

Jean-Jacquesrépète à satiété que le théâtre réussira seulement s'il se conforme aux goûts et aux habitudes de la nation, ladiversité des coutumes engendrant la diversité des spectacles.

Alors n'est-on pas en droit de conclure que lethéâtre ne fait point les mœurs, mais que les moeurs déterminent les caractères du genre dramatique ? Au reste,l'auteur de la Lettre reconnaît lui-même que, dans une société où régnerait la vertu, le théâtre serait moral.

Mais cen'est là, déclare-t-il, qu'un faux semblant de vérité, et il se hâte de l'obscurcir.

Jacques, ce n'est point vrai : tout y est pernicieux, et le plaisir du comique est fondé sur l'amour du ridicule qui nousempêche de haïr le vice et de respecter la vertu.

Quant à la -tragédie, elle nous présente trop souvent le.

scélératcomme un héros et nous fait assister à des horreurs qu'on ne devrait pas connaître.

« Les massacres de gladiateursn'étaient pas si barbares que ces affreux spectacles.

,» Mais ce qu'il faut reprocher surtout à ce genre, c'estd'exciter seulement en nous une pitié stérile et des émotions passagères sans efficacité pour la conduite de la vie.Tout d'abord, est-il bien exact, si nous rions à la comédie, que les vices décrits par elle nous semblent pour celamoins odieux ?...

Nous répondrons que Rousseau lui-même voit dans cette haine du vice un sentiment naturel,étranger à l'action que Je spectacle produit sur nous.

En second lieu, les émotions vertueuses que fait naître unepièce tragique ne peuvent-elles cesser d'être passagères et devenir durables par leur répétition? Mais, répliqueRousseau, les personnages « boursouflés » et « chimériques » de ces drames sont trop éloignés de notre humanité,et ne sauraient nous instruire.

DL moins est-on obligé d'avouer par cela même qu'ils sont incapables de nouscorrompre.

Reste enfin la question de l'injustice triomphante et que certains dramaturges rendent, paraît-il,sympathique.

Si l'on examinait les choses d'un peu près, il serait facile de montrer que bien souvent le vice est puniau cinquième acte et qu'on applaudit plus souvent encore la victoire de la vertu.

Mais, au surplus, l'art dramatiquene fut point créé uniquement pour être l'auxiliaire de la morale.

Nous demandons à un auteur de nous intéresser parune intrigue attachante, de nous présenter des caractères bien étudiés, et de nous faire un tableau de cette vieréelle où le bien ne l'emporte point toujours sur le mal.

La leçon d'expérience et de morale s'y ajoute parfois; maiselle est l'accessoire et non point l'essentiel.Ce qu'il faut surtout au théâtre, c'est émouvoir ou «divertir » les honnêtes gens.Mais, nous dit ensuite Jean-Jacques Rousseau, il y a quelque chose de plus pernicieux encore dans les tragédies oules comédies, c'est la peinture de l'amour.

Dans la Lettre- à l'Académie, Fénelon, dès 1714, tenait absolument lemême langage et voulait bannir cette passion du théâtre.

Le philosophe reprend l'argumentation de l'archevêque.Comme lui, il invoque l'exemple des Grecs, quoique « l'amour profane » existât dans nombre de tragédies athéniennes. »

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